Lettre de M.
Publié le 23/10/2012
Extrait du document
«
assassins, armés par le Fanatisme, ont tous été de jeunes gens, de
même que tous ceux qui ont prétendu être possédés ; jamais on
n'a vu exorciser un vieillard.
Cette idée me fit douter d'un crime,
qui d'ailleurs n'est guères dans la nature.
J'en ignorais les
circonstances.
Je fis venir le jeune Calas chez moi.
Je m'attendais à voir un
Energumène tel que son pays en a produit quelquefois.
Je vis un
enfant simple, ingénu, de la phisionomie la plus douce & la plus
intéressante, & qui en me parlant faisait des efforts inutiles pour
retenir ses larmes.
Il me dit qu'il était à Nîmes en apprentissage
chez un Fabriquant, lorsque la voix publique lui avait appris qu'on
allait condamner dans Toulouse toute la famille au supplice ; que
presque tout le Languedoc la croyait coupable, & que pour se
dérober à des opprobes si affreux, il était venu se cacher en
Suisse.
Je lui demandai si son pere & sa mere était d'un caractère violent ;
il me dit qu'ils n'avaient jamais battu un seul de leurs enfants, &
qu'il n'y avait point de parens plus indulgens & plus tendres.
J'avoue qu'il ne m'en fallut pas davantage pour présumer
fortement l'innocence de la famille.
Je pris de nouvelles
informations de deux Négocians de Genève, d'une probité
reconnue, qui avaient logé à Toulouse chez Calas.
Ils me
confirmerent dans mon opinion.
Loin de croire la famille Calas
fanatique et parricide, je crus voir que c'étaient des fanatiques qui
l'avaient accusée & perdue.
Je sçavais depuis long-tems de quoi
l'esprit de parti & la calomnie sont capables.
Mais quel fut mon étonnement, lorsqu'ayant écrit en Languedoc,
sur cet étrange aventure, Catholiques & Protestans me répondirent
qu'il ne fallait pas douter du crime des Calas.
Je ne me rebutai
point.
Je pris la liberté d'écrire à ceux même qui avaient gouverné
la Province, à ces Commandans de Provinces voisines, à des
Ministres d'Etat ; tous me conseillèrent unanimement de ne me
point mêler d'une si mauvaise affaire ; tout le monde me
condamna, & je persistai : voici le parti que je pris.
La veuve de Calas, à qui pour comble de malheur & d'outrage on
avait enlevé ses filles, était retirée dans une solitude où elle se
nourrissait de ses larmes, & où elle attendait la mort.
Je ne
m'informai point si elle était attachée ou non à la Religion.
»
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