Les Annales et la Nouvelle Histoire
Publié le 25/03/2023
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«
Les Annales et la Nouvelle Histoire.
Introduction
I.
Les Annales.
A> La revue.
Febvre (1922, La Terre et l'évolution humaine : Introduction géographique à
l'Histoire) : « Une certaine géographie humaine n'est peut-être pas autre chose
qu'une histoire revivifiée dans ses sources, rajeunie dans ses méthodes et
heureusement renouvelée dans ses sujets.
».
À l’origine des Annales, il n’y a pas qu’une réaction à l’école méthodique.
Il
faut aussi tenir d’un phénomène qui amène à une réaction de la part des historiens
de la première génération des Annales.
La Première Guerre mondiale a entraîné
le développement d’une production historique antiallemande, nationaliste,
trouvant ses sources dans une production historique réactionnaire antirépublicaine
des années 1880-1890 (contre « l’État Monod » disait alors Maurras).
Mais, cette
fois-ci, elle a la « bénédiction » de l’État qui en fait une production historique
patriotique.
En 1920, dans un article intitulé « L’histoire dans le monde en
ruines » paru dans la Revue de synthèse historique (vol.
30, n°1), Febvre écrit :
« L’histoire qui sert est une histoire serve.
» poursuivant « l’histoire est une
science, elle n’est pas une avocasserie ».
Pour faire véritablement de l’histoire une
science, comme le voulait l’école méthodique, il faut refuser son utilisation par le
politique, au contraire de ce que faisait l’école méthodique.
Mais, cela ne signifie
pas, et c’est toute l’ambiguïté du phénomène, que l’historien doit se retrancher
dans une tour d’ivoire et se couper des réalités et des combats politiques du temps.
Les directeurs des Annales (Febvre et Bloch) refusent le politique et
l'événementiel.
Entre 1929 et 1948, les articles publiés par les Annales portent
pour 37 % sur les économies, pour 33 % sur les sociétés (les groupes sociaux en
constituant 80 %), pour 13 % sur les civilisations (la vie mentale en constituant
les 2/3), pour 14 % sur la théorie et les réflexions méthodologiques (dont les troisquarts sont de Febvre et Bloch) et seulement pour 3 % sur la politique (contre
50 % dans la Revue historique).
Ce refus se lit aussi dans un texte de Bloch et
Febvre contre l'agrégation en 1937 où ils critiquent la trop grande importance de
l'histoire politique et institutionnelle dans les questions de hors-programme (troisquarts des sujets), donc en contradiction avec la recherche vivante (celle des
Annales).
Febvre et Bloch refusent toute méthode préétablie.
« Les idées d'un historien se
tirent de l'histoire même.
», écrit Lucien Febvre.
Ils veulent élargir le concept de
sources au non-écrit (iconographie, archéologie, pollen…).
Ils conçoivent la
démarche sur la longue durée, avec par exemple, un aller-retour entre les origines
d'un problème historique et son état contemporain.
On retrouve dans les Annales les mêmes personnalités qu'à l'Université de
Strasbourg dont elles matérialisent l'« esprit ».
Après la Première Guerre
mondiale, le gouvernement français veut faire de l'université de cette ville
reconquise la vitrine de la connaissance française.
De jeunes enseignants,
considérés comme les plus dynamiques, y sont envoyés.
Le géographe Henri
Baulig, le psychologue (spécialiste de psychologie collective) Charles Blondel, le
sociologue durkheimien Maurice Halbwachs, le sociologue des religions Gabriel
Le Bras, les historiens Febvre et Bloch bien sûr, mais aussi André Piganiol
(histoire romaine) ou Charles-Edmond Perrin (Moyen-Âge).
Ces différents
enseignants venus de disciplines différentes instituent les « réunions du samedi »
où se déroulent de « libres causeries » sur les sciences humaines et sociales.
Dans
le comité de rédaction des Annales, ensuite, on retrouve, outre les deux directeurs
Febvre et Bloch : Halbwachs et Piganiol, mais aussi Henri Pirenne, professeur
d'histoire médiévale à Gand, Albert Demangeon, professeur de géographie à la
Sorbonne, Henri Hauser, professeur d'histoire économique à la Sorbonne, Charles
Rist, professeur d'économie politique à la Faculté de Droit de Paris et sous-
gouverneur de la Banque de France et André Siegfried, professeur à l'École des
Sciences Politiques.
On
constate donc immédiatement l' « ouverture »
pluridisciplinaire.
Le but est de faire collaborer des catégories de chercheurs qui
s'ignorent la plupart du temps.
Malgré tout, les auteurs publiés sont majoritairement des historiens, âgés d'une
cinquantaine d'années aux débuts des Annales (donc pas si « jeunes » que cela).
S'ils publient sur toutes les époques, les pays étudiés sont d'abord la France, puis
l'Allemagne, viennent ensuite la Grande-Bretagne, l'Italie, les USA et l'URSS.
Les
Annales HES accueillent un petit noyau d'une quinzaine de plumes.
Autrement,
Bloch et Febvre se plaignent de la médiocrité de la production qui leur est
proposée, surtout en histoire contemporaine.
Febvre et Bloch contrôlent quasiment tout : conception des numéros, choix des
thèmes et des articles avec parfois une intervention sous forme de corrections
voire de réécriture.
Ils produisent de nombreux compte-rendu et articles.
Cependant, hormis les éditoriaux et l'article sur l'agrégation de 1937, ils ne
produisent jamais d'articles en commun.
Cela permet de maintenir les deux
tendances de la revue : histoire économique (Bloch) et histoire sociale (Febvre qui
s'intéresse beaucoup à l'histoire religieuse et l'histoire intellectuelle).
Au début,
les Annales connaissent de nombreux problèmes matériels, d'autant plus que les
auteurs constituent un groupe très dynamique, très polémique avec une dimension
quasi-messianique qui choque le monde universitaire très feutré d'alors.
Le tirage
passe de 1.300 exemplaires en 1929 à 1.000 en 1933 puis 800 en 1935, et le
nombre d'abonnés ne dépasse jamais 300.
Pour dynamiser la revue, Febvre et
Bloch mettent en place les rubriques les plus célèbres et emblématiques des
Annales comme les « Enquêtes » (sur les plans parcellaires, la noblesse, le
problème des prix…) destinées à promouvoir le travail collectif et
l'interdisciplinarité ainsi qu'à donner une dimension internationale à la
publication.
Les compte-rendu sont regroupés par thèmes, sous le titre
« Problèmes d'ensemble » s'attaquant à des « groupes de livres ou d'articles
constitués autour de quelques sujets d'études particulièrement préoccupants ».
L'idée est en effet aussi d'inscrire la revue dans l'actualité intellectuelle du
moment.
Il en va de même avec la rubrique « Questions de faits et de méthode »,
devenue en 1946 « Débats et combats ».
Bloch parle alors de « faire la police des
mauvais livres ».
Il est évident que cette démarche plaît peu.
Pendant la guerre, les Annales continuent, sous le titre Mélanges d'Histoire
sociale, dirigées par Lucien Febvre et Marc Fougères (pseudonyme de Bloch, car
un directeur juif aurait entraîné l'interdiction de la revue à cause des lois
antisémites de Vichy).
En 1945, elles prennent brièvement le titre d'Annales
d'Histoire sociale.
En 1946, est adopté le titre historique AESC (Annales,
Économies, Sociétés et Civilisations), Lucien Febvre est alors épaulé par Fernand
Braudel et les Annales soutenues par la Fondation Rockefeller.
C'est cette dernière qui, en 1947, finance la création de la VIe section de
l'EPHE.
Ce centre de recherches est en partie l'héritier de « l'esprit de Strasbourg »
et en tout cas la matérialisation de celui des Annales.
La Fondation Ford finance
la construction du bâtiment de la Maison des Sciences de l'Homme en 1962.
En
1956, après la mort de Lucien Febvre, la direction des Annales est assurée par
Fernand Braudel, aidé de Robert Mandrou et de Marc Ferro.
Braudel ouvre la
revue à de nouveaux objets historiques : le climat, l'alimentation, la vie privée, le
sexe… La recherche étrangère est invitée à venir publier.
L'influence s'étend alors
hors des frontières, des revues imitant la démarche française, comme Past and
Present après 1952.
En 1969, Braudel cède la direction à Jacques Le Goff,
Emmanuel Le Roy Ladurie et Marc Ferro.
En 1975, la VIe section de l'EPHE
devient l'EHESS, qui propose autour de 150 séminaires de recherche en sciences
sociales, dont un tiers seulement en histoire.
L'EHESS diffuse l'esprit des Annales,
mais n'est pas l'« École des Annales ».
En 1994, les AESC changent à nouveau de nom pour devenir Annales Histoire,
Sciences Sociales.
Le discours des dirigeants de la revue, dans un avant-propos
alors, explique que ce changement de nom est dû à une volonté de mettre en avant
les « sciences sociales ».
Cependant, à un moment où la production
historiographique revient vers un travail plus événementiel, on peut quand même
noter que le mot « histoire », absent des titres précédents est ici bien présent.
B> Lucien Febvre et Marc Bloch.
1) Lucien Febvre (1878-1956)
Fils d'un Normalien agrégé (de grammaire), il est lui-même Normalien agrégé.
En 1911, il soutient sa thèse sur Philippe II et la Franche-Comté : la crise de
1537, ses origines et ses conséquences.
Il fait de l'histoire politique parce que
l'École méthodique domine alors l'Université, mais il élargit son champ d'études.
En fait, il a 20 ans en 1898, c'est-à-dire l'année de la parution de l'Introduction
aux études historiques de Langlois et Seignobos.
L'ouvrage de méthode de l'école
méthodique paraît donc quand il commence ses études.
Il est donc un des
destinataires de l'ouvrage, sans compter le fait que sa thèse est dirigée par Gabriel
Monod.
Longue de 780 pages, cette monographie régionale passe, en bonne
production méthodique, 40 pages à analyser les sources (archives et manuscrits)
et à commenter sa bibliographie et ses instruments de travail.
Et pourtant, cette
thèse se....
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