L'épuration en France à la fin de la seconde guerre mondiale
Publié le 18/02/2013
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• Alors que l'Occupation a été synonyme de privations pour une immense majorité de Français, il n'échappe à personne que des fortunes scandaleuses ont été édifiées par des trafiquants du marché noir, le plus souvent grâce à la protection des autorités d'occupation. Le sujet de l'épuration économique a donc, pour de nombreux Français, autant valeur morale que politique.
• Des comités interprofessionnels locaux enquêtent sur le commerce et l'industrie, proposent des sanctions aux commissaires de la République. Mais il appartient à une Commission nationa le de statuer en dernier ressort. De plus, de nombreux conflits éclatent entre les comité départementaux de libération et les contrôleurs économiques ou les fonctionnaires des finances qui «épluchent« à loisir les comptabilités et retardent les sanctions. Comme dans l'administration, les mesures ne vont pas dans le sens...
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• Parallèlement, il appartient aux «chambres civiques» de poursuivre les membres des groupes de collaborateurs organisés par l'occ upant.
Mises en place par l'ordonnance du 28 novembre 1944, les chambres civiques peuvent prononcer des peines dites d'indignité nationale , ce qui a pour effet d'entraîn er la suppression des droits civiques et, dans certains cas, une confiscation des biens.
Ces chambres condamneront 48 484 personnes, dont 3 184 bénéficieront d'une annulation de peine .
AMNlmE ET MESURES DE GÙCE • En créant ces juridictions exceptionnelles, le GPRF a voulu montrer son désir d'une justice ferme et rapide, voire inexorable dans les cas les plus graves, tout en faisant preuve d'une certaine indulgence pour les délits mineurs .
S'il est avér é que les juridict io ns exceptionne lles ont parfois procédé à une instruction sommaire , il convient de rappeler que leur créatio n et leur fonctionnement sont intimement liés au contexte politico-militaire : la guerre n'étant pas terminée, la sécu rité impose de mettre à l'abri -et hors d 'état de nuire -collabo rateurs réels ou supposés.
De plus, elles permettent de cana liser l'exaspération et le désir de vengeance de millions de Français meurtris par quatre années de souffrances et d 'humiliation.
• Dans les faits, beaucoup de décisions sont annulées par les mesures de grâce prises par le général de Gaulle (63 % des cas).
Enfin , l'amnistie prononcée en 1953 ne tarde pas à rendre la capacité civile aux personnes sanctio nnées par les chambres civiques.
Dans les faits , les juridictions exceptionnelles ont pratiquement cessé d'exister dès la fin de l'année 1948.
L1PuunoN ADlllNISllATIVE
LES FONalONNAIRES • ëépuration ne devait pas concerner uniquement les personnes privées, miliciens , traître s, délateurs , trafiquants.
Les résistants estiment en effet que les dirigeants des entrep rises publiques ou privées qui ont travaillé pour l'ennemi ne méritent pas de conserver leurs postes à la Libération .
• ëordonnance du GPRF du 27 juin 1944 crée des « comm issions d'épuration» habilitées à prendre , dans toutes les administrations, des mesures disciplinaires allant du déplacement d'office à la révocation sans pension, dans le dessein d'« éloig ne r des postes de commandement et d 'influence ceux d'entre les Français qui ont méconnu l'idéal et l'intérêt de la France au cour s de l a plus douloureuse période de son histoire».
• Des sanctions sont prises contre 11343 fonctionnaires, bien que ces mesures aillent à l'encontre du principe du droit adm inistratif e t du droit pénal
selon lequel un fonctionnaire est exempt de peine s'il peut justifier qu'il a agi sur ordre de ses supérieurs .
Dans les faits, la plupart des personnes suspend ues seront réintégrées ; toutes les mesure s ne deviennent définitive s qu'après décision du Conseil d 'État, qui en annulera beaucoup .
En 1951 , une loi admet le droit à la retraite pour les «épurés » réalisant les conditions d'âge.
La loi d'amnistie supprimera toutes les conséquences matérielle s des mesures exceptionnelles prises à la Libération .
Finalement la continuité de l'administration ne sera guère affectée, les grands corps de l'État demeurant remarquablement stables : 98 % des membres de la Cour des comp tes en fonction en 1942 l'étaient encore en 1948, ainsi que 97 % des inspecteurs des finances et 70 à 80 % des conseillers d'État.
LA PRESSE • Si toutes les catégor ies socioprofessionnelles sont concernées -même le clergé- , c'est la presse qui est le plus durement« épurée».
• ëordonnance du 26 mai 1944 prévoit la suspension de tous les journaux ayant continué à paraître quinze jours après le 25 juin 1940 en zone nord et quinze jours après le 11 novembre 1942 en zone sud.
• L a plupart des titres ayant paru sous l'occ upation allemande cessent d'exister et sont remp lacés par des journaux issus de la presse clandestine.
Ainsi, Défense de la France devient France-Soir , à la place de Pari s-Soir.
• Dans la mesure où leurs écrits ont pu marquer l'opinion et où l'enquête à leur sujet peut être menée sans difficulté , ce sont les journa listes et les écrivains qui sont le plus rapidement et le plus sévère ment sanctionnés.
Certains sont fusillé s, comme Robert Brasillach .
UNE tPUIATION TROP DOUCE ? • L a contin uité de l 'administration a pour effet que les Françai s restent en contact direct avec des fonctionnaires dont ils soupçonnent certains d'avoir
collaboré avec l'ennemi.
Ils s 'en inquiètent comme le montre un sondage de l'IFOP de décembre 1946 : 65 % des personnes interrogées jugent insuffi sante l'épuration administra tive.
Mais , para llè lement l'opinion doit se résigner à l'argument officiel : le retour à l'ordr e et l'urgence qu'il y a à régler des problèmes matériels conduise nt à freiner l'épuration .
La restauration de l'État prime sur toute autre considération, ne serait -ce que pour s'imposer face aux Alliés.
Le même raisonnement est appliqué à l'épuration des entreprises .
L'ÉPURATION ÉCONOMIQUE
·Alors que l'Occupation a été synonyme de privations pour une immen se majorité de Français , il n'échappe à personne que des fortunes scandaleuse s ont été édifiées par des trafiquants du marché noir , le plus souvent grâce à la protection des autorités d'occupa tion.
Le sujet de l'épuration économique a donc , pour de nomb reux Français , autant valeur morale que polit ique.
• Des comités interprofessionnels locaux enquêtent sur le commerce et l 'indu strie, proposent des sanctions a ux comm issaires de la République.
Mais il appartient à une Commi ssion nationa le de statuer en dernier ressort.
De plus , de nombreu x conflits éclatent entre les comité départementaux de libération et les contrôleurs économiques ou les fonctionnaires des finances qui «ép luchent » à loisir
l es comptabili tés et retardent les sanctions .
Comme dans l'administration , les mesures ne vont pas dans le sens attendu par beaucoup de citoyens .
• Dès le 16 mars 1945 , il est interdit à toute organisation d e la Résis tance de s'immiscer dans l'épuratio n économique.
ëadministration entend protéger le potentiel de production et refu se toute désorgani sation des entreprise s .
C'est ainsi que les mêmes firmes qui ont prospéré avec l'établissement du mur de l'Atlantique se voient confie r d'imm enses chantiers de reconstruction .
LES UMms D'UN PROCESSUS COMPLEXE
• Bien que certains résistants estiment que les pouvoirs publics se sont contentés d'une épuration formelle ou Mdée , les statistiques s'inscrivent en faux.
Pour autant le processus enclenché à la libération présente de réelles limites .
• En dépit d'exceptions notables - Philippe Pétain , par exemple -, l'épuration a ménagé les puissants - ministres, membres de cabinets, hauts fonctionnaires.
Les solidarités de caste comme la volonté de préserver les élites nécessaires à la reconstruction du pays expliquent incontestablement cette mansuétude.
• De plus, la collaboration administrative se révèle souvent difficile à établir.
Le personnel judiciaire , pressé et submergé par l'urgence, peine à traiter des cas de toute évidence complexes .
Si les outrances d'un Brasillach s'étalent à longueur de colonnes dans Je suis partout , la collaboration économique
ou administrative est moins facile à cerner .
De même, les complicités françaises dans l'anéantissement de la communauté juive -dont les lois de Vichy ont reslnlR ,.
Mhf1' -ont été sous-estimées et ont rarement constitué le principal chef d'accusation dans les procès de l'après-guerre.
•Enfin, l'indulgence dont ont pu faire preuve les autorités s'inscrit dans la normalité de l'époque : c'est ainsi que nombre d 'anciens vichystes, passés parfois dans la Résistance , ont pu poursuivre une carrière politique ou administrative sous la IV' République .
·C'est d'ailleurs au sujet de l'épuration économique que se manifestent les malentendu s et les différends les plus graves entre l'autorité gouvernementale et les o rganismes de la Rési stance .
Toutefoi s, ce sont des considérations morale s autant qu'économiques qui conduisent à certaines nationalisations d'entreprises de g rande envergure, comme les usine s Renault , même si dans l'ensemble les petits fraudeurs sont plus durement frapp és que les gros industriels .
À bien des égards, l'épuration économ ique aura été la moins réussie.
Si des amendes sont infligées , le nombre des non-lieux va croissant.
Dan s le département du Nord , par exemp le, sur 2154 affaires instruites , 454 seuleme nt débouchent sur de réelles sanctions (21 %).
LES CHIFFRES EN DÉBAT
UN BILAN LARGEMENT EXCESSIF • Concernant le nomb r e de victimes de l'épuration, on a pu avancer des chiffres dont les variations , selon les sources, tiennent évidemme nt au caractère passionnel du contexte .
• Il est d'autant plus diffic ile de s 'y retrouver qu'adversa ires et alliés n 'ont pas hésité à se pencher sur la question .
Que penser , en effet, des 9 000 exéc utions qui auraient déjà eu lieu à Paris et dont fait état le journal allema nd Toges Post le 11 septembre 1944? Les Américains ne sont pas e n r este qui annonce nt en avril 1946 dans The American Mercury que 50 000 personnes auraient été abattues par les communistes dans le seul sud-est de la France.
• Quant aux autorités françai ses, elles ajoutent à une confusion que les adversaires de la Résistance ne manquent pas d'exploiter .
Ainsi, recevant en février 1945 le colonel Passy , un héros de la Résistance, le ministre socia liste de l'intérieur = Adrien Tixier fait mention de 105 ooo victimes , omettant il est vrai, de faire le décompte des victime s des Allemand s et de la Milice .
En forgeant par ama lgame un bilan largement excessif, l e ministre dramatise sans aucun doute une situation encore trouble pour mie u x convai ncre les Français qu'il est plus que jamai s nécessaire de s'en remettre à l'ordre répub licain.
• Il faudra attendre le retour au calme pour commencer à entreprendre un dénombrement plus sérieux.
Deu x enquêtes officielles ordonnées en mar s 1946 et e n novembre 1948, conduites l'une par les Rensei gnements généraux, l'autre par la gendarmerie , concluent à 9 673 exécutions, dont 5 234 antérieures au débarquement du 6 juin 1944 et 4 439 post érieures .
• En 1952 , la gendarmerie se livre à une enquête encore plus fine et aboutit au chiffre de 10 882 exécutions , dont 8 867 directement imputables à la Rési stance - 5 143 avant le 6 juin e t 3 724 après .
• En 1959 , le gén éral de Gaulle reprend un chiffre très voisin (10 842) dans ses Mémoires de guerre .
• La même année, Robert Aron dans son Histoire de la libération de
l a France conteste les chiff res offic ie ls.
S'appuyant sur une dernière enquête entreprise en décembre 1958 et sur des témoignages sujets à caution , il avance un chiffre oscillant entre 30 ooo et 40 ooo exécutions sommaires .
Il maintiendra ce bilan dans son Histoir e de l'épuration .
LE DtNOMBREMENT OFFICIEL • À la fin des années 1970 , une vaste enquête menée par les correspondants départ ementaux du Comité d'hist oire de la Seconde Guerre mondiale finit par imposer un bilan définitif et à ce jour non série usement contesté : il y aurait eu quelque 9 000 exécutions sommaires, auxquelles il convient d 'ajouter les 467 exécutio ns après verdict des cours de justice .
Il est donc acquis que 10 000 Franç ais environ ont été victimes de l'épuration .
Mais il ne fait nul doute que leur nombre aurait été beaucoup plus élevé si les pouvoirs publics n'étaient intervenus rapidement.
L'tPURATION DANS LES PAYS EUROPtENS • Dans les autres pays -Belgique , Danema rk, Pays-Bas , Norvège - , on retrouve des problèmes proche s de ceu x qui se sont posés en Franc e, avec toutefois deux exceptio ns : d'une part, il n'existe pas d 'autorit é
n ée de la défaite analogue au régime de Vichy et, d 'autre part l'occupation allemande y a é té dans l'ensemble moins dure en r ai son de l'absence de maquis et de la brièveté des combats qui ont conduit à la libéra tion.
Pour le reste , l'épuration a été, comme en France , préconisée sous l 'Occupation par les groupements de résistants , dans le double dessein d'éca rter les personnalités qui ont failli à leur devoir et de châtier les agents de l'ennemi.
En Norvège, au Danemark et a ux Pays-Bas, la peine de mort, suppr imée depui s de nombreuse s années, est rétablie à la Libération .
Ainsi, le collaborateur norvégien Vidkun Quisling est arrêté à la libération du pays , traduit devant une H aute Cour de justice et condamné à mort le 10 septembre 1945 .
Dans tous ces pays, l'épuration est vive , mais de courte durée .
•Il reste que la Franc e a é té beaucoup plus clémente pour ses collaborateur s que ses voisins européens -trois personnes pour mille habitants , contre six en Belgique..
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