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Léon Tolstoï

Publié le 27/02/2008

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" Que suis-je ? Un des quatre fils d'un lieutenant-colonel en retraite, resté orphelin à sept ans, sous la tutelle de femmes et d'étrangers, qui n'a reçu d'éducation ni mondaine ni scientifique et s'est trouvé absolument libre, à dix-sept ans, sans grande fortune, sans aucune situation sociale, et surtout sans principes ", note Tolstoï dans son Journal. Déjà il ne se fait pas d'illusions sur sa valeur morale. Déjà, il s'analyse avec l'impitoyable sincérité qui est un de ses traits les plus caractéristiques. " Je suis laid, gauche, malpropre et sans vernis mondain. Je suis irritable, désagréable pour les autres, prétentieux, intolérant et timide comme un enfant. Ce que je sais, je l'ai appris par-ci, par-là, sans suite, et encore si peu ! Je suis indécis, inconstant, extraordinairement ambitieux et violent comme tous les hommes sans caractère. Je suis honnête, c'est-à-dire que j'aime le bien : j'ai pris l'habitude de l'aimer, et quand je m'en écarte, je suis mécontent de moi, et je retourne au bien avec plaisir. Mais il y a une chose que j'aime plus que le bien : c'est la gloire. Je suis si ambitieux, que s'il me fallait choisir entre la gloire et la vertu, je crois bien que je choisirais la première. Oui, je ne suis pas modeste ; c'est pourquoi je suis fier en mon for intérieur et timide et gêné dans le monde. "             Non seulement il est fier, mais orgueilleux, d'un orgueil fait de volonté de puissance et de la ferme conviction qu'une mission prophétique lui est assignée. Dès 1855, il note dans son Journal : " Une conversation sur la divinité et la foi m'a amené à une grande idée, à la réalisation de laquelle je me sens capable de consacrer toute ma vie. Cette idée, c'est la fondation d'une nouvelle religion, correspondant au niveau du développement de l'humanité, la religion du Christ, mais purifiée du dogme et des mystères, une religion pratique  ne promettant pas le bonheur de la vie future, mais donnant le bonheur sur terre. "

« Comme la nature, comme l'enfant, comme le primitif, Tolstoï est toujours sérieux et infiniment “ vrai ”.

“ Le héros demon œuvre, celui que j'aime de toutes les forces de mon âme, celui que je me suis efforcé de reproduire dans toutesa beauté, c'est la vérité...

Une seule chose est nécessaire, aussi bien dans la vie que dans l'art : ne pas mentir.

” Cette maxime s'applique non seulement à ses œuvres mais à toute sa vie.

Poussée par l'esprit absolu, intransigeantde Tolstoï jusqu'à ses plus extrêmes conséquences, elle explique sans doute une partie de ses errements.

Mais, surle plan artistique, ce parti pris d'absolue vérité a donné des résultats incomparables.

Au point de vue de la“ vérité ”, le style de Tolstoï est unique dans la littérature universelle.

Entièrement dépouillé de tout embellissementlittéraire, de tout procédé, de toute convention, il surprend par sa hardiesse, sa précision, sa poétique beauté : undes traits miraculeux de ce style, c'est d'avoir lié, avec un constant bonheur, réalisme et poésie, poésie et vérité.

Tolstoï est le plus exigeant des artistes : “ Plus je vieillis, plus je ressens le désaccord entre les sentiments et les mots.

Ils sont imprécis et faux.

”Ce désaccord n'est qu'une des multiples “ contradictions ” dont eut à souffrir, sa vie durant, cet homme prodigieux.

Comme l'a noté Rilke L182 , Tolstoï était à tout moment le vivant champ de bataille des instincts qui se le partageaient.

De là venait l'exceptionnelle grandeur du spectaclehumain qu'il offrait sans cesse.

Toute sa vie ne fut qu'un combat sans merci entre un puissant instinct de création artistique et un non moinsimpérieux besoin d'anéantir cet instinct.

Il serait épuisant et fastidieux de suivre toutes les métamorphoses de Tolstoï, homme et penseur.

Que de fois on pense au vers deGriboïedov L1406 : “ Il se dirige vers une pièce, mais entre dans une autre ”, tant sont occasionnels, fortuits tels de ses emballements.

Tant il est tenté à la fois par le profond, l'essentiel et par le vain, le frivole.

Il aime le monde, les bals, la beauté des femmes.

(“ Que de poésie dans la toilettede bal d'une femme, que de pensée ! ”).

Il joue aux cartes avec une passion telle que Gorki L1392 peut s'en étonner, noter que “ ses mains deviennent alors nerveuses, qu'on peut croire qu'il tient des oiseaux vivants dans ses doigts et non des morceaux inertes de carton ” ; il est ungrand chasseur, ce qui est, paradoxalement, le cas de tant d'amoureux des bêtes ; un amateur passionné de boxe, de combats de coqs, de toutemanifestation de vie virile et brutale.

Mais, à côté de cela, sa vie profonde est constamment vouée à la recherche de Dieu, à la recherche d'une réponseaux deux problèmes qui le torturent : “ Pourquoi vit-on ? Comment vivre mieux ? ” Cette recherche prend les formes les plus diverses : c'est elle, toujours, qui détermine les activités multiples quiétonnent et déconcertent ses contemporains.

Réformateur social, pédagogue, moraliste, publiciste, créateur de lasecte des tolstoïens, exégète des Écritures, il reste toujours l'homme en quête de Dieu.

L'Évangile, il le violente, lecorrige, le découvre : “ Oui, il peut paraître bizarre que pendant mille huit cents ans personne ne soit arrivé à découvrir cette “ perle ” et que j'aie été le premier ! Et, cependant, c'est ainsi.

” Même la foi, Tolstoï veut la dominer, la plier à sa guise.

Il répétera sans cesse : “ Dieu est mon désir.

” Mais ce désir douloureux, jamais il ne pourrale satisfaire car ce qui lui manque, c'est la faculté même de croire, et l'humilité, et l'oubli de soi-même.

Orgueil, despotisme, désir de voir les autrespenser comme lui.

Individualité puissante, “ monstrueusement proliférante ”, qui, jamais, ne se pliera devant rien.

Même pas devant Dieu.

Car, touten recréant la doctrine évangélique, Tolstoï se sent incapable de vivre en accord avec elle.

Sa vie est en “ criant désaccord ” avec ses croyances.“ Si, au moins, je pouvais souffrir pour mes idées, l'impression qu'elles produiraient serait tout autre ”, se plaint-il.

Mais de tout ce martyre qu'ilrecherche, seule vient le frapper l'excommunication du saint-synode.

“ Votre cas est désespéré ”, lui dira l'ermite Constantin P078 Leontiev L1544 , lors d'une visite de Tolstoï au couvent d'Optina Poustyn.

“ Ses rapports avec Dieu étaient très complexes.

Parfois, ils me faisaient penser à ceux dedeux ours enfermés dans une même tanière ”, écrira plus tard Gorki L1392 .

Refondre l'Évangile, se substituer à ce Dieu avec lequel, disait Ivan Aksakov L1010 , “ il a un compte courant personnel ”, n'est qu'un aspect de l'immense ambition qui habite Tolstoï de donner aux hommes “ le bonheur sur terre ”.

Il ne s'attaque pas seulement aux institutions religieuses,mais veut remodeler l'organisation sociale tout entière : “ L'État, c'est l'oppression, c'est le mal.

” Ce sont toujours les plus mauvais quigouvernent.

Tout exercice de l'autorité est un crime.

“ Les animaux vivent en paix, sans aucune espèce d'oppression organisée ; pourquoi les hommes n'en feraient-ilspas autant ? Il faut aimer ses ennemis et non protéger sa patrie contre eux.

” En toute bonne foi, Tolstoï préconisele refus du service militaire.

Ceux qui écoutent ces préceptes sont poursuivis et punis.

Mais lui, personne ne songe à l'inquiéter et, lorsque,toujours avide de martyre, il demande à être arrêté, le gouverneur de Toula lui répond : “ Nos prisons ne sont pasassez vastes pour contenir votre immense gloire.

” La famille impériale admire et respecte Tolstoï.

Quand, pendant une des famines, qui, périodiquement, ravagent la Russie, Tolstoï déclare à des journalistes étrangers : “ C'est le gouvernement qui nous a poussés jusqu'au bord du précipice ”, Alexandre III P1069 se contente de dire à Alexandrine Tolstoï, dame d'honneur de l'impératrice et tante de l'écrivain, en lui montrant le journal où s'étalent ces paroles sacrilèges : “ Voilà cequ'écrit notre protégé.

Il me trahit auprès de mes ennemis.

” C'est une intervention personnelle de l'empereur qui fait lever l'interdit venu frapper La Puissance des Ténèbres et La Sonate à Kreutzer.

Les hommes qui gouvernent la Russie sentent que Tolstoï échappe à toute commune mesure, qu'il porte en lui un contrepoison puissant, capable de lutter contre ses plus inquiétantes incartades : cecontrepoison, c'est l'admirable équilibre de son art.

On dirait que deux hommes bien distincts l'habitant : l'un,remuant, révolté, troublé, utopique jusqu'à l'absurde ; l'autre, clairvoyant et impartial, étroitement lié à la terre,artisan détenteur d'un art parfait.. »

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