Le despotisme éclairé de Marie-Thérèse d’Autriche
Publié le 14/03/2025
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Texte : Le despotisme éclairé de Marie-Thérèse d’Autriche
“Les excès de la liberté mènent au despotisme ; mais les excès de la tyrannie ne mènent qu'à
la tyrannie.”.
Chateaubriand met ici en garde contre les dangers des excès, qu'ils proviennent de la
liberté ou de la tyrannie, et souligne ainsi l'importance de l'équilibre, montrant que l'excès, quel qu'il
soit, conduit à des formes de domination.
Cette citation de Chateaubriand peut notamment être reliée
aux réflexions des philosophes du Siècle des Lumières, sur la recherche d’un équilibre entre liberté et
autorité.
En effet, les Lumières critiquent les excès de la tyrannie monarchique, tout en mettant en
garde contre un excès de la liberté, qui pourrait mener au chaos.
Les penseurs comme Rousseau,
Montesquieu et Voltaire insistent alors sur la nécessité des lois et de la modération pour éviter que la
liberté ne se transforme en désordre et que ce désordre n’appelle un retour au despotisme.
La notion
de despotisme éclairé quant à elle, s’inscrit précisément dans cette recherche d’équilibre.
Employé
plus largement à partir du XIXe siècle, le terme de despotisme éclairé définit un régime autoritaire
doté d’un pouvoir central fort, mais guidé par les idéaux des Lumières (raison, progrès, justice et bien
commun).
Ce modèle de gouvernement, qui apparaît dans l’Europe des Lumières dès 1740, est
représenté au travers de différentes figures souveraines influentes, qui tentent de réformer leur État
pour limiter les abus de la tyrannie tout en évitant les excès de la liberté révolutionnaire, telles que
Frédéric II de Prusse, Catherine II de Russie, ou encore Marie-Thérèse d’Autriche.
Née en 1717, elle
s’impose comme l’héritière de son père, l’empereur du SERG Charles VI, auquel elle succède à sa
mort en 1740.
Dernière représentante de la maison des Habsbourg, elle parvient à devenir impératrice
malgré les contestations des souverains européens, notamment Frédéric II de Prusse et le prince
électeur de Bavières Charles-Albert, qui engagent la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748).
Par la suite, elle va affirmer sa souveraineté et mener une politique de réformes dans un souci de
rationalisation des institutions, et afin d’exercer son autorité sans entraves.
Ce texte est un extrait du testament politique de Marie-Thérèse d’Autriche, publié par
l’historien Josef Kallbrunner en 1952 sous le nom de Kaiserin Maria Theresias politisches Testament.
Il s’agit d’une compilation de réflexions politiques, morales et administratives de l’impératrice,
composée de six traités différents selon leur importance.
Le premier établit l’état de la monarchie lors
de l’accession de Marie-Thérèse au trône impérial.
Le deuxième évoque les abus dénoncés par
l’impératrice, tandis que le troisième concerne les mesures qui ont été observées lors de la guerre de
Silésie.
Le quatrième, dont est issu notre texte, observe les changements dans la constitution
intérieure.
Le cinquième se penche sur les bénéfices de ces nouvelles institutions.
Enfin, le sixième
affirme la nécessité de maintenir ces institutions établies afin d'éviter la ruine de la monarchie, ainsi
que les moyens à employer pour y parvenir.
Ces écrits sont donc à destination de ses successeurs
politiques, dont font partie ses enfants, et reflètent les dernières volontés politiques et personnelles de
l'impératrice, offrant un éclairage précieux sur son règne.
Né en 1881 à Langenlois en Basse-Autriche, Josef Kallbrunner, est un historien et archiviste
autrichien, diplômé de l’Institut de recherche historique autrichien, où il obtient son doctorat en 1906.
En 1926, il rentre comme archiviste principal au Hofkammerarchiv (archives de la Cour), avant d’en
devenir le directeur six ans plus tard.
Deux ans plus tard, il devient membre de l'Académie allemande
de Munich, établissant un lien important avec les instituts de recherche de l'Allemagne, pour qui il
contribua d’ailleurs à travailler aux recherches sur la migration allemande vers le sud-est et l'est.
Ses
autres travaux se sont penchés sur l'histoire économique et sociale de Vienne, mais il collabora
également pendant la Seconde Guerre mondiale avec l’Institut du Reich pour l’histoire de la nouvelle
Allemagne, en mesurant la part de la population juive dans la vie financière et économique de la
monarchie autrichienne.
C’est dans ce souci de préservation des archives qu’il publia le testament de
Marie-Thérèse d’Autriche.
Dans quelle mesure les réformes politiques et administratives de Marie-Thérèse d’Autriche
illustrent-elles une tentative de concilier autorité monarchique et rationalisation des structures de
l’État dans le cadre du despotisme éclairé ?
Pour cela, nous verrons dans une première partie une volonté de réformes profondes pour
moderniser l’État, avant de nous pencher sur un exercice personnel et centralisé de l’autorité.
Enfin,
nous terminerons par une gouvernance inspirée des principes du despotisme éclairé.
I.
Une volonté de réformes profondes pour moderniser l’État
A. Critique de l’ordre ancien
En 1740, Marie-Thérèse d’Autriche prend la tête des territoires héréditaires de la maison des
Habsbourg, comprenant l’archiduché d’Autriche, les royaumes de Hongrie et de Bohème, les
Pays-Bas ainsi que certains territoires italiens.
Or, ces territoires sont soumis à plusieurs lois
fondamentales, élaborées au cours des siècles depuis le Moyen Âge, qui ont pour Marie-Thérèse, le
besoin d’être réformées (l.
1-2) : “je me trouvai obligée de me séparer de la vieille constitution
traditionnelle avec tout ce qu’elle avait acquis de nuisible”.
Ainsi, le concept de “constitution” au sein
de l’Empire, n’a pas le sens juridique qu’on lui connaît aujourd’hui, mais désigne l’ensemble de ces
lois fondamentales, regroupant traditions et normes juridiques.
On peut prendre pour exemple la Diète
de Worms de 1495, sous Maximilien Ier, qui instaure la paix perpétuelle, prohibant les guerres privées
menées entre les princes de l’Empire afin de régler leurs différends.
L’impératrice souhaite alors
réformer cette (l.
13) : “constitution corrompue”, dont elle jette les dysfonctionnements sur les
ministères et les institutions provinciales (l.
10-12) : “les maux de ma monarchie trouvaient leur
origine dans le fait que chaque ministre et son équipe avait toujours plaisir à jouer les protecteurs et
les avocats de la province dont ils avaient la charge”.
Dans cette citation, Marie-Thérèse d'Autriche
pointe du doigt la fragmentation du pouvoir et le manque d’unité dans la gestion de l’État, provoqué
par les ministres.
Alors que ces derniers sont censés représenter les intérêts de la monarchie dans son
ensemble, ils privilégient leurs intérêts propres plutôt que ceux de la couronne.
Ce qui est rappelé des
lignes 12 à 13 : “et le plus souvent au détriment du bien général et des intérêts de la Couronne”.
En se
positionnant comme “protecteurs” et “avocats” de leurs provinces, ils alimentent une compétition
entre les provinces de la territorialité Habsbourg et empêchent une gestion centralisée et unifiée de
l’État.
S’ajoutent à cela la corruption des magistrats qui fait partie des ces éléments “nuisible” cité par
Marie-Thérèse, qui pouvait prendre plusieurs formes telles que le clientélisme ou bien la manipulation
des contrats et des marchés publics.
Marie-Thérèse justifie alors son ambition de réformer profondément les structures
administratives, pour centraliser et moderniser la monarchie, afin d’en renforcer l’efficacité et la
stabilité.
B. Centralisation et rationalisation
La colonne vertébrale de ses réformes est la centralisation des pouvoirs (l.
17-18) : “j’abolis
les deux chancelleries et je transférai tous les ordres du jour administratifs et militaires non
techniques à un Directoire que je venais de créer”.
Principale institution administrative, la
chancellerie avait en charge la préparation des édits, des décrets et des correspondances nécessaires à
l'administration de l'État.
Chaque province avait ainsi sa propre chancellerie pour traiter ses affaires,
dont les actions étaient reliées avec la chancellerie centrale à Vienne.
En les supprimant, l’impératrice
affirme clairement sa volonté d'unification des États, en effaçant la coexistence d’un pouvoir
monarchique central et d’une certaine autonomie régionale.
Le tout se déroulant en deux semaines,
étant donné que le 1er mai 1749, une première ordonnance crée la Cour supérieure de justice (Oberste
Justizstelle), dont le premier président est le chancelier d’Autriche, le comte Seilern (l.
19-20) : “Pour
l’administration de la justice dans les provinces de Bohême et d’Autriche, j’établis une seule instance
suprême”.
Tandis que le Directoire, déjà cité précédemment, est créé le 14 mai 1749, par une seconde
ordonnance (Directorium in publicis et cameralibus), et prévoit de concentrer les affaires
administratives et financières.
L’objectif est alors à la fois de centraliser le pouvoir auprès de la
monarchie, mais aussi d’éviter qu’il soit concentré entre les mains d’une seule personne disposant
d’une certaine indépendance, favorisant les abus.
Ce pourquoi (l.
21-22) : “J’abolis aussi le titre de
chancelier ; les chefs et les principaux députés du Directoire furent appelés présidents”.
En
remplaçant la chancellerie par des présidents au sein du Directoire, cela instaure une forme de
direction collégiale, visant à répartir les responsabilités et à limiter les risques de centralisation
excessive.
Cependant ceci ne s’applique pas au royaume de Hongrie, (l.
15-17) : “J’abolis dans ce but
tout l’ordre du jour de la Chambre concernant les provinces de Bohême et d’Autriche, et je limitai ses
activités à la Hongrie et aux finances de la Cour”.
En effet, lors de la guerre de Succession
d’Autriche, Marie-Thérèse su faire face à la coalition française qui la menaçait en partie grâce au
soutien de la noblesse magyar (Hongrie), qui conserve alors ses privilèges....
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