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Le coup de Prague

Publié le 17/01/2022

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25 février 1948 - Le drame avait commencé en réalité dix ans plus tôt, lorsque la France, par peur de la guerre et plus encore, peut-être, du communisme, avait décidé d'ignorer le traité qui la liait à la Tchécoslovaquie et d'unir ses efforts à ceux de la Grande-Bretagne pour presser le président Bénès d'accepter pour l'essentiel l'ultimatum d'un Hitler décidé à annexer la région des Sudètes, peuplée en majorité d'Allemands. Les dirigeants de Prague, le chef de l'Etat en tête, en tirèrent la conclusion qu'ils ne pouvaient plus compter sur les démocratie occidentales. Ce sentiment ne put qu'être confirmé par la totale passivité de Paris et de Londres quand, en mars suivant, le Führer compléta l'opération en reconnaissant l'indépendance d'un Etat slovaque fantoche et en en tirant prétexte pour faire passer la Bohême et la Moravie sous le protectorat du Reich. Rayée de la carte, la Tchécoslovaquie commença à renaître de ses cendres lorsque les Allemands, le 1er septembre 1939, envahirent la Pologne. Bénès, réfugié à Londres, constitua un gouvernement provisoire. Dès le déclenchement de l'offensive nazie contre l'URSS, en juin 1941, il oublia que celle-ci avait reconnu la mainmise de Berlin sur son pays et que les communistes tchécoslovaques n'avaient cessé depuis deux ans de le traîner dans la boue. Il se rendit à Moscou en 1943 pour y conclure un traité d'alliance avec Staline, et fit entrer des représentants du PCT dans son cabinet. Il devait s'expliquer sur son attitude devant de Gaulle : " Les Russes arrivent aux Carpates. Mais les Occidentaux ne sont pas près de débarquer en France. C'est donc l'armée rouge qui libérera mon pays... C'est avec Staline qu'il faut m'accorder. Je viens de le faire, et à des conditions qui n'hypothèquent pas l'indépendance de la Tchécoslovaquie. " C'est bien l'armée rouge qui, effectivement, entra la première en Slovaquie, et c'est dans le territoire qu'elle contrôlait que fut constitué un gouvernement à Kosice, en avril 1945, en application d'un accord conclu à Moscou entre Bénès et les représentants du Parti communiste, conduits par le secrétaire général, Klement Gottwald, Rudolf Slansky, son adjoint et sa future victime, et d'autres personnages. Bénès demeurant président de la République, on s'entendit pour confier la direction du gouvernement au social-démocrate de gauche Fierlinger, alors ambassadeur à Moscou. Deux vice-présidents du conseil communistes furent nommés à ses côtés : Gottwald pour les Tchèques et Siroky pour les Slovaques. Les communistes recevaient seulement cinq autres portefeuilles, mais l'intérieur figurait au nombre de ceux-ci. On ignorait à l'époque que le général Svoboda, ministre de la défense, l'actuel président de la République, était secrètement membre du parti. En Bohême, en revanche, c'est l'armée américaine qui pénétra d'abord, à la veille de la capitulation du Reich. Le 4 mai, Prague se souleva. Les blindés de Patton étaient aux portes de la ville. Churchill pressa Truman de les y faire entrer. N'était-on pas convenu à Yalta que c'est aux premières unités à arriver à Berlin, Vienne et Prague qu'il appartiendrait de les libérer ? Mais Eisenhower, alors commandant en chef, voulait s'arrêter sur la ligne Karlovy-Vary-Pilsen-Budejovice. " Pourquoi, disait-il, risquer la vie d'un seul soldat américain ou britannique pour occuper un pays que nous ne tarderons pas à remettre aux Russes ? " C'est seulement en 1968 qu'on devait apprendre, par la confidence d'un lieutenant de M. Dubcek, que des contacts avaient été pris à l'époque entre les Américains et la résistance tchèque, mais que les communistes qui se trouvaient à sa tête avaient rejeté toutes les propositions d'aide. Moyennant quoi, la passivité des soldats de Patton, à l'époque, a certainement contribué à ancrer les Tchèques hostiles au communisme dans l'idée qu'il ne fallait décidément pas compter sur les Occidentaux. La guerre finie, la Tchécoslovaquie, qualifiée par Gottwald de " démocratie de type nouveau ", parut un modèle parfait de ce que pourrait être un pays ami à la fois de l'Est et de l'Ouest. Partis marxistes et les bourgeois coopéraient sans grande difficulté à l'application du programme arrêté d'un commun accord, en avril 1945, à Kosice. Staline avait-il décidé dès cette époque de préparer la conquête du pouvoir par la force par les communistes ? Rien n'est moins sûr. Les élections se déroulèrent, en mai 1946, d'autant plus librement que le Parti communiste, auréolé de la gloire de la résistance et du rôle libérateur joué par l'URSS, pouvait espérer s'y tailler la part du lion. Il obtint effectivement 38 % des voix (42 % en Bohême, mais 30 % seulement en Slovaquie) contre 18,2 % aux socialistes nationaux de Bénès, 12,8 % aux sociaux-démocrates de Fierlinger et 15,8 % aux populistes (catholiques). Avec cent quatorze sièges, il manquait cependant la majorité absolue. Mais Fierlinger décida de s'allier avec lui, et les partis marxistes l'avaient à eux deux; Bénès dut confier à Gottwald la formation du nouveau gouvernement, au sein duquel les quatre partis continuèrent d'ailleurs de coopérer paisiblement, Jan Masaryk, fils du fondateur de la première République, conservant les affaires étrangères. Les Yougoslaves-les gauchistes d'alors-brocardaient cette combinaison en disant que la Tchécoslovaquie était une " démocratie populaire à 0,1 % ". Les choses ne se gâtèrent qu'en 1947. Après l'échec de la conférence des ministres des affaires étrangères des Quatre à Moscou, au début de l'année, Truman se lança dans la politique d' " endiguement " du communisme. Gottwald donna une réponse de principe positive à la proposition que lui faisait Washington de faire bénéficier la Tchécoslovaquie du programme Marshall. Mais Staline ne l'entendait pas de cette oreille. Le chef du gouvernement de Prague, convoqué à Moscou, fut sommé de revenir sur sa décision, et, bien entendu, obtempéra. " Nous ne sommes plus des vassaux ", devait constater Jan Masaryk devant son collègue Ripka. Pour le Kremlin, comme devait l'expliquer Jdanov, en octobre, à la session constitutive du Kominform, " deux camps s'étaient formés dans le monde ", et il fallait choisir entre eux. La Tchécoslovaquie, dans ces conditions, ne pouvait espérer préserver bien longtemps sa position de pont entre les deux Europes. L'URSS le fit comprendre à Bénès, qu'elle obligea à suspendre les négociations en cours avec Paris pour conclure une alliance contre... l'Allemagne. Cette orientation nouvelle, coïncidant avec l'aggravation continuelle de la situation alimentaire, suscita dans toute une partie de l'opinion un vif mécontentement. Les partis bourgeois virent leurs effectifs se gonfler brusquement, et les sociaux-démocrates, en novembre, mirent à leur tête, à la place de Fierlinger, acquis à la collaboration avec les communistes, un représentant de l'aile droite. Or des élections devaient se dérouler en mai 1948. Craignant de les perdre, le PCT, qui détenait tous les postes-clés, s'employa à consolider son emprise. Déjà, il s'était attaqué à la Slovaquie, région en majorité rurale, bastion de la résistance à ses idées. Prenant prétexte des manifestations qui avaient suivi l'exécution de Mgr Tiso, ancien président du gouvernement pro-nazis de Bratislava, il avait annoncé la découverte d'un complot et dissous le cabinet slovaque. De son côté, le ministre communiste de l'intérieur, Nosek, avait commencé à épurer la police et à distribuer des armes aux milices ouvrières. Au début de 1948, un sondage d'opinion, qui ne devait être rendu public qu'au moment du printemps de Prague, montra que les communistes, qui avaient obtenu 38 % des voix en 1946, comme on l'a vu, ne pouvaient plus en espérer que 28 %. Aux élections universitaires de décembre, les candidats du parti n'avaient d'ailleurs obtenu que 20 % des suffrages. Dans le climat de guerre froide qui prévalait à l'époque, il était inconcevable que le PCT se laisse évincer tranquillement du pouvoir. Il se prépara donc à l'épreuve de force. L'occasion en fut donnée par la décision de Nosek de révoquer huit hauts fonctionnaires de la sûreté pour les remplacer par des hommes de confiance. A l'initiative des socialistes nationaux-le parti de Bénès,-la majorité du gouvernement invita Gottwald à rapporter sa décision, ce à quoi il se refusa. Douze ministres démissionnèrent alors, croyant naïvement entraîner la chute du gouvernement. C'était le 20 février 1948. Trois jours plus tôt, le comité central communiste avait invité les travailleurs à se rassembler " pour faire échouer les plans de la réaction " et, déclencher une vive campagne à laquelle la presse soviétique faisait largement écho. Le 19 février, M. Zorine, alors vice-ministre des affaires étrangères de l'URSS, était arrivé dans la capitale tchèque. Intimidés, les ministres sociaux-démocrates renoncèrent à se solidariser avec leurs collègues bourgeois. Gottwald mit alors Bénès en demeure d'accepter la démission de ces derniers, pour lui permettre de former un gouvernement " sans réactionnaires ". Le président refusa. Mais des dizaines de milliers d'ouvriers commencèrent à défiler, l'arme à la bretelle, dans les rues de Prague, tandis que la police dispersait, en tirant, une manifestation d'étudiants, que Nosek accusait les dirigeants socialistes nationaux d'avoir organisé un complot, que l'extrême gauche s'emparait du siège du comité central social-démocrate, au moment où celui-ci était en train de délibérer. Quant à Svoboda, que Bénès avait interrogé sur son attitude au cas où les communistes tenteraient de prendre le pouvoir par la force, il consignait chez eux les officiers supérieurs anticommunistes. Le président savait, depuis Munich, qu'il n'avait rien à attendre de l'Occident. Il s'inclina et gagna sa ville natale de Sezimovo-Usti, après avoir approuvé la formation d'un gouvernement composé exclusivement de communistes et de socialistes de gauche, à la seule exception des affaires étrangères, que conservait Jan Masaryk. Le 10 mars, on devait retrouver le cadavre de celui-ci au pied de la fenêtre de sa salle de bains. S'était-il donné la mort ou l'avait-on poussé ? On ne le sait pas encore de manière sûre. Le 9 mai, une nouvelle Constitution était adoptée. Elle gardait une teinture libérale, mais les élections du 30 mai se déroulèrent selon le système de la liste unique, les communistes recevant 239 sièges, contre 61 aux autres partis. Bénès préféra céder sa place à Gottwald plutôt que d'approuver la nouvelle Constitution. Il devait mourir le 3 septembre. Les larmes de la foule immense qui suivit ses obsèques disaient assez ses sentiments. Une nouvelle période de ténèbres commençait pour la Tchécoslovaquie. ANDRE FONTAINE Le Monde du 26 février 1973

« la proposition que lui faisait Washington de faire bénéficier la Tchécoslovaquie du programme Marshall. Mais Staline ne l'entendait pas de cette oreille.

Le chef du gouvernement de Prague, convoqué à Moscou, fut sommé de revenirsur sa décision, et, bien entendu, obtempéra.

" Nous ne sommes plus des vassaux ", devait constater Jan Masaryk devant soncollègue Ripka. Pour le Kremlin, comme devait l'expliquer Jdanov, en octobre, à la session constitutive du Kominform, " deux camps s'étaientformés dans le monde ", et il fallait choisir entre eux.

La Tchécoslovaquie, dans ces conditions, ne pouvait espérer préserver bienlongtemps sa position de pont entre les deux Europes.

L'URSS le fit comprendre à Bénès, qu'elle obligea à suspendre lesnégociations en cours avec Paris pour conclure une alliance contre...

l'Allemagne. Cette orientation nouvelle, coïncidant avec l'aggravation continuelle de la situation alimentaire, suscita dans toute une partie del'opinion un vif mécontentement.

Les partis bourgeois virent leurs effectifs se gonfler brusquement, et les sociaux-démocrates, ennovembre, mirent à leur tête, à la place de Fierlinger, acquis à la collaboration avec les communistes, un représentant de l'ailedroite. Or des élections devaient se dérouler en mai 1948.

Craignant de les perdre, le PCT, qui détenait tous les postes-clés,s'employa à consolider son emprise.

Déjà, il s'était attaqué à la Slovaquie, région en majorité rurale, bastion de la résistance à sesidées. Prenant prétexte des manifestations qui avaient suivi l'exécution de Mgr Tiso, ancien président du gouvernement pro-nazis deBratislava, il avait annoncé la découverte d'un complot et dissous le cabinet slovaque.

De son côté, le ministre communiste del'intérieur, Nosek, avait commencé à épurer la police et à distribuer des armes aux milices ouvrières. Au début de 1948, un sondage d'opinion, qui ne devait être rendu public qu'au moment du printemps de Prague, montra queles communistes, qui avaient obtenu 38 % des voix en 1946, comme on l'a vu, ne pouvaient plus en espérer que 28 %.

Auxélections universitaires de décembre, les candidats du parti n'avaient d'ailleurs obtenu que 20 % des suffrages. Dans le climat de guerre froide qui prévalait à l'époque, il était inconcevable que le PCT se laisse évincer tranquillement dupouvoir. Il se prépara donc à l'épreuve de force.

L'occasion en fut donnée par la décision de Nosek de révoquer huit hautsfonctionnaires de la sûreté pour les remplacer par des hommes de confiance.

A l'initiative des socialistes nationaux-le parti deBénès,-la majorité du gouvernement invita Gottwald à rapporter sa décision, ce à quoi il se refusa.

Douze ministresdémissionnèrent alors, croyant naïvement entraîner la chute du gouvernement.

C'était le 20 février 1948. Trois jours plus tôt, le comité central communiste avait invité les travailleurs à se rassembler " pour faire échouer les plans de laréaction " et, déclencher une vive campagne à laquelle la presse soviétique faisait largement écho.

Le 19 février, M.

Zorine, alorsvice-ministre des affaires étrangères de l'URSS, était arrivé dans la capitale tchèque.

Intimidés, les ministres sociaux-démocratesrenoncèrent à se solidariser avec leurs collègues bourgeois.

Gottwald mit alors Bénès en demeure d'accepter la démission de cesderniers, pour lui permettre de former un gouvernement " sans réactionnaires ". Le président refusa.

Mais des dizaines de milliers d'ouvriers commencèrent à défiler, l'arme à la bretelle, dans les rues dePrague, tandis que la police dispersait, en tirant, une manifestation d'étudiants, que Nosek accusait les dirigeants socialistesnationaux d'avoir organisé un complot, que l'extrême gauche s'emparait du siège du comité central social-démocrate, au momentoù celui-ci était en train de délibérer.

Quant à Svoboda, que Bénès avait interrogé sur son attitude au cas où les communistestenteraient de prendre le pouvoir par la force, il consignait chez eux les officiers supérieurs anticommunistes. Le président savait, depuis Munich, qu'il n'avait rien à attendre de l'Occident.

Il s'inclina et gagna sa ville natale de Sezimovo-Usti, après avoir approuvé la formation d'un gouvernement composé exclusivement de communistes et de socialistes de gauche, àla seule exception des affaires étrangères, que conservait Jan Masaryk.

Le 10 mars, on devait retrouver le cadavre de celui-ci aupied de la fenêtre de sa salle de bains.

S'était-il donné la mort ou l'avait-on poussé ? On ne le sait pas encore de manière sûre.

Le 9 mai, une nouvelle Constitution était adoptée.

Elle gardait une teinture libérale,mais les élections du 30 mai se déroulèrent selon le système de la liste unique, les communistes recevant 239 sièges, contre 61aux autres partis.

Bénès préféra céder sa place à Gottwald plutôt que d'approuver la nouvelle Constitution.

Il devait mourir le 3septembre.

Les larmes de la foule immense qui suivit ses obsèques disaient assez ses sentiments.

Une nouvelle période deténèbres commençait pour la Tchécoslovaquie.. »

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