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LA PROMENADE DU PEUPLE DES VILLES (FIN XVIIIe - XIXe S.). L'EXEMPLE DU PEUPLE DE PARIS

Publié le 16/08/2012

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Si par malheur votre habitation est située dans un quartier où l'air pur vous manque, c'est le cas d'aller vous et les vôtres prendre l'heure de votre repos dans un de ces charmantes jardins que l'administration a sagement disséminés partout dans la ville : ce sont ces délicieuses promenades, ce sont surtout de véritables bains d'air où l'ouvrier vient rafraîchir ses poumons et revivifier son sang, où ses enfants peuvent jouer sans danger sous l'œil de leur mère. Voilà, Messieurs, une heureuse innovation ! Voilà de l'hygiène et de la meilleure !  La fonction sociale des squares est aussi évoquée par Charles Robert, en faisant l'éloge de l'œuvre sociale du Second Empire :  L'Empereur a voulu mettre à la portée des classes ouvrières qui habitent les quartiers populeux de la verdure et des fleurs…  Les squares, dont le nombre augmente en effet considérablement sous le Second Empire qui en crée 24, avec une certaine concentration dans les quartiers populaires de la capitale , remplissent donc surtout la fonction de présenter un promenoir à l'ouvrier le soir après l'ouvrage, et à sa famille pendant la journée. Cet endroit de voisinage se substitue ainsi au cabaret, et l'air frais et la jouissance de la nature à la consommation d'alcool et d'ouvrages licencieux et révolutionnaires qu'on trouve dans les débits de boissons.  Pour la sortie du dimanche, en revanche, c'est la création des parcs des Buttes-Chaumont et de Montsouris, ainsi que l'aménagement du Bois de Vincennes, qui doivent servir de réceptacle pour les foules populaires de promeneurs. 

« Commerce de Paris confirme cette coutume des classes laborieuses de se porter vers l'extérieur de la ville, pour échapper aux mauvaises conditions hygiéniques deleurs quartiers, pour se mettre à la recherche d'un air pur, ainsi que de divertissements et de vin moins cher .Mais de loin plus important pour notre propos est la promenade intra-muros du peuple.

Suite au processus de démocratisation des promenoirs, entamé depuis leXVIIe siècle, la promenade urbaine semblerait se caractériser par un brassage des divers états et classes de la société , malgré les quelques interdits qui frappentencore les classes populaires avant 1848.

L'affluence du peuple parisien concerne alors surtout certaines promenades de la capitale.

Les Champs-Elysées sont à citerdans ce contexte.

Sous l'Ancien Régime, le compagnon vitrier Ménétra s'y rend à plusieurs reprises pour regarder les joueurs au battoir .

Le peuple de Paris continueensuite, après la Révolution, à fréquenter cette avenue.

Selon L.

Prudhomme en 1807, il apprécierait notamment les nombreuses guinguettes qui longent cette vasteavenue .

Une vraie vie foraine et festive attirera dans la suite le peuple de Paris aux Champs - Elysées : il y trouve des chanteurs et autres musiciens, saltimbanques,bateleurs, jongleurs, mais aussi cafés, restaurants, panoramas, cirques, ou encore le Colisée avec son lac, présentant des joutes de bateliers :Voilà un paillasse qui marche sur la tête, voilà une femme qui porte sur sa poitrine un tabouret sur lequel un homme est assis, et l'homme tient encore un petit garçondans ses bras, et le petit garçon tient un lapin par ses oreilles… Par ici, c'est un homme qui avale les épées ; par là c'est un autre qui joue avec une barre de fer rougecomme s'il tenait dans ses mains un bouquet de violettes, et tout cela est accompagné de musique, et quelle musique !… Une grosse caisse, une petite caisse, descymbales, des clarinettes, des cors de chasse, des triangles, des pavillons chinois […] Des enfants qui courent et jouent ; des jeux de boules … .Les boulevards parisiens, et surtout la partie qui s'étend de la Bastille à la Madeleine, est ensuite une des promenades les plus prisées des Parisiens à l'intérieur desbarrières .

Cette promenade, en vogue depuis le XVIIIe siècle, connaît son apogée depuis le règne de Louis XVI jusqu'à la Belle Epoque.

Plantés d'arbres et offrantune promenade ombragée, condition primordiale d'un promenoir, les boulevards offrent aussi un aspect commercial, tout comme ils se transforment en un lieu defoire et d'animation, selon cette description d'Elénore Vaulabelle, datant d'un dimanche de mars 1834, qui décrit la vie entre le boulevard Saint-Antoine et Saint-Martin :Là, crient, mentent, dansent, volent, baladins, paillasses, escamoteurs, phénomènes.

Ongueurs, pastilles, limes métalliques, sabres qui arrachent les dents à la pointede l'épée, femmes qui ont la poitrine à la rotule, poules à visage humain taillé avec des ciseaux, géants à la mécanique, hauts de cinq ou de douze pieds, à la volontédes amateurs, enfants bicéphales, monstres marins du canal de l'Ourq, sauvages de la rue de Bondy, albinos de carrefour, chiens qui jouent de la trompette, lapinsmembres de l'académie, carpes qui font des sauts de mouton, diseurs de bonnes aventures, jeux où à tout coup le banquier gagne, marionnettes, spectacles aériens,grands hommes de cire, scélérats peints, mangeurs de cailloux, avaleurs de limailles, hommes incombustibles ou invisibles, danseurs de corde, physiciens,astrologues, astronomes, astrophages, tout conspire contre la bourse et la curiosité du passant.Paul de Kock confirme en 1842 cette vie animée de la promenade des boulevards, tout en précisant son caractère social :Aucune ville n'offre, comme Paris, une promenade aussi belle, aussi étendue, aussi variée, que cette longue suite de boulevards qui se trouve dans son enceinte.

C'estune foire perpétuelle, un panorama vivant, où l'observateur peut passer en revue les diverses classes de la société, apprendre les manières, les modes, et presque lesusages de chaque quartier ; car il y a une différence bien grande entre les habitants du boulevard des Italiens et ceux du Pont-aux-Choux, entre les promeneurs deCoblentz et ceux du boulevard du Jardin-Turc .Le boulevard n'est donc pas homogène sociologiquement.

Il a ses parties à la mode, entre la Madeleine et la rue Montmartre, qui est fréquentée surtout par les gens àla mode, les “ fashionables ”, dont la promenade ne possède aucun caractère populaire.

C'est plutôt dans les parties orientales du boulevard que l'homme du peupleapparaît.

Ici, la foule qui fréquente les nombreux théâtres des boulevards Bonne Nouvelle, Saint - Martin et surtout celui du Temple, se compose de diverses classes.Avant les transformations haussmanniennes, c'est le boulevard du Temple qui constitue la partie la plus animée de l'ensemble des boulevards.

Il a obtenu cetteréputation et cette animation d'abord grâce à l'apparition de faiseurs de tours et de charlatans, et ensuite à l'installation de troupes de théâtre par Nicolet et Audinot àla fin de l'Ancien Régime.

Déjà à cette époque, ce boulevard est rempli de promeneurs le dimanche, qui cherchent à lier le plaisir de la promenade et celui duspectacle .

Pendant près d'un siècle, des bals, cabarets, restaurants, “ cafés de bas étage ”, forains, marionnettes, danseurs de corde, pantomimes, montreurs demonstres et autres “ artistes ” vont transformer ce boulevard rempli de théâtres, en une foire permanente .

Ce spectacle perpétuel attire, selon un témoignage de 1855,un public surtout populaire des quartiers du centre de la ville et de ses faubourgs, ainsi que des communes suburbaines à caractère populaire, comme La Villette.

Cepublic y fait régner l'odeur de la bière et du tabac de pipe, symboles d'une culture populaire méprisée par les élites .Si les Grands Boulevards connaissent ainsi, jusqu'au début du Second Empire, une grande affluence populaire, ce n'est pas le cas des boulevards de la rive gauche,déserts six jours sur sept, et dont seules certaines parties se peuplent le dimanche, notamment celle située vers la barrière Montparnasse :Quelques jolis jardins, un spectacle soi-disant dramatique, mais qui ne peut passer que pour du bas comique, vu le talent des acteurs qui y paraissent ; les montagnesrusses, des danses de la franche gaieté et la modicité du prix, y attirent beaucoup de monde… .N'oublions pas, pour conclure cette partie portant sur les lieux de promenade du peuple parisien, les vauxhalls, jardins - spectacles et jardins de montagne qui setrouvent le long des grandes promenades, avec une forte concentration sur le boulevard du Temple.

Danses, boisson, et autres divertissements s'y côtoient et en fontdes lieux à la mode depuis la deuxième moitié du XVIIIe siècle.

L'entrée de ces jardins se démocratise progressivement, et le fameux Paphos, situé au boulevard duTemple, ne coûte plus que 75 centimes en 1800, les autres un franc, boisson comprise.

De cette manière, ils sont accessibles à un public populaire .

Or l'opinionpublique condamne vite ces jardins-spectacles, et notamment la présence populaire dans leurs enceintes .Ces promenades - spectacles dans un sens vaste ne possèdent évidemment pas le monopole de la promenade populaire intra-muros avant 1860, qui s'étend aussi dansles jardins des Tuileries (malgré la sélection à l'entrée), du Luxembourg et des Plantes, l'ancien Jardin Royal, mais elles attirent la plus grande partie car ledivertissement, comme dans les guinguettes en dehors des barrières, est assuré.

La promenade du peuple, aussi bien dans sa forme extra-muros qu'intra-muros,semble donc satisfaire surtout un besoin, celui de se divertir et de procurer un peu de plaisir.

Une conséquence de cet engouement populaire pour ces promenades,notamment celles à l'intérieur des barrières, est donc que le peuple, déjà depuis la fin de l'Ancien Régime, et durant les premières décennies du XIXe siècle, imposeson empreinte dans l'espace public, au moins pendant un jour de la semaine, le dimanche. Les formes de ségrégation sociale sur les promenades parisiennes Les diverses classes utilisent donc les mêmes promenades, mais sans provoquer le brassage social qu'on aurait pu supposer.

Les élites utilisent en effet plusieursstratégies, spatiales et temporelles, pour éviter le contact avec le peuple, au même titre que les élites des villes de province .

Déjà sous l'Ancien Régime, les “ gens dubon ton ” ne sortent pas les dimanches et jours de fêtes, abandonnant ces jours-là les promenades (et spectacles) au peuple .

Le boulevard du Temple connaît ainsi lejeudi une grande affluence des gens équipés de voitures, quand ils se sentent à l'abri du peuple qui, ce jour-là au moins, est supposé travailler .Cette stratégie temporelle d'une séparation sociale des promenades est maintenue, voire renforcée après la Révolution.

La “ haute société ”, écrit Paul de Kock en1844, reste chez elle le dimanche pour ne pas se mêler aux marchands, boutiquiers, employés, artisans, ouvriers et au peuple en général : si un des membres de cette“ haute société ” est obligé de sortir le dimanche, il se salit exprès (bottes non vernies, plus vieil habit, pantalon taché, chapeau sale et déformé)ayant l'air de narguer les bonnes gens qui se font superbes ce jour-là, il se fait laid, lui, parce que c'est encore le bon genre de se montrer aussi sale que possible ledimanche .Or ce jour-là, toujours selon le même témoin, les promenades sont couvertes de monde : aussi bien les Champs-Elysées que les boulevards, aussi bien les Tuileriesque le Palais Royal .Abstraction faite d'une certaine exagération littéraire et humoristique, P.

de Kock montre cependant l'essentiel - la séparation temporelle que les classes élevées etoisives ont établie pour éviter le contact avec le peuple.

Balzac, dans La fille aux yeux d'or, publié en 1834, ne montre rien d'autre quand il dépeint, d'un côté,l'affluence populaire aux Tuileries un dimanche, et de l'autre côté, l'étonnement de deux aristocrates, qui s'y trouvent ce jour-là .La deuxième stratégie qu'appliquent les “ gens du monde ” pour éviter le contact avec le peuple, est de nature spatiale.

Si sous l'Ancien Régime l'interdiction decertaines promenades au peuple, comme les Tuileries, engendre encore des cloisons sociales, la Révolution change ces données.

Mais les élites répondent au nouvelengouement populaire pour certaines promenades, comme l'allée centrale des Tuileries, le grand rendez-vous de l'aristocratie et du “ beau monde ” en général avant. »

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