La guerre polono-soviétique de 1920 (histoire)
Publié le 10/11/2018
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ÉCHEC L'ARMEE ROUGE
Partagée à trois reprises entre la Russie, la Prusse et l'Autriche depuis 1772, la Pologne est ressuscitée par le traité de Versailles (1918). La question des frontières orientales se pose très rapidement et avec une acuité telle que rien ne permet d’exclure un nouveau conflit. Les Polonais souhaitent en effet revenir aux frontières de 1772, c'est-à-dire à une Pologne d'avant les partages qui inclurait la Lituanie, la Ruthénie et l'Ukraine. De plus, conscient d'une menace bolchevique en Allemagne, qui se traduirait par la création d'une frontière germano-soviétique lourde de menace pour la Pologne, le chef de l'État, le maréchal Pilsudski, se tourne vers l'est où seule la ligne Curzon délimite une frontière provisoire entre État polonais et État russe.
En avril 1920, les Polonais envahissent l'Ukraine, mais ils sont repoussés par les Soviétiques qui se portent sur Varsovie. Soutenue par des conseillers militaires français, l'armée polonaise repousse l'Armée rouge qui doit demander un armistice en octobre 1920. Archaïque par les armements employés, la guerre polono-soviétique n'en a pas moins été une guerre moderne, caractérisée par la mobilisation totale - militaire, politique, économique et idéologique - des deux adversaires.
POLOGNE ET RUSSIE APRÈS LA GRANDE GUERRE
La question de la frontière ORIENTALE DE LA POLOGNE
• Le traité de Versailles, conclu le 28 juin 1919, a posé les bases d'un règlement des frontières occidentales de la Pologne. Malgré des tensions au sujet de certains territoires revendiqués par Varsovie, notamment en Prusse-Orientale -Marienwerder et Allenstein ont choisi par plébiscite leur maintien dans le Reich - et en haute Silésie, où des heurts violents opposent Polonais et Allemands, le tracé des frontières à l'ouest ne sera pas remis en question.
• Il en va autrement en ce qui concerne les frontières orientales. À la fin de 1918, alors que les troupes allemandes évacuent l’Ukraine et la Pologne orientale, les troupes soviétiques réoccupent les territoires ainsi abandonnés.
Dès le début de 1919, elles atteignent le Bug. Une contre-offensive menée à la fin de l'année 1919 par l'armée polonaise de Pilsudski les rejette loin en Biélorussie et en Ukraine.
• La ligne Curzon est loin de donner satisfaction aux Polonais qui réclament tous les territoires de Lituanie, de Russie blanche et d'Ukraine, lesquels faisaient partie au xviiie siècle de l’ancien royaume de Pologne.
La Russie et la guerre civile
• En Russie, les bolcheviques doivent faire face aux menées contre-révolutionnaires des Blancs qui, sous la conduite de chefs militaires prestigieux - notamment Denikine, Wrangel, Koltchak -parviennent à se rendre maîtres de la quasitotalité de l'Ukraine, fin août 1919, et marchent sur Moscou, s'emparant de Koursk, le 21 septembre, et d'Orel, le 13 octobre.
• Toutefois, la mésentente qui règne dans les rangs des Blancs permet à la toute jeune Armée rouge de Trotski de contre-attaquer avec succès. Mais c'est une Russie extrêmement affaiblie, où la famine sévit tant dans les villes que dans les campagnes, qui doit faire face aux revendications territoriales de la Pologne. Une Pologne où la haine des Russes - associés à tous les partages du pays depuis 1772 - est extrêmement vive. Et une Russie où Lénine entend porter le plus à l'ouest le drapeau rouge.
À L'ASSAUT DE L'UKRAINE
La prise de Kiev
• Le 24 avril 1920, les Polonais envahissent l'Ukraine où ils bénéficient du soutien du chef anticommuniste Petlioura.
Attaque de l'Ukraine par les Polonais Kiev aux mains des Polonais Contre-offensive soviétique à Kiev Contre-attaque soviétique à Grodno Prise de Brest-Litovsk par l'Armée rouge Contre-attaque de Pilsudski devant Varsovie Reprise de Brest-Litovsk par les armées polonaises Victoire totale des Polonais et déroute des Soviétiques Signature du traité de Riga
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Parallèlement, Paris et Londres décident d'envoyer une mission franco britannique à Varsovie pour favoriser la tentative d'armistice et galvaniser la résistance des Polonais .
Le 13 juilleL Moscou reçoit une note franco britannique invitant l'Armée rouge à ne pas dépasser la ligne Curzon- elle l'est déjà -, Paris et Londres se réservant de soutenir la Pologne par tous les moyens qui seront jugés nécessaires .
• À Moscou, les victoires sur les Polonais ont provoqué un formidable enthousiasme .
Le Politburo délibère dans une ambiance de fierté nationale .
Trotski soutient qu'il faut accepter la médiation franco-britannique .
Radek est du même avis.
Mais une fois de plus Lénine fait valoir ses arguments .
Voyant dans la position de Paris et de Londres la preuve de la panique qui s 'est emparée du capitalisme, il s'écrie que la révolution mondiale passe sur le cadavre de la Pologne et donne trois semaines à l'Armée rouge pour s 'emparer de Varsovie.
LE PLAN SOVIhiQUE • Les forces victorieuses en Ukraine (IV' armée et armée de cavalerie) doivent faire route vers le nord-ouest et marcher sur Varsovie .
Mais son commandanL le général Yegorov, entend toucher personnellement les dividendes des succès soviétiques .
Il décide de prendre Lemberg avant d 'infléchir sa progression .
En conséquence, la progression convergente impliquée par le plan fait place à une progression parallèle: Minsk-Varsovie pour le groupe d'armée du Nord , Kiev-Lemberg pour le groupe d'armées du Sud.
• Le 19 juilleL les Russes franchissent le Niemen à Grodno.
La Narew est atteinte à Bialystok le 28 juillet.
Toutes les rivières de la toponymie des batailles sont de fait des affluents de la Vistule convergeant vers la capitale polonaise .
LE RÉTABLISSEMENT POLONAIS
LA M ISSION FIIANÇAISE DE WEYGAND • Entre-temps , une mission franco britannique est arrivée à Varsovie au terme d'un voyage épuisant.
La mission doit parlementer pour pouvoir pénétrer sur le territoire allemand et payer 7 500 francs cash repré sentant le prix d'un remorquage par une locomot ive de la Reichsbahn .
La traversée de l'Allemagne permet de mesurer combien la défaite des Polonais transporte les Allemands de joie .
Un arrêt à Prague ne réchauffe pas la confiance: Tom11s MIISIIrik_ le président de la République tchèque, peine à masquer la jubilation que lui cause la déroute de Pilsudski .
le chef de l'État avertit que la Tchécoslovaquie entend rester neutre quoi qu'il arrive .
• Au terme d'un voyage qui aura duré 60 heures , le général Maxime Weygand -chef de la délégation française -et le vicomte d 'Abernon- son homologue britannique -sont accueillis par Pilsudski avec froideur.
Pendant trois ~------------ -l heures , ce dernier met en doute l'utilité P ilS UDS KI ET WEYGAND
• La France qui s 'est fait l'avocat de la Pologne au lendemain de la Première Guerre mondiale peine à masquer son exaspération devant les revendications territoriales de Varsovie.
Pour auatnL Paris n'a d'autre choix que soutenir le général Pilsudski lorsque l'Armée rouge est sur le point d 'envahir la Pologne et donc de porter la menace communiste à l'ouest .
• Dans son livre, l'Année 1920 , le général Pilsudski, agacé par la position de Paris, s'en prend avec une ironie amère au chef de la mission française, le général Maxime Weygand .
• •Il se livrait à de longues études théoriques dans lesquelles la bataille de la Marne revenait comme un leitmotiv.
Les avis de mon chef d'état-major, le général Rozwadowski, et ceux du général Weygand étaient extraordinairement divergents .
Je riais de les voir communiquer entre eux par des notes diplomatiques, d'un bureau à l'autre du palais de la place Saski.
»
• De son côté, Weygand reconnaît que ses rapports avec Pilsudski étaient difficiles et rares: •Il s'asseyait à notre table ronde, nous écoutait plus ou moins longtemps et se retirait le plus souvent sans avoir ouvert la bouche.» • Des discussions • auxquelles, précise le généralissime polonais, je prêtais parfois involontairement l'oreille».
• Il est difficile d'apprécier l'apport de Weygand dans la victoire finale des Polonais, tant ces derniers se sont employés à minimiser son rôle.
de la mission alliée.
D 'ailleurs , la fierté polonaise interdit de donner un commandement, et encore moins le poste de chef d'état-major , à un général étranger.
Weygand doit donc se contenter du titre et du rôle ambigus de conseiller .
LA C HUTE D E BREST-LIT OVSK • En dépit des tensions , Fran çais, Britanniques et Polonais s'accordent sur le point suivant: un redressement de la situation ne peut résulter que d'un coup d'arrêt frontal combiné avec une offensive sur l'une des ailes soviétiques.
Le Bug offre une position correspondant à la première condition.
• Pour réaliser la seconde condition , Pilsudski part pour la Galicie dans le dessein de récupérer sur ce front les forces nécessaires à la contre-offensive.
Mais le 2 août 1920, Brest-Litovsk , pilier oriental de la position du Bug, tombe .
La nouvelle fait l'effet d 'une bombe à Varsovie .
Avec la perte de Brest-Litovsk, tout espoir de tenir l'ennemi à l'écart de la Vistule doit être abandonné.
C'est donc devant Varsovie qu'il faudra livrer bataille .
• Dans le camp soviétique, on s'apprête à savourer une victoire qui parait inéluctable .
La délégation polonai s e envoyée à Minsk pour solliciter un armist ice trouve en face d'elle des interlocuteurs prêts à discuter des conditions territoriales, mais intraitables sur les conditions politiques .
La Pologne est invitée à réduire son armée à 50 000 hommes, à s'interdire toute fabrication de matériel de guerre ,
à permettre la formation de milices
ouvrières et à engager un partage des terres .
Les négociations sont rapidement suspendues , le Politburo étant persuadé qu'il dictera à Varsovie la loi refusée à Minsk .
• De !aiL Toukhtdcllri/Ski anticipe sur la victoire , faisant preuve d'un optimisme certain : «Nos succès prolongés , la retraite continue de l 'armée polonaise ont brisé définitivement son aptitude au combat.
..
La force morale des chefs de la troupe est totalement détruite .» • Dans le camp polonais, à l'extrême confiance des Russes répond une détermination sans faille.
L E PLAN POLONAIS
POUl SAUVER VARS OVIE • Dans le faubourg de Pra ha, située sur la rive droite de la Vistule, c'est à-dire du côté de l 'ennemi , quelque 30 000 civils requis travaillent à établir une tète de pont- élévation d 'obstacles en terre , creusement de tr11nchrrs, établissement de réseaux de barbelés -
La v· et la VI' armée sont chargées de garder la Vistule, en amont et en aval de Varsovie .
La IV' armée, qui retraite depuis la Berezina, doit infléchir sa marche vers le sud-est afin de ne pas laisser les Russes l'acculer au fleuve .
Après s'être réorganisée derrière un affluent de la rive droite , le Wieprz, elle se portera face au nord pour attaquer le flanc gauche de Toukhatchevski.
L A FAIBLESSE DES AIMÉES POLONAISES • Séduisant sur le papier , ce plan doit être mis en œuvre par une armée polonaise dont la faiblesse et la fragilité des moyens sont frappants .
Sur les 20 divisions de l'armée polonaise , 15 doivent rester sur la défensive .
Deux divisions doivent arriver de Galicie à marches forcées pour prolonger vers l'est la ligne de bataille , mais il est plus que douteux qu'elles puissent être en place pour participer au choc initial.
En définitive, le bélier qui doit l'asséner se réduit à la IV' armée, laquelle cache sous cette appellation la réunion de trois petites divisions .
Lorsqu'il quitte Varsovie le 12 août pour prendre la direction de ce modeste groupement , Pilsudski lance à Weygand un Alea jada est qui en dit long sur son état d 'esprit et la confiance qu'il met dans l'exécution de ce plan auquel Weygand n 'a que peu participé .
• La chance , pourtanL sera de son côté .
En effet , les Russes, qui ont trouvé le plan de Pilsudski sur le cadavre d'un officier polonais , n'ont pas cru à son authenticité .
Toute leur armée serre donc sur sa droite, entre la Prusse Orientale et Varsovie , ne laissant qu'une faible flanc -garde pour
la couvrir vers le sud.
Ce mouvement va se révéler lourd de conséquence s lors de l'assaut contre Varsovie .
LA RtSISTANCE ACHAINtE DES POLONAIS • Les Soviétiques lancent leur attaque dans l 'après-midi du 12 août.
Le village fortifié de Radzimir , point d'appui de la première ligne défensive qui couvre Varsovie, supporte l'assaut de deux divisions soviétiques appartenant à la XVI' armée .
Malgré l 'extraordinaire concentration en hommes et en matériels -elle égale les niveaux atteints lors de la Première Guerre mondiale - , Radzimir ne peut tenir que deux jours .
• Les Russes se portent alors sur la deuxième ligne de défense : Varsovie parait menacée.
Mais la résistance des Polonais fait merveille .
Acculés à leur capitale, les hommes de Pilsudski combattent avec l'énergie du désespoir.
• La V ' armée, sous les ordres du grnr r11l Sikorski, affronte les IV', XV' et Ill' armée soviétiques sur la Wkra dans la journée du 15 août.
Il ne peut s'opposer au franchissement de la Vistule, mais parvient à faire durer le combat et à établir solidement ses divisions un peu en arrière du fleuve.
Ayant ainsi assurer les conditions de la défense frontale de la capitale , il permet à Pilsudski de lancer sa grande offensive .
LE MIRAC LE DE LA VISTULE
« U N CO NTE D E FtES » • De son poste de commandement , Pilsudski décide donc de prendre l'initiative.
Il dira à ce sujet: «Je fis une concession contraire au bon sens .
J'avais fixé la date de mon attaque au 17.
Je l'avançai d'un jour.» • Faisant fi des règles habituelles , Pilsudski abandonne la direction générale de la bataille et choisit de conduire lui-même le groupe d'armées chargé de l'offensive.
La Ill ' et la IV' armée franchissent la Wieprz et progressent sans rencontrer de résistance .
«Je crus, dit Pilsudski, être tombé dans un conte de fées .» En effet , les Polonais avancent droit sur les arrières de l'ennemi .
•
Le 17 août, les Polo n11is mettent la XVI' armée soviétique en déroute , puis s'emparent de l 'artillerie destinée au siège de Varsovie .
Pour Toukhatchevski , c'est le cauchemar .
Ses transmissions sont si mauvaises qu'il n'est averti du débouché polonais que le 18 août au moment où sa XVI' armée est déjà prise à revers.
Surprises par ce brutal retournement de situation , les armées soviétiques , en proie à la panique, commencent à retraiter dans le désordre .
• Pilsud ski anime la poursuite dans le dess ein d'acculer les Russes à la Prus se-Orientale.
Brest-Litovsk est reprise le 19 aoûL Bialystok tombe le 23.
Les armées polonaises , en position défensi ve, passent partout à l'offens ive.
• Le 25 aoûL les quatre armées qui se sont lancées à la poursuite des troupes de Toukhatchevski sont donc parvenues sur la f rontière de la Prusse et barrent toute p ossibilité de retraite vers l'est.
Presqu e toutes les forces armées soviétiques sont capturées ou contrai ntes de se faire interner en terri toire allemand .
CONSTERNATI O N À Moscou • Sous le coup de la défaite brutale , totalem ent inattendue , le Politburo envisag e tout d'abord de poursuivre la guerre en levant de nouvelles armées.
Mais cette fois Lénine confesse que la révol ution ne peut être exportée unique ment à la force des baïonnettes.
La victo ire des Polonais est telle que les dirig eants soviétiques acceptent de conclure un armi stice le 10 octobre basé sur la situation militaire à cette date.
C ertes, les Polonais ne sont pas revenu s à leurs positions de printemps , mais ils ont dépassé la ligne Curzon , repris Vilnius, profondément avancé en Russ i e blanche et en Ukraine .
Telle est la frontière qui sera consacrée , cinq mois plus tard à Riga .
• Les Soviétiques sont d 'autant plus enclins à accepter l'infortune des armes que la cessation des combats contre les Polo nais leur permet de concentrer leurs efforts contre les armées blanches de Wra ngel et de mettre un terme, victorie u x, à la guerre civile qui, depuis 1918, oppose les armées contre révoluti onnaires à l'Armée rouge.
LE TRAIT t D E RICA • Le 18 mars 1921, la Pologne et l'Union soviétiq ue signe le tr11ité d r llig11 qui normalise les relations entre les deux États.
• Ce traité fixe la frontière orientale de la Pologne qui se trouve déplacée d'enviro n 150 km vers l'est par rapport au tracé de la ligne Curzon .
La Pologne se retro uve donc dans les frontières qui étaient les siennes en 1772.
LEs C O NStQ U ENCES • En élevant la Russie bolchevique au rang d'ennemi absolu , la guerre polono-soviétique contribuera au fatal rapprochement amorcé dans les années 1930 avec l'Allemagne hitlérien n e.
• En Pologne, les militaires acquièrent à l'issue d u conflit un prestige inégalé .
Une confiance démesurée en ses capacité s militaires s'empare du pays , confianc e qui lui sera funeste en 1939 .
• En Russie , au contra ire, l'échec de l'exporta tion de la révolution éveille les remis e s en causes .
Le communisme de guerr e est abandonné pour laisser place à la «construction du socialisme dans un seul pays» .
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