La Démocrate-chrétienne en Europe
Publié le 28/03/2022
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De 1919 à 1945, les mouvements de démocraties chrétiennes émergent avec des résultats contrastés, mais posant, souvent dans les situations difficiles,les bases des succès prochains. De 1945 à 1979, la démocratie chrétienne devient un véritable parti de masse, participant de manière décisive à la reconstruction européenne: cependant, ce succès est en fait véritablement contrasté en fonction des nations. De 1979 à 1995, la démocratie chrétienne maintient dans une certaine mesure une profonde influence sur le continent: mais, de l’indifférence des suffrages à l’usure des gouvernements, c’est bien un mouvement en crise(s) qui tente de surmonter ses contradictions. I) 1915 - 1945 Une fondation entre espérances et déceptions a) Un mouvement à la croisée d’héritage multiples Il s’agit de bien replacer la Démocratie chrétienne dans une histoire intellectuelle de la pensée du lien entre le catholique et la cité, et de comprendre que la démocratie chrétienne est un point de convergence d’héritages multiples, voire contradictoires. 1) Le christianisme libéral La Démocratie chrétienne en tant que telle s’oppose au libéralisme du XIXème siècle: l’homme doit être libre, mais est aussi responsable de son prochain. Pourtant, dans l’acceptation par les chrétiens des principes démocratiques, le christianisme libéral a joué un certain indéniable. Si l’alliance des catholiques avec des partis libéraux dans des pays où l'Eglise Catholique était en position d'infériorité et cherchait une émancipation (en Irlande avec O'Connell par exemple) relève de la stratégie de circonstance, un réel mouvement s’est développé en France pour concilier 1789 et l’évangile. On peut citer Lamennais, l’abbé Grégoire, et surtout Lacordaire. Ce dernier, qui tente de montrer que la liberté découle des Evangiles, est particulièrement important. Élu en 1848, il témoigne d’une réelle importance des libéraux chrétiens pendant la révolution de 1848 et la Deuxième République. S’opposant à Napoléon III, ce dominicain est aussi important dans la mesure ou à la différence de Lamennais, il n’a pas rompu avec le Pape. S' il anticipe l’acceptation par les chrétiens de la démocratie et des principes de 1789, le christianisme libéral reste bien un mouvement mineur, et surtout bien souvent condamné par le Saint Siège. 2) l’intransigeantisme: la doctrine sociale Cela semble paradoxal d’évoquer l’'intransigeantisme, l’idée que le catholique ne devrait pas se compromettre avec les évolutions modernes et soumettre l'organisation du monde social et politique au règne du Christ. Pourtant, l'intransigeantisme tel qu'il s'est développé pendant le XIXème siècle est un matrice féconde pour la démocratie chrétienne. Léon XVII, qui a amorcé le retour vers Saint Thomas(Aeterni patris, 1879), écrit, on le sait, Rerum Novarum en 1891. Cette encyclique se situe dans la lignée de l'intransigeantisme: le monde moderne, régi par les lois impies du capitalisme athée, doit être réorganisé sans concession en fonction des principes chrétiens. Pourtant, elle est novatrice dans la mesure où elle donne un caractère actif et positif à l’intransigeantisme. Refusant un fatalisme social, elle appelle les chrétiens à être actifs pour permettre à la cité catholique d’advenir, en refondant les communautés naturelles détruites par 1789 et le marché. Sans reconnaître ni la démocratie, ni les principes de 1789, Rerum Novarum est bien une “charte sociale” (Jean-Dominique Durand) pour les futurs démocrates chrétiens en anticipants certains principes décisifs: une économie au service de la dignité de tout homme, un respect des communautés naturelles et le refus de choisir entre libéralisme et socialisme. De plus, en donnant un rôle social au catholique, Rerum Novarum permet de nombreux engagements et réflexions de catholiques autour de la cité 3) La Naissance de la démocratie chrétienne C’est donc à la rencontre de l'acceptation de la démocratie et de la liberté du christinainsme libéral et de la volonté de proposer un nouveau modèle social respectueux de la dignité de l’homme de l’intransigentisme que se forme la Démocratie chrétienne. C’est vers la fin du XIX qu'apparaît le mouvement dans la plupart des pays catholiques des partis démocrates chrétiens. Grâce au ralliement, les “abbés démocrates” amorcent un réel changement dans l’Assemblée Nationale des années 1890 en France. Trochu, Lemire, Six… Ces prêtres accusés d'être au service du cléricalisme sur leur gauche, et d'être des modernistes sur leur droite, tentent de réconcilier démocratie et christianisme. l’Abbé Gayraud publie en 1899 Les Démocrates Chrétiens. Doctrine et programme . Se heurtant à de violentes oppositions dans l’Eglise et la sphère politique, les démocrates chrétiens fondent au congrès de Reims (1896) un Parti Démocrate chrétien, mais dont l’antisémitisme et le manque d’orginsation condusient le parti à se diluer dans l’Action catholique à la Belle Epoque. Plus significatif, Marc Sangnier, professeur à Stanislas, fonde le Sillon en 1894. Grâce au leader charismatique, un réel mouvement démocrate chréiten, fécond se met en place. Reconnaissant la démocratie et la nécessité de laïcs de toutes classes sociales de s’investir sur le plan local pour une société plus digne, les principes de la démocratie chrétienne sont posés. Pourtant, cette participation des laïcs à une action se réclamant du catholicisme est inadmissible pour Pie X: le sillon est condamné en 1910. Des bases trop étroites parmi les catholiques français expliquent aussi cette difficulté. En Belgique, au sein du puissant Parti Catholique, une importante minorité démocrate chrétienne à la fin du XIXème siècle, inspirée notamment par les réflexions économiques et sociales de l’école de Liège. s’opposant parfois aux gouvernements de conservateurs catholiques, les démocrates chrétiens, dont la tendance devient de plus en plus importante, accèdent à des postes ministériels au début du XXème siècle. En Italie, la situation à la fin du XIX est rendue complexe dans la mesure où le Saint Siège interdit aux catholiques de voter et de participer à la politique du royaume qui occupe Rome. Pourtant, le prêtre Romolo Murri renouvelle l’Oeuvre des Congrès et des Comités catholiques, fondée par le Saint siège pour permettre aux catholiques de prendre part à la doctrine sociale, pour en faire un tremplin de la démocratie chrétienne. Le projet de Murri est énoncé dans le programme de 1899, il est décentralisateur, démocratique (représentation proportionnelle), égalitaire (impôt sur le revenu), veut protéger le travail. Mais surtout, il veut une participation libre des laïcs à la vie politique. En cela, il s’oppose aux projets du Pape: le Saint Siège souhaite une participation uniquement sociale et non politique, et les laïcs doivent être soumis à l’Eglise. Murri est excommunié en 1909 et l'Action Catholique, bien contrôlée par l’Eglise, est mise en place en 1905. En Allemagne, le Zentrum, initialement parti catholique luttant contre le Kulturkampf de Bismarck, devient un véritable parti allemand. Revendiquant pleinement le parlementarisme et le patriotisme, ce parti interclassiste propose une réforme sociale proche du solidarisme, et une méfiance vis-à-vis du pouvoir de l’Etat. Il bénéficie d’une audience assez large mais l’opposition de l’Eglise de la présence de protestants l’empeche pour l’instant d’en faire un parti de gouvernement B) 1919-1945: le temps des premiers succès, mais aussi des grandes déceptions Après la guerre, un nouveau contexte se révèle propice à l’émergence de mouvements démocrates chrétiens. Dans certains pays de véritables partis de gouvernement voire mouvements de masse prennent forme. Pourtant, entre manque d’audience, hostilité du Saint Siège et tentations autoritaires, c’est un bien une période tout en contrastes qu'il faut saisir. 1) Les premier mouvement de masse En 1919, l’Europe offre aux partis Démocrates chrétien des conditions pour un renouveau: le suffrage universel et le principe parlementaire triomphe, le niveau pape Benoît XV et bien plus conciliant avec la DM, et la Guerre peut servir d’exemple pour les hommes de la DM de l’horreur qu’une société qui a oubliée la dignité de l’homme peut déchainer. Dans certains pays, les partis démocrates chrétiens deviennent des partis qui peuvent prétendre au gouvernement: c’est le cas dans les pays du Benelux. En Belgique, l’entre deux guerres permet à toute une génération de découvrir les réalités du pouvoir. Le Parti Catholique domine toute la période. Soutenu par l'épiscopat, il unit une population catholique aux intérêts a priori divergents. La tendance démocrate-chrétienne devient de plus en plus importante. L’enseignement doctrinal est assuré par les Semaines sociales le parti et assume les plus hautes fonctions. En 1925-1926 Prosper Poullet est Premier ministre dans une coalition avec les socialistes (l’épiscopat est neutre, mais inquiète). Figure marquante de la Belgique, Paul Van Zeeland se trouve à la tête d’un gouvernement de coalition avec les libéraux et socialistes en 1935. Pour surmonter la crise, Paul Van Zeeland tente de mettre en place un New Deal belge. Un autre problème est la contestation du Parti Rex de Degrelle qui rogne les voix du Parti Catholique. Si Van Zeeland le bat personnellement à Bruxelles en 1937, le Parti catholique est au bord de l’implosion, et en 1937 il est transformé en Bloc catholique belge, intégrant une structure flamande et une structure wallonne. L’expérience Belge n’en reste pas moins décisive. Aux Pays-Bas, la tendance démocrate chrétienne devient un parti, le RKS en 1928. S’appuyant sur le système des trois piliers (catholique, protestant,”général”) qui structure la vie hollandaise, le RKS obtient d’excellent scores et le principe d’une coalition avec les protestants, et les libéraux à partir de 1933 est mis en place, les Premiers ministres étant tour à tour catholiques ou protestants. Expérience courte mais décisive, la formation du popularisme en Italie est centrale pour l’évolution de la DM. En 1919 Luigi Sturzo lance son appel aux “hommes libres et forts”. Il reprend les thèmes de la démocratie chrétienne: économie au service de l’homme, opposition à la lutte des classes et au libéralisme, protection du travail, réforme agraire, décentralisation et une reconnaissance de la démocratie. Mais Sturzo a l’ambition de faire du PPI un véritable parti de masse, du peuple, un parti populaire, indépendant de l'Église ou ou la société civile dans sa pluralité peut œuvrer pour le bien commun. Cette idée du parti “populaire” devient alors une référence importante de la Démocratie chrétienne. Traversé par une tension entre une droite cléricale et une gauche presque prolétarienne, le PPI bénéfice de nombreux réseaux catholiques (comme l’Action catholique) lui donnant du personnel qualifié et des idées. Dès 1919 le PPI réalise le score de 20%. Pour l’expérience allemande, qui est elle aussi importante, voir 4) 2) Des difficultés pour s’implanter dans certains pays Tous les pays ne connaissent pas de développement du mouvement démocrate chrétien. En premier lieu, la référence démocrate chrétienne étant dans cet entre-deux-guerres une référence catholique, la démocratie chrétienne ne prend aucun essor dans les pays protestant, ni en Scandinavie, ni au Royaume Uni. Mais plus problématique, les partis démocrates chrétiens n’arrivent pas à s’implanter en profondeur en France, la “fille ainée de l’Eglise”. Face à tous les échecs, Francsique Gay, qui a participé aux réels efforts pour implanter le mouvements, ne peut que s’exclamer en 1935 “Pourquoi, pourquoi, pourquoi?”. On peut répondre à Francisque Gay en rappelant tout d’abord la division du vote catholique. L’analyse de la chambre du Bloc national est ici importante: les catholiques votent pour la droite conservatrice nationaliste de Marin, pour des partis catholiques traditionnels, mais sont aussi attirés par des propositions plus autoritaire: la FNC de Castelnau, l’Action française jusqu’en 1926, le PSF à partir de 1936. De plus, le mouvement démocrate-chrétien est divisé et aucune figure ne se détache pour unifier ce dernier. Ainsi, Marc Sangnier fonde le mouvement de la Jeune République en 1912. D’une audience relativement faibe (4 députés en 1919), le mouvement s’occupe surtout de fonder les auberges de jeunesse, et d'œuvrer pour la paix. Il devient un parti en 1936 et, relativement à gauche, participe au Front Populaire. La présence de Philippe Serre comme secrétaire d'État au travail ne doit pas être oubliée, mais reste anecdotique. En Alsace-Lorraine, l’Union populaire républicaine rencontre un réel succès, mais reste liée à la région. Le Parti démocrate populaire, fondé en 1924, demeure la tentative la plus authentique pour un PPI à la française. très influencé par le popularisme de Sturzo, elle tente de s’appuyer sur les réseaux catholiques (scoutisme, Action Catholique, CFTC, ACJF…) pour développer une audience mais ne sort jamais d’une médiocrité électorale, ne dépassant pas 4% et la vingtaine de députés, grâce à des votes venant surtout du Nord, de l’Ouest, de la Meurthe et Moselle.
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La démocratie chrétienne en Europe
La démocratie Chrétienne c’est “siéger au centre et faire avec des électeurs de droite une
politique de gauche” aurait dit Georges Bidault.
Si cette définition est loin d'être
satisfaisante, elle reflète tout de même la complexité, l'originalité du mouvement démocrate
chrétien en Europe.
Cependant, l’apparition après la Première Guerre Mondiale des premiers grands
mouvements démocrates chrétiens ne doit pas faire oublier que ces derniers se construisent
sur un long héritage de réflexion et d’action de la part des catholiques.
Porté par cet
héritage, par des figures populaires, et grâce à l'engagement démocrate chrétien dans la
Guerre, le mouvement démocrate chrétien connaît dans son certain pays un véritable essor,
lui permettant de prendre une part importante dans la reconstruction des nations, et dans la
construction d’une Europe nouvelle.
Au début des années 1990, l’opération main propre en
Italie souligne cependant une évolution toute en contraste, certains partis ayant perdu une
assise cependant, d'autres, comme la PPI, ayant été au contraire victime de leur succès,
victime de l’usure du pouvoir.
Si il convient de bien distinguer les courants et divergences nationales, en parlant des
Démocraties Chrétiennes, la DC concentre certaines valeurs qui la distinguent d’autres
partis modérés.
Les partis démocrates chrétiens sont des partis de laïcs, indépendants des
Églises mais cherchant à puiser dans leur foi et dans les Evangiles des principes politiques.
Ces principes cherchent à permettre l’avènement d’une société au service de la dignité de
l’homme, dans le respect de la démocratie et des libertés.
Pour comprendre la DC, il faut prendre en compte un aspect culturel, philosophique,
théologique de l’évolution historique des partis DC.
Ces derniers refusent en effet une
autonomie du champ politique pour invoquer un au-delà du politique, des valeurs, inspirés
des évangiles, qui reconnaissent une dignité inaliénable de la personne humaine.
Cela
s’explique par une longue histoire intellectuelle qu’il faudra mettre au jour, et explique à son
tour des points de vue partagés par la plupart des partis DC: construction européenne,
économie de marché régulée comme moyen au service des personnes, coopération entre le
capital et le travail, aide aux autres pays, intégrité de l’action politique, méfiance envers l’état
centralisateur, confiance en les communautés naturelles (famille, région, syndicats)...
Cela
pose alors la question du rapport entre action politique et foi: comment cette référence à la
foi, aux évangiles, a pu être mise en avant dans des nations de plus en plus sécularisées?
(le cas français est ici très intéressant)? De plus, la DC est bien un mouvement de laïc, qui
participe à la démocratie en refusant d'être le représentant d’une influence cléricale: il
s’agira alors de montrer comment les partis DC ont réussi à assumer cette autonomie, tout
en restant toujours sous une certaine influence du Pape.
C’est enfin une analyse
sociologique qui s’impose: si l’on retient l’idée d’un mouvement transclassiste, qu’en est-il en
réalité? De plus, on ne peut comprendre les dynamiques de la DM sans comprendre le
collatéralisme d’autres associations chrétiennes, syndicats, Action Catholique ou scoutisme.
Finalement, c’est deux questions centrales qui méritent d'être posées: pourquoi, au
XXème siècle, au moment où l'Europe connaît ses deux pires conflits, et entre dans l'âge de
la sécularisation, un mouvement démocrate chrétien aussi influent a pu émerger? Enfin, on
peut se demander comment tout au long de l’exercice du pouvoir, s’est opéré la rencontre
entre l’idéal des visions démocrates chrétiennes et la réalité tumultueuse de la politique des.
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