La bataille de Little Bighorn, enjeux autour du champ de bataille aujourd'hui
Publié le 09/12/2023
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«
Dossier champs de batailles
Bataille de Little Bighorn
25-26 juin 1876
Le général George Armstrong Custer (1839-1876) est la personnalité américaine sur laquelle
le plus d’ouvrages ont été écrits, juste derrière le président Abraham Lincoln.
D’abord héros de la
guerre civile, dans les esprits de tous les Américains il est associé à la controverse autour de cette
bataille qui fut sa dernière : la bataille de Little Bighorn.
De nombreux films et ouvrages se centrent
ainsi sur « Custer’s Last Stand » (« l’ultime résistance de Custer ») et l’immense défaite infligée à
l’U.S.
Army par les tribus indiennes coalisées.
Une telle abondance peuple l’imaginaire américain de
représentations multiples, souvent mythologisantes1.
Le voyage vers le site de Little Bighorn se fait
presque un pèlerinage patriotique, tandis que pour d’autres, il est l’occasion de revendiquer
l’intégration de la mémoire amérindienne aux monuments nationaux.
Ainsi, il est pertinent
d’interroger la place de l’histoire par rapport à des récits devenus légendes, et qui portent toujours en
eux une signifiance mémorielle source de conflits.
Dès lors, comment, dans le cadre de ces attentes, le site de Little Bighorn navigue-t-il les
enjeux politiques et mémoriels afin de proposer une offre de médiation complète et éclairante ?
Dans une courte première partie, nous nous attacherons à rappeler la multitude des enjeux
entourant la bataille.
Il s’agira ensuite de rendre compte des dispositifs mis en place sur le champ de
bataille de Little Bighorn afin de porter un discours historique adressé au grand public, en prenant en
compte la diversité des acteurs publics ou privés.
Enfin, nous interrogerons les choix de mises en
scène du conflit, ainsi que les éventuelles orientations politiques ou historiographiques.
1
CORNUT David, Little Big Horn: autopsie d’une bataille légendaire, Monaco, Éditions du
Rocher, 2018.
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I
The Custer Fight, Charles Marion Russel, 1903, lithographie conservée à la Library of
Congress, Washington DC.
La bataille occupe une place importante dans l’imaginaire américain, provoquant une intense
création artistique autour de l’événement, et ce jusqu’à nos jours.
– La bataille de Little Bighorn : déroulé et enjeux
mémoriels
A – Une grande victoire amérindienne et un fiasco militaire
Le 25 et 26 juin 1876, 700 cavaliers du 7 e Régiment chargent les 1500 guerriers du camp des
forces combinées des Lakota Sioux, Cheyenne et Arapaho niché dans les méandres de la rivière de la
Little Bighorn dans l’actuel état du Montana 2.
Une colonne entière est massacrée, ne laissant aucun
survivant, ce qui représente 268 morts du côté américain, contre un peu moins d’une cinquantaine
pour les tribus coalisées.
Une telle défaite est impossible à penser pour l’armée américaine, d’autant
plus qu’elle est infligée par des guerriers amérindiens, et davantage encore parce qu’elle voit la mort
du très populaire Général George Custer, héros de la guerre civile.
L’humiliation de Little Bighorn
constitue l’événement le plus marquant de la guerre des Black Hills (1876-1877).
Les corps de
l’ensemble de la colonne de Custer sont retrouvés le lendemain de l’assaut, mutilés, scalpés et pillés.
Les journaux titrent : « Massacrés ».
La nouvelle, parvenant aux oreilles des Américains en juillet
2
WELCH James et VALMARY Michel, C’est un beau jour pour mourir: l’Amérique de Custer
contre les Indiens des Plaines, 1865-1890, Paris, France, Albin Michel, 1999.
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1876, au moment où ils célèbrent le centenaire de l’indépendance, fait l’effet d’une véritable bombe, et
marquera les esprits d’un traumatisme durable.
B – A qui la faute ? Les enjeux mémoriels de la bataille de Little
Bighorn
L’ultime résistance de Custer devient alors une histoire mythique de la conquête de l’Ouest.
La
légende de Custer rentre dans tous les manuels scolaires et Buffalo Bill le met en scène dans son Wild
West show.
Dans les films, on fait tour à tour le portrait de Custer comme un héros, un crétin puis le
symbole même de l’officier incompétent et raciste.
Plus largement, c’est le roman national qui
s’échafaude à partir de ce récit.
Il nous semble que la figure de Custer a été érigée comme martyr de la
cause de la civilisation face aux peuplades sauvages.
Il est l’incarnation même de la destinée
manifeste.
C’est en cela qu’on a permis à une défaite d’avoir un impact aussi important sur les
consciences de toute une nation.
L’enjeu autour de la médiation est donc évident du fait des
répercussions que la bataille a eu dans l’imaginaire américain.
Comment articuler le discours produit
avec les attentes et représentations préexistantes des publics ? Comment le faire sans devoir s’ancrer
idéologiquement ?
Près de 150 ans plus tard, l’écho de la bataille se fait encore entendre comme l’un des conflits
les plus mythiques de l’histoire des Etats-Unis.
C’est le cas principalement car les questions soulevées
au lendemain de la défaite américaine … certains historiens se les posent encore.
Le désastre fut vraisemblablement causé par de désastreuses décisions tactiques ayant mené le
commandement à sous-estimer les nombres ennemis ainsi qu’à abusivement diviser les unités de sorte
que les soldats ne pouvaient plus se soutenir entre eux.
Custer était un des meilleurs éléments de la
cavalerie américaine ainsi que l’homme le plus jeune à avoir alors été nommé général.
Pour certains, il
paraît improbable qu’il ait failli en termes de stratégie militaire.
Mais un grand nombre de
représentations postérieures présentent Custer comme un homme impétueux et arrogant, qui n’aurait
pas attendu les troupes de Terry et Gibbon comme convenu pour s’approprier toute la gloire.
Sa
femme, Elizabeth Custer, passera par ailleurs le reste de sa vie à tenter de protéger sa réputation.
Alors, à qui la faute ? Une importante controverse anima l’opinion américaine autour des
responsables, une controverse qui ne semble toujours pas avoir connu de résolution aujourd’hui 3.
Fautil blâmer une trahison des sous-officiers de Custer, Benteen et Reno, qui ne sont pas venus à son
secours ? Leur animosité avec le général était bien connue, on accuse même Reno d’avoir été ivre
pendant les combats, pourtant ils furent écartés de toute suspicion par l’enquête menée au sein de
l’armée américaine.
Le président Ulysse Grant, lui aussi, fut sacrifié sur l’autel médiatique au nom des
3
Nota Bene, Les mensonges de l’US Army sur Little BigHorn !, 2020.
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accusations de corruptions portées par Custer avant sa mort 4.
Le général en chef de l’U.S.
Army
Sherman profite du scandale pour dénoncer le manque de moyens de l’armée.
On accuse aussi l’armée
d’avoir étouffé l’affaire Little Bighorn, une des défaites les plus emblématiques de son histoire.
Finalement, la commission d’enquête de 1879 reporte l’entièreté de la responsabilité sur le général
Custer.
Pour autant, le lieu de la bataille est alors toujours nommé « Custer’s Last Stand » en
hommage à la résistance dite héroïque du général face aux sauvages.
Un cimetière militaire est nommé
après lui et le lieu de sa mort est même l’objet de pèlerinages patriotiques.
En 1951, les archives de la
bataille sont ouvertes, on découvre alors que des cartes et des signatures ont été falsifiées et l’enquête
peut reprendre.
En outre, ce n’est que récemment que les témoignages amérindiens ont commencé à
être analysés et intégrés au récit.
Aujourd’hui, le débat fait encore rage entre partisans et détracteurs de
Custer.
Dès lors, que faire de ces discours mémoriels contradictoires ? En l’absence de consensus
scientifique, comment produire un discours unique et cohérent sur l’événement ? Faut-il produire un
discours unique ? Comment le site de Little Bighorn peut-il valoriser les différents discours qui ont été
portés sur la bataille ?
Si un type de discours a été particulièrement ignoré dans l’historiographie de cette bataille,
c’est bien le discours provenant du camp des gagnants de la bataille, mais bien loin d’être les gagnants
à long terme : les tribus indiennes.
Quand la majorité des Américains envisageaient cet épisode sous
l’angle du martyr (« Custer’s Last Stand »), les natifs, eux, le nommaient « Battle of the Greasy
Grass ».
Ce n’est qu’en 1991 que le site fut renommé « Little Bighorn Battlefield National
Monument » du nom de la rivière coulant à cet endroit.
L’invisibilisation des guerriers indiens allait
donc jusqu’au nom choisi pour le site, qui glorifiait, pour certains, l’auteur d’un génocide.
Quelle
place pour les subaltern studies dans l’approche historique proposée par le site aujourd’hui ? Notre
enjeu est moins celui d’un tourisme éthique 5 comme Jamal Tazim peut l’envisager, mais davantage
d’une représentation juste de la réalité de la bataille en redressant notamment le déséquilibre qui
accordait à l’U.S.
Army la plus grande place dans le récit mémoriel.
La question se pose tout aussi bien concernant le fait d’aborder ou non les conséquences
directes de cette bataille, c’est-à-dire l’annexion des terres indigènes par le gouvernement américain.
Ne paraît-il pas pertinent que le discours dépasse l’histoire-bataille et interroge l’attribution
malhonnête des terres amérindiennes, telle qu’elle a été reconnue par la Cour Suprême en 1980 ? En
effet, ces mêmes tribus qui avaient été déplacées de force au-delà du Mississippi et à qui l’on avait
attribué les terres sacrées des Black Hills,....
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