JANVIER 1978 DANS LE MONDE
Publié le 15/11/2011
Extrait du document
La France aura la difficile mission de donner son appui au Québec « le long de la route qu'il décidera de suivre «, tout en essayant de ne pas mécontenter Ottawa. Y arrivera-t-elle ? M. Lévesque a reçu à Paris un accueil officiel plus important que celui qui a été réservé à ses prédécesseurs et qui a suscité un courant populaire d'intérêt. Le gouvernement canadien a regretté la Légion d'Honneur décernée à M. Lévesque sans son autorisation (ce qui est obligatoire) et M. Trudeau a reproché aux dirigeants français leur ignorance concernant la Constitution et la position du Québec dans la confédération canadienne. Lors de la visite au Québec de M. de Guiringaud, ministre des Affaires étrangères, en octobre, le problème de la suspension des livraisons d'uranium canadien à plusieurs pays de la Communauté européenne (mais non à la France), sous le contrôle de l'Euratom, a été discuté avec les autorités fédérales. C'est un dossier délicat, car le Canada a été très affecté par les conséquences de sa coopération nucléaire avec l'Inde, qui a abouti à la fabrication de la bombe atomique ; et il pose d'énormes problèmes de compétences entre le Québec et le gouvernement d'Ottawa.
«
nomique et échanges culturels, ligne qui n'est pas
toujours facile à suivre.
Comme l'a souligné M.
Peyrefitte, dans un récent entretien, la politique
française est faite de « non-ingérence » et non de « non-indifférence », mais qui devra l'emporter en cas d'incompatibilité sur les bords du Saint
Laurent? Un an après l'accession au pouvoir des indépendantistes, le voyage en France, de leur chef
provoque une certaine inquiétude à Ottawa.
M.
René Lévesque affirme que la volonté de son
parti est « l'émancipation d'une colonie intérieure,
un nationalisme d'affirmation de soi-même», mais les propos qu'il a tenus à Paris ont été jugés modé
rés, notamment son insistance à proposer une asso
ciation entre l'éventuel Etat souverain du Québec
et
le Canada.
Les deux objectifs du Parti Québécois (P.Q.)
sont,
en effet, souveraineté et association : un Etat
souverain offrant de nouveaux liens d'interdépen
dance avec les autres parties du Canada, mais des liens à négocier librement, entre partenaires égaux,
objectifs en apparence contradictoires et en réalité
complémentaires ;
à quoi s'ajoute un souci
constant de maintenir une identité linguistique et
culturelle, exposée aujourd'hui aux grands cou
rants de la culture américaine, minimisée par la
politique d'immigration ainsi que par
le poids
excessif d'une minorité anglophone qui exerce
depuis longtemps une influence qualifiée
de « colo
niale».
C'est pourquoi
M.
René Lévesque veut, par un
référendum qui se tiendra d'ici à deux ans, propo
ser l'instauration d'un Québec souverain, mattre politiquement de sa vie interne et de son devenir,
tout en offrant de négocier avec le Canada une
association économique.
Le Premier ministre esti me que l'on en est arrivé à un point où, d'échec en échec, un accord doit se faire sur la nécessité d'un
renouvellement politique.
Le gouvernement d'Ottawa et son Premier
ministre, M.
Trudeau, soucieux de tout faire pour
empêcher le Québec de se séparer du reste du pays,
proposera prochainement au Parlement fédéral une
révision constitutionnelle en vue
de donner nais
sance à un nouveau fédéralisme, qui devrait avoir
l'adhésion de tous les Canadiens.
Ce fut le sens du discours prononcé par la reine Elisabeth d'Angle
terre, en visite à Ottawa, le 18 octobre.
Bien que centralisateur
de tempérament, M.
Trudeau sera amené, pour remettre le Canada sur ses rails, à donner aux provinces des pouvoirs
qu'elles .
n'ont jamais eus avant lui.
Cette crise
constitutionnelle a d'ailleurs sauvé son gouverne
ment
de l'échec qu'il connaît en matière économi que.
Une révision globale de la Constitution devrait
définir un fédéralisme s'attachant particulièrement
à garantir « les droits fondamentaux de la person ne, au premier rang desquels figurent les droits lin
guistiques ».
Quand ce processus de révision sera
engagé, Ottawa devra faire face, outre le Québec, à un autre interlocuteur non moins facile : l'Ouest canadien.
Au cours des dernières
années, le centre de gravité du Canada s'est déplacé à l'Ouest : la
Colombie britannique connaît un développement
économique rapide et l'Alberta, un formidable
essor en raison
de son pétrole ; le Saskatchewan
profitera, comme ses voisins de l'accord sur le gazoduc de l'Alaska.
Renforcées par leur pouvoir
économique accru, les provinces de l'Ouest auront, elles aussi des exigences, comme le Québec.
La France aura la difficile mission
de donner
son appui au Québec « le long de la route qu'il
décidera de suivre », tout en essayant de ne pas
mécontenter Ottawa.
Y arrivera-t-elle ? M.
Lévesque a reçu à Paris un accueil officiel plus
important que celui qui a été réservé à ses prédé
cesseurs
et qui a suscité un courant populaire d'in
térêt.
Le gouvernement canadien a regretté la
Légion d'Honneur décernée à M.
Lévesque sans
son autorisation (ce qui est obligatoire) et M.
Tru
deau a reproché aux dirigeants français leur igno
rance concernant la Constitution et la position du
Québec dans la confédération canadienne.
Lors
de la visite au Québec de M.
de Guiringaud, ministre des Affaires étrangères, en octobre, le problème de la suspension des livrai
sons d'uranium canadien à plusieurs pays de la
Communauté européenne (mais non à la France),
sous le contrôle de l'Euratom, a été discuté avec les autorités fédérales.
C'est un dossier délicat, car le Canada a été très affecté par les conséquences de sa coopération nucléaire avec l'Inde, qui a abouti à la fabrication de la bombe atomique ; et il pose
d'énormes problèmes de compétences entre le Qué
bec et le gouvernement d'Ottawa.
Le bilan économique de la visite de M.
Lévesque
est mince : entente sur un programme d'exploration du cuivre, amélioration de la diffusion des livres,
revues et journaux, échange de fonctionnaires.
La France est, de~uis 1970, au sixième rang des clients du Quebec, les échanges économiques
franco-québécois demeurent modestes.
Parmi les pays européens, la France n'arrive encore qu'en
troisième position pour les investissements, derriè re la Grande-Bretagne et la Belgique.
Mais la décision
de réunir annuellement, dans les deux capitales alternativement, les Premiers
ministres français et québécois est un résultat poli
tique qui compte.
Cette décision dépasse de beau
coup ce qui avait été envisagé en septembre 1967,
lors d'une visite de M.
Peyrefitte.
A cette époque, le document ne mentionnait qu'une proposition du Québec dont Paris avait seulement pris note.
La
périodicité n'était pas mentionnée et il n'était pas
précisé qu'il pourrait s'agir des Premiers ministres.
La constance
avec laquelle M.
Lévesque a évité,
durant son séjour à Paris, le mot « indépendance », lui préférant « confédération » a été très remarquée.
Les Canadiens aussi bien francophones qu'anglo
phones auront du mal à parvenir à s'entendre sur le type de Constitution qui devrait se substituer à l'Acte de l'Amérique du Nord, loi britannique qui en tient lieu depuis beaucoup plus d'un siecle..
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