Histoire des années vingt -de 1920 à 1929 : Histoire mondiale
Publié le 01/01/2019
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Singulière décennie que celle des années vingt, toute en contrastes et en jeux de lumière ! C’est d'abord la réverbération de la Grande Guerre et de la révolution d'Octobre qui donne aux premières années des teintes froides, presque crépusculaires, à l'image de la souffrance endurée et du chagrin des hommes. Mais c’est bientôt un éclairage nouveau qui nimbe la plus grande partie de la décennie des couleurs de l’espoir. Se lève, pense-t-on. une aube nouvelle qui annonce un monde où le spectre de la guerre sera banni à jamais. Mais dès 1929, le ciel se fait moins éclatant et des nuages se profilent à l'horizon. D’où la difficulté de fixer en quelques plans un ciel qui fut changeant. Ce ciel changeant donne en effet aux années vingt des couleurs indécises et confère de ce fait à l’historien une redoutable responsabilité. Doit-il user de tons pastel, au risque d’affadir une décennie qui fut singulièrement plus contrastée que ce qu'en a retenu la mémoire collective ?
Coincée, dans un ressac de mémoire, entre un premier conflit mondial atroce et des années trente où déjà un second conflit pointait, cette décennie, il est vrai, apparaît rétrospectivement comme une manière d’oasis. Et un tel souvenir n’est pas usurpé. Il est seulement mal cadré. Le début de la décennie fut amer et difficile. Il fallait apurer les comptes du conflit qui venait de s'achever et supporter aussi les effets différés des ondes provoquées par la grande secousse. Le régime de la démocratie libérale, par exemple, offre de ce fait une image contrastée au seuil de ces années vingt. Apparemment, le conflit qui courut tout au long du XIXe siècle entre elle et les régimes autoritaires vient d’être tranché en sa faveur: les Empires russe, allemand, austro-hongrois et turc se sont effondrés et la « guerre pour le droit » semble l'avoir emporté. Mais ce seuil des années vingt voit aussi le développement de modèles politiques concurrents de cette démocratie triomphante. La «grande lueur à l'Est». malgré les efforts pour en étouffer ou. pour le moins, en circonscrire le rayonnement, attise des foyers révolutionnaires et fait naître en retour des mouvements contre-révolutionnaires. Et les jeunes États d’Europe centrale, nés sur les ruines des Empires, sont l'enjeu de cette lutte entre révolution
et contre-révolution. L’Europe, qui fut le champ de bataille d’une guerre de quatre ans. demeure donc le champ clos d’un conflit idéologique, que nourrissent l'austérité de ces temps de reconstruction et surtout le trouble de sociétés parfois disloquées, en tout cas ébranlées, par le grand massacre.
D'autant qu'un autre modèle politique concurrent naît dans ce terreau de difficultés économiques, de trouble social et d’anxiété politique : le fascisme s’installe dès 1922 en Italie et s'affirme explicitement comme un adversaire non seulement du communisme mais aussi de la démocratie libérale. Les deux modèles rivaux de cette démocratie restent à cette date cantonnés dans leur aire géographique mais, quand viendra le temps des crises, leur force d’imprégnation et leur progression s’en trouveront réactivées et, de concurrents, ils deviendront parfois conquérants dans les esprits et aussi, pour le fascisme, sur une carte du monde.
Pour l’heure, il est vrai, la couleur du ciel, peu à peu, va au contraire s’éclaircir et donner aux années vingt les teintes qui lui sont restées dans la mémoire collective. Le climat des relations internationales, d’abord empoisonné par la question des réparations de guerre, est, à cet égard, le meilleur indicateur de cette embellie. Dès 1925, la conférence de Locarno consacre et symbolise le rapprochement franco-allemand. L'année suivante, l'Allemagne entre à la Société des Nations, accueillie par le discours du ministre français des Affaires étrangères, Aristide Briand. Huit ans après la fin des hostilités, sa voix résonne depuis les palais helvétiques, pour proclamer : « Arrière les fusils, les mitrailleuses et les canons ! Place à la conciliation, à l'arbitrage et à la paix ! » En ce milieu de décennie, la formule résume bien l’aspiration des peuples européens : que la Grande Guerre ait été « la der des der » (« the last war we fight », disent, de leur côté, les Anglo-saxons), et que la sécurité collective vienne arbitrer et apaiser les conflits inhérents aux sociétés humaines. Et, en 1928, la signature du pacte Briand-Kellogg, à Washington, va même placer la guerre « hors-la-loi ».
Assurément, l'historien, qui connaît la suite, a beau jeu de souligner que, onze ans plus tard, s'enclenchait la plus vaste tuerie de l’histoire de l'humanité ! Mais les peuples entrent toujours dans l’histoire à reculons, le regard tourné vers le passé, et 1928 est à juger à Faune des plaies de 1914-1918, qui peu à peu commencent à se refermer à cette date, et non en fonction des nouvelles blessures qui surgiront à partir de 1939.
Et cette embellie dans les relations internationales est elle-même le reflet - et probablement la conséquence -d’économies et de sociétés qui semblent avoir retrouvé, avec des vitesses variables mais selon une tendance générale, assise solide et équilibre. La République de Weimar en fournit, par l’ampleur qu’y prirent tour à tour la crise puis le rétablissement, une sorte d’exemple au carré. Une naissance au forceps dans l’Allemagne de la défaite et des menaces révolutionnaires ou séparatistes, une prime enfance où son existence même parut menacée par les crises politiques et par une inflation devenue
«
tuerie
de l'histoire de l'humanité ! Mais les peuples entrent
toujours dans l'histoire à reculons, le regard tourné vers le
passé, et 1928 est à juger à l'aune des plaies de 1914-1918, qui
peu à peu commencent à se refermer à cette date, et non en
fonction des nouvelles blessures qui surgiront à partir de 1939.
Et cette embellie dans les relations internationales est
elle-même le reflet -et probablement la conséquence
d'économies et de sociétés qui semblent avoir retrouvé, avec
des vitesses variables mais selon une tendance générale, assise
solide et équilibre.
La République de Weimar en fournit, par
l'ampleur qu'y prirent tour à tour la crise puis le rétablissement,
une sorte d'exemple au carré.
Une naissance au forceps dans
l'Allemagne de la défaite et des menaces révolutionnaires ou
séparatistes, une prime enfance où son existence même parut
menacée par les crises politiques et par une inflation devenue
bientôt démesurée : les bonnes fées, assurément, ne s'étaient
guère penchées sur le berceau.
Et pourtant, au mitan de la
décennie, le jeune régime semble sortir fortifié de l'épreuve : il
a trouvé, apparemment, un fondement politique stable et un
socle économique solide, tandis que la culture et la science
allemandes rayonnent dans certains domaines.
À la même
date, les États-Unis connaissent pour leur part une période que
les historiens ont baptisée Prosperity, terme générique
éloquent, et, bientôt, la France de Raymond Poincaré va à son
tour restaurer un équilibre financier.
Jusqu'à la culture qui dit alors la confiance retrouvée et
l'espoir de lendemains rayonnants.
Certes, une littérature de
guerre est là pour rappeler les horreurs du conflit mondial, et
des avant-gardes rêvant à la fois de table rase politique et de
subversion du langage et de l'art sont alors un ferment de
contestation du conformisme culturel.
Mais ce serait
assurément une erreur de perspective historique que de
conférer rétroactivement au surréalisme, par exemple, un écho
très important sur le moment.
Ce sont plutôt, pour la France,
les romans de Paul Morand -où l'automobile est reine -qui
apparaissent, avec le recul, à l'unisson d'une société saisie par
la griserie de la vitesse et reprenant foi dans le progrès.
Car les
«Années Folles» ne tirent pas seulement leur nom d'un
défoulement classique après une phase historique de forte tension-
ici, bien sûr, la Grande Guerre.
D'une part, ce type de
défoulement est toujours forcément rapide: il débride la plaie
des souffrances endurées et des peurs accumulées, puis les
sociétés humaines retrouvent une assiette historique plus
stable.
D'autre part, il y eut bien alors, niché au cœur de la
décennie, ce rêve, de fait un peu « fou», de gommer la
tourmente de la guerre et de revenir aux années qui la
précédèrent, et qui deviennent en contraste, ainsi mythifiées
par la mémoire collective, «la Belle Époque ».
Cela dit, les ferments de contestation culturelle, même
s'ils furent, on l'a dit, relativement ignorés sur le moment,
étaient à l'œuvre et confèrent rétroactivement à la période, sur
le plan culturel, un aspect foisonnant.
Car si la vie d'une culture
ne se résume pas au cliché qui fait des avant-gardes des
éléments toujours riches et novateurs et des cultures
dominantes des mausolées abritant des cultures déjà
momifiées, la tension entre les unes et les autres est le plus
souvent un gage de créativité et de mouvement.
Certes, la
«Belle Époque>>, avec la« révolution cubiste» ou le
«scandale>> des Ballets russes, avait inventé, d'une certaine
façon, le xxe siècle culturel.
Mais après 1919 apparaissent aussi
de nouvelles tendances.
L'on voit se développer, par exemple,
des expérimentations qui constituent parfois-avec le
surréalisme, et également, sur un autre registre, avec la
diffusion de l'œuvre de Freud -de véritables plongées dans
l'inexploré.
De même, les sciences dites exactes contribueront,
au cours de la décennie, à éroder les certitudes et à ébranler les
systèmes les plus cohérents, avec notamment les progrès de la
physique quantique et la vulgarisation des découvertes d'Albert
Einstein sur la relativité.
Mais ce ne sont pas seulement les sciences et les arts
"majeurs" -ainsi la peinture, qui illustre bien la fécondité
culturelle de la période -qui marquent les années vingt en
même temps qu'ils sont marqués par elles.
Ce sont aussi les
pratiques culturelles de masse qui vont connaître alors dans la
plupart des pays industrialisés, et là encore avec des vitesses
variables, une mutation essentielle.
Mutation non seulement
d'amplitude, mais aussi de nature.
Ainsi le cinéma, à la fin de la
décennie, murmure ses premiers mots, et le parlant, au fil des.
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