Grand oral du bac : L'épuration - Des premières mesures contre la presse à la loi d'amnistie
Publié le 18/11/2018
Extrait du document
UN CLIMAT DE GUERRE CIVILE
Au sens strict du terme, l'épuration désigne l'élimination et la destitution codifiées par une série d'ordonnances prises en 1944 des personnes ayant collaboré avec les Allemands au cours de l’Occupation, sous l'autorité du maréchal Pétain et de Pierre Laval. Le désir de vengeance, qui est le ressort même de l'épuration, se manifeste très tôt au sein de la Résistance. Ainsi, dès septembre 1941, des collaborateurs reçoivent à domicile les premiers cercueils miniatures, tandis que réseaux et mouvements traquent bourreaux et traîtres. L’épuration prend tout son sens dans le climat de guerre civile que connaît la France entre 1940 et 1945. Un contexte qui en nourrit les excès car, si miliciens capturés et traîtres peuvent être exécutés en réponse aux massacres commis par les forces de la répression, il reste que règlements de compte privés, actes de banditisme et surtout, rivalités internes locales entre les groupes résistants ont assurément alourdi le bilan d'une période particulièrement trouble. C’est pour mettre fin à cette épuration « sauvage » que le gouvernement provisoire de la République française crée dès juin 1944 des juridictions exceptionnelles, rétablissant un État de droit bafoué par quatre années d'occupation.
UN CONTEXTE PROPICE AUX EXCÈS
Les JURIDICTIONS
EXCEPTIONNELLES DE VlCHY
• La Seconde Guerre mondiale s'est doublée en France - comme dans tous les autres pays occupés -d’une guerre civile au cours de laquelle se sont exacerbées les passions idéologiques.
Ainsi, à partir de l'hiver 1940-1941, les forces répressives du III' Reich et de l'État français du maréchal Philippe Pétain conjuguent leurs efforts pour anéantir la Résistance naissante.
• La loi du 23 août 1941 crée auprès des cours d'appel des « sections spéciales» chargées de «réprimer l’activité anarchiste ou communiste » afin de punir les auteurs des attentats commis contre les troupes d'occupation. De nombreuses condamnations sans appel et immédiatement exécutoires sont prononcées à l'issue d'une procédure expéditive. C'est dans ce cadre que sont fusillés de nombreux résistants.
• À partir de 1944, Joseph Darnand chef de la Milice, est chargé d'«assurer la sécurité publique». Il s'appuie alors sur des cours martiales, des cours criminelles exceptionnelles et des tribunaux de maintien de l’ordre pour mener à bien sa mission. Autant d'organes de répression qui échappent à toutes les règles de la procédure judiciaire : il est en effet possible de passer immédiatement un inculpé par les armes.
• Contribuant à durcir le caractère policier du régime de Vichy, les juridictions exceptionnelles engendrent un climat de haine croissante.
La riposte oe la Résistance
• La protection des maquis et des réseaux exige l'élimination des miliciens, des fonctionnaires trop zélés et des collaborateurs affichés. Des listes noires sont publiées à partir de 1942 dans la presse clandestine de la Résistance. On en donne également lecture dans les émissions françaises de la BBC.
• Sur le terrain, les maquisards ripostent par des expéditions punitives chez leurs adversaires - vrais ou supposés -, pratiquent des exécutions sommaires, parfois à llssue d’un simulacre de procès. Les excès commis par les maquisards poussent le Conseil national de la Résistance (CNR) à condamner la publication
Suspension des Création Création des Création des Création de la Création des Encadrement Condamnation Publication
journaux parus du GPRF cours de justice commissions d'épuration Haute Cour de justice chambres civiques de l'épuration du maréchal de la loi
lors de l’Occupation économique Pétain d'amnistie
LA DROITE COLLABORATIONNISTE RELÈVE LA TÊTE
• Profitant des excès, voire parfois des erreurs commis par les diverses juridictions mises sur pied par le gouvernement provisoire de la République française, une certaine droite relève la tête, se donnant une morale de rechange et un thème de combat en dénonçant une justice, selon elle, aveugle aux intérêts du pays.
• Dès le dimanche des Rameaux de 1945, le révérend père Panici dénonce du haut de la chaire de Notre-Dame de Paris les épurateurs trop zélés comme les « disciples des Allemands ».
• Menacés dans leurs biens et
«
•
Parallèlement, il appartient aux
«chambres civiques» de poursuivre
les membres des groupes de
collaborateurs organisés par l'occupant.
Mises en place par l'ordonnance
du 28 novembre 1944, les chambres
civiques peuvent prononcer des
peines dites d'indignité nationale,
ce qui a pour effet d'entraîner
la suppression des droits civiques
eL dans certains cas, une confiscation
des biens.
Ces chambres condamneront
48 484 personnes, dont 3 184
bénéficieront d'une annulation de peine.
AMNISTIE ET MESURES DE GRACE
• En créant ces juridictions
exceptionnelles, le GPRF a voulu
montrer son désir d'une justice ferme
et rapide, voire inexorable dans les cas
les plus graves, tout en faisant preuve
d'une certaine indulgence pour les
délits mineurs.
S'il est avéré que les
juridictions exceptionnelles ont parfois
procédé à une instruction sommaire,
il convient de rappeler que leur création
et leur fonctionnement sont intimement
liés au contexte politico-militaire : la
guerre n'étant pas terminée, la sécurité
impose de mettre à l'abri -et hors
d'état de nuire- collaborateurs réels
ou supposés.
De plus, elles permettent
de canaliser l'exaspération et le désir
de vengeance de millions de Français
meurtris par quatre années
de souffrances et d'humiliation.
• Dans les faits, beaucoup de décisions
sont annulées par les mesures de grâce
prises par le gfnéral d� Gau/1�
(63% des cas).
Enfin, l'amnistie
prononcée en 1953 ne tarde pas
à rendre la capacité civile aux
personnes sanctionnées par les
chambres civiques.
Dans les faits,
les juridictions exceptionnelles
ont pratiquement cessé d'exister
dès la fin de l'année 1948.
lU FONcnONNAIRES
• l'épuration ne devait pas concerner
, uniquement les personnes privées,
miliciens, traîtres, délateurs, trafiquants.
Les résistants estiment en effet que les
dirigeants des entreprises publiques
ou privées qui ont travaillé pour l'ennemi
ne méritent pas de conserver leurs
postes à la libération.
• l'ordonnance du GPRF du 27 juin 1944
crée des "commissions d'épuration»
habilitées à prendre, dans toutes
les administrations, des mesures
disciplinaires allant du déplacement
d'office à la révocation sans pension,
dans le dessein d'« éloigner des postes
de commandement et d'influence ceux
d'entre les Français qui ont méconnu
l'idéal et l'intérêt de la France au cours
de la plus douloureuse période
de son histoire».
• Des sanctions sont prises contre
11343 fonctionnaires, bien que ces
mesures aillent à l'encontre du principe
du droit administratif et du droit pénal selon
lequel un fonctionnaire est
exempt de peine s'il peut justifier
qu'il a agi sur ordre de ses supérieurs.
Dans les faits, la plupart des personnes
suspendues seront réintégrées ; toutes
les mesures ne deviennent définitives
qu'après décision du Conseil d'État,
qui en annulera beaucoup.
En 1951,
une loi admet le droit à la retraite pour
les "épurés» réalisant les conditions
d'âge.
la loi d'amnistie supprimera
toutes les conséquences matérielles
des mesures exceptionnelles prises
à la libération.
Rnalement, la continuité
de l'administration ne sera guère
affectée, les grands corps de l'État
demeurant remarquablement stables:
98 % des membres de la Cour
des comptes en fonction en 1942
l'étaient encore en 1948, ainsi que
97 %d es inspecteurs des finances
et 70 à 80 % des conseillers d'État.
lA PRESSE
• Si toutes les catégories
socioprofessionnelles sont concernées
- même le clergé-, c'est la presse
qui est le plus durement" épurée».
• l'ordonnance du 26 mai 1944 prévoit
la suspension de tous les journaux
ayant continué à paraître quinze jours
après le 25 juin 1940 en zone nord
et quinze jours après le 11 novembre
1942 en zone sud.
• la plupart des titres ayant paru
sous l'occupation allemande cessent
d'exister et sont remplacés par
des journaux issus de la presse
clandestine.
Ainsi, Défense de
la Fronce devient Fronce-Soir,
à la place de Paris- Soir.
• Dans la mesure où leurs écrits ont
pu marquer l'opinion et où l'enquête
à leur sujet peut être menée sans
difficulté, ce sont les journalistes
et les écrivains qui sont le plus
rapidement et le plus sévèrement
sanctionnés.
Certains sont fusillés,
comme Robert Brasillach.
UNE UURATION TROP DOUCE ?
• La continuité de l'administration a
pour effet que les Français restent en
contact direct avec des fonctionnaires
dont ils soupçonnent certains d'avoir collaboré
avec l'ennemi.
lls s'en
inquiètent comme le montre un
sondage de l'IFOP de décembre 1946:
65% des personnes interrogées jugent
insuffisante l'épuration administrative.
Mais, parallèlemenL l'opinion doit se
résigner à l'argument officiel : le retour
à l'ordre et l'urgence qu'il y a à régler
des problèmes matériels conduisent
à freiner l'épuration.
la restauration
de l'État prime sur toute autre
considération, ne serait-ce que pour
s'imposer face aux Alliés.
Le même
raisonnement est appliqué à l'épuration
des entreprises.
L'ÉPURATION ÉCONOMIQUE
• Alors que l'Occupation a été
synonyme de privations pour
une immense majorité de Français,
il n'échappe à personne que des
fortunes scandaleuses ont été édifiées
par des trafiquants du marché noir,
le plus souvent grâce à la protection
des autorités d'occupation.
le sujet de l'épuration économique
a donc, pour de nombreux Français,
autant valeur morale que politique.
• Des comités interprofessionnels
locaux enquêtent sur le commerce
et l'Industrie, proposent des sanctions
aux commissaires de la République.
Mais il appartient à une Commission
nationale de statuer en dernier ressort.
De plus, de nombreux conflits éclatent
entre les comité départementaux
de libération et les contrôleurs
économiques ou les fonctionnaires
des finances qui "épluchent" à loisir
les comptabilités et retardent les
sanctions.
Comme dans l'administration,
les mesures ne vont pas dans le sens
attendu par beaucoup de citoyens.
· Dès le 16 mars 1945, il est interdit
à toute organisation de la Résistance
de s'immiscer dans l'épuration
économique.
l'administration entend
protéger le potentiel de production
et refuse toute désorganisation des
entreprises.
C'est ainsi que les mêmes
firmes qui ont prospéré avec
l'établissement du mur de l'Atlantique
se voient confier d'immenses chantiers
de reconstruction.
·
C'est d'ailleurs au sujet de l'épuration
économique que se manifestent les
malentendus et les différends les plus
graves entre l'autorité gouvernementale
et les organismes de la Résistance.
Toutefois, ce sont des considérations
morales autant qu'économiques qui
conduisent à certaines nationalisations
d'entreprises de grande envergure,
comme les usines RenauiL même
si dans l'ensemble les petits fraudeurs
sont plus durement frappés que
les gros industriels.
À bien des égards,
l'épuration économique aura été
la moins réussie.
Si des amendes
sont infligées, le nombre des non-lieux
va croissant.
Dans le département
du Nord, par exemple, sur 2154 affaires
instruites, 454 seulement débouchent
sur de réelles sanctions (21 %).
LES CHIFFRES EN DÉBAT
UN BILAN LAIGEMENT EXCESSIF
• Concernant le nombre de victimes
de l'épuration, on a pu avancer
des chiffres dont les variations,
selon les sources, tiennent évidemment
au caractère passionnel du contexte.
• Il est d'autant plus difficile de
s'y retrouver qu'adversaires et alliés
n'ont pas hésité à se pencher sur
la question.
Que penser, en effeL
des 9 000 exécutions qui auraient déjà
eu lieu à Paris et dont fait état le journal
allemand Toges Post le 11 septembre
1944? les Américains ne sont pas
en reste qui annoncent en avril 1946
dans The American Mercury que
so 000 personnes auraient été abattues
par les communistes dans le seul
sud-est de la France.
• Quant aux autorités françaises,
elles ajoutent à une confusion que
les adversaires de la Résistance
ne manquent pas d'exploiter.
Ainsi,
recevant en
février 1945
le colon�/
Passy, un héros de
la Résistance,
le ministre
socialiste
de l'Intérieur
Adrien Tixier
f------------....l.-------------1 fait mention de 105 000 victimes,
LES UMmS D'UN PROCESSUS COMPLEXE
• Bien que certains résistants
estiment que les pouvoirs publics
se sont contentés d'une épuration
fonmelle ou bâclée, les statistiques
s'inscrivent en faux.
Pour autanL le
processus enclenché à la libération
présente de réelles limites.
• En dépit d'exceptions notables -
Philippe Pétain, par exemple -,
l'épuration a ménagé les puissants
ministres, membres de cabinets,
hauts fonctionnaires.
Les solidarités
de caste comme la volonté de
préserver les élites nécessaires
à la reconstruction du pays
expliquent incontestablement
cette mansuétude.
• De plus, la collaboration
administrative se révèle souvent
difficile à établir.
le personnel
judiciaire, pressé et submergé
par l'urgence, peine à traiter des cas
de toute évidence complexes.
Si les
outrances d'un Brasillach s'étalent
à longueur de colonnes dans Je suis
partout, la collaboration économique ou
administrative est moins facile
à cerner.
De même, les complicités
françaises dans l'anéantissement
de la communauté juive -dont
les lois de Vichy ont ratrelrlt
,.llbeiN -ont été sous-estimées
et ont rarement constitué le principal
chef d'accusation dans les procès
de l'après-guerre.
• Enfin, l'Indulgence dont ont pu
faire preuve les autorités s'Inscrit
dans la normalité de l'époque :
c'est ainsi que nombre d'anciens
vichystes, passés parfois dans la
Résistance, ont pu poursuivTe une
carrière politique ou administrative
sous la IV' République.
omettant,
il est vrai, de faire le décompte
des victimes des Allemands et de
la Milice.
En forgeant par amalgame
un bilan largement excessif, le ministre
dramatise sans aucun doute une
situation encore trouble pour mieux
convaincre les Français qu'il est plus
que jamais nécessaire de s'en remettre
à l'ordre républicain.
•Il faudra attendre le retour au calme
pour commencer à entreprendre
un dénombrement plus sérieux.
Deux enquêtes officielles ordonnées
en mars 1946 et en novembre 1948,
conduites l'une par les Renseignements
généraux, l'autre par la gendarmerie,
concluent à 9 673 exécutions, dont
5 234 antérieures au débarquement
du 6 juin 1944 et 4 439 postérieures.
• En 1952, la gendarmerie se livre
à une enquête encore plus fine et
aboutit au chiffre de 10 882 exécutions,
dont 8 867 directement imputables
à la Résistance- 5143 avant le 6 juin
et 3 724 après.
• En 1959, le général de Gaulle
reprend un chiffre très voisin (10 842)
dans ses Mémoires de guerre.
L-____ ____ ____________ ____ _L ________ ____________ ________________ _______ _________ i_ ______ ____ __ ____ _________ _ •
la même année, Robert Aron
dans son Histoire de Jo libération de
la Fronce conteste les chiffres officiels.
S'appuyant sur une dernière enquête
entreprise en décembre 1958 et
sur des témoignages sujets à caution,
il avance un chiffre oscillant entre
30 ooo et 40 ooo exécutions sommaires.
Il maintiendra ce bilan dans son
Histoire de l'épuration.
lE DÉNOMBREMENT OFFICIEL
• À la fin des années 1970, une vaste
enquête menée par les correspondants
départementaux du Comité d'histoire
de la Seconde Guerre mondiale finit
par imposer un bilan définitif et à ce
jour non sérieusement contesté : il
y aurait eu quelque 9 000 exécutions
sommaires, auxquelles il convient
d'ajouter les 467 exécutions après
verdict des cours de justice.
Il est
donc acquis que 10 ooo Français
environ ont été victimes de l'épuration.
Mais il ne fait nul doute que leur
nombre aurait été beaucoup plus
élevé si les pouvoirs publics n'étaient
intervenus rapidement.
L'ÉPURATION DANS
LES PAYS EUROPÉENS
• Dans les autres pays -Belgique,
Danemark, Pays-Bas, Norvège -,
on retrouve des problèmes proches
de ceux qui se sont posés en France,
avec toutefois deux exceptions :
d'une part, il n'existe pas d'autorité
née de la défaite analogue au régime
de Vichy eL d'autre part, l'occupation
allemande y a été dans l'ensemble
moins dure en raison de l'absence
de maquis et de la brièveté des
combats qui ont conduit à la libération.
Pour le reste, l'épuration a été,
comme en France, préconisée sous
l'Occupation par les groupements
de résistants, dans le double dessein
d'écarter les personnalités qui ont failli
à leur devoir et de châtier les agents
de l'ennemi.
En Norvège, au Danemark
et aux Pays-Bas, la peine de mort,
supprimée depuis de nombreuses
années, est rétablie à la libération.
Ainsi, le collaborateur norvégien
Vldkun Quisling est arrêté
à la libération du pays, traduit
devant une Haute Cour de justice
et condamné à mort le 10 septembre
1945.
Dans tous ces pays, l'épuration
est vive, mais de courte durée.
•Il reste que la France a été beaucoup
plus démente pour ses collaborateurs
que ses voisins européens
- trois personnes pour mille habitants,
contre six en Belgique..
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