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Frontières religieuses et frontières politiques

Publié le 19/09/2018

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Frontières religieuses et frontières politiques. INTRODUCTION Politique et religion ont une longue histoire commune et ont même été étroitement liées tout au long des siècles. Elles le sont encore dans beaucoup de pays du monde. Prise dans un sens large, la religion intègre l'ensemble des croyances et des dogmes définissant le rapport de l'homme avec le sacré. La politique, quant elle, est la science, l'art ou la façon de gouverner une collectivité humaine, dont la forme modernisée est l'Etat, et d'y organiser le pouvoir. C'est aussi l'ensemble des affaires publiques d'un Etat et des actions mises en œuvre par les partis dans le but d'accéder ou de se maintenir au pouvoir. Ce faisant, les relations entre la politique et la religion couvre un champ analytique très vaste dont il nous serait raisonnablement et objectivement impossible de cerner la totalité. Ainsi, cette réflexion sera axée sur le contexte africain en général, le cas sénégalais en particulier. En effet, ce continent, plus que tout autre d'ailleurs, est aujourd'hui celui qui est le plus concerné par ce qu'il est convenu d'appeler le « renouveau religieux », particulièrement l'Islam. Les dynamiques politiques et religieuses s'y côtoient, s'entremêlent, se croisent ou se conjuguent de façon exemplaire dans la gestion et la gouvernance des affaires publiques. Comme le dit, à juste titre, Souleymane Bachir Diagne « les hommes et les femmes occupent l'espace politique tel qu'ils sont, tel qu'ils pensent ». Dans ce sillage, il importe de repenser la problématique de ces « nouvelles logiques combinatoires » entre la politique et la religion dans un espace public bâti sur le principe de la laïcité. L'emprise de la religion sur la politique et l'utilisation, sinon l'instrumentalisation de celle-là par celle-ci constituent deux pistes fondamentales sur lesquelles les chercheurs s'aventurent pour tenter d'éluder la problématique. Sous ce rapport, la structuration du politique par le religieux (I) et la politisation de la religion (II) nous paraissent comme deux orientations fertiles pour mener à bien cette réflexion. I. LA STRUCTURATION DU POLITIQUE PAR LE RELIGIEUX Le champ politique africain, et sénégalais en particulier, est traversé de toutes parts par des logiques religieuses allant d'une simple influence (A) à une participation directe par le biais de partis politiques, de mouvements religieux contestataires et parfois de syndicats (B). A. De l'influence des guides religieux dans la gestion de l'Etat… Les chefs religieux ont toujours entretenus des rapports très complexes avec les détenteurs du pouvoir politique. Dans la période précoloniale, certains marabouts se positionnaient dans la cour royale en tant que conseillé, juriste consulte ou les deux à la fois, afin d'apporter des solutions aux questions sociales relatives au mariage, au divorce ou à l'héritage. Cependant, l'arrivée des colonisateurs a déstabilisé les régimes monarchiques et a ainsi profondément changé le sens et la portée des relations entre les guides religieux et l'administration politique. En effet, les Français avaient assigné aux guides une fonction d'intermédiaire entre le pouvoir politique et la masse paysanne, dans l'application de leur politique d'administration cette situation de complicité sera maintenue par le premier gouvernement du Sénégal indépendant qui voyait en ces relations d'alliance, le moyen de gagner la confiance de la masse paysanne, grand électeur et fidèle disciple des marabouts. De nos jours, cette influence est plus que présente dans la gestion de l'Etat, et ce pratiquement à tous les niveaux d'interventions. Ce qui laisse admettre l'importance et le pouvoir que certains guides religieux ont par rapport à certains domaines de décisions qui normalement auraient dû relever exclusivement de la gestion de l'Etat, mais qui malheureusement ou heureusement demeurent sous l'influence de certains guides religieux. C'est ainsi que bon nombre de décisions, au Sénégal, ne peuvent être prises par l'Etat tant que ce dernier ne consulte pas les guides religieux dont les avis demeurent incontournables dans la gestion même de l'Etat. D'où la question que nous nous posons à savoir est ce qu'un pays comme le Sénégal très religieux et à majorité musulmane (95%) pourrait un jour se départir, mieux, faire la part des choses entre le rôle, l'importance des guides religieux et la gestion de l'Etat ? Toujours est-il que dans un pays comme le nôtre, la gestion de l'Etat est inhérente au phénomène religieux, donc à l'influence des guides religieux, d'où l'émergence des partis et groupes de pressions d'inspiration religieuse apparus avec la crise de la fin des années 70 et début 80 qui a profondément affecté le système social dans son ensemble, causant l'ébranlement du « contrat social sénégalais » et favorisant l'apparition des mouvements de contestation et de revendication qui s'identifient à la religion. B. …A l'émergence des partis et groupes de pression d'inspiration religieuse Les décennies 80 et 90 se singularisent, du moins en Afrique, sinon au Sénégal, par l'émergence dans la scène politique d'un « citoyen contestataire » empruntant le plus souvent le moule communautaire et identitaire de la religion. En effet, la recrudescence des crises de toutes sortes entamée depuis la fin des années 1970, dans les domaines économique, politique et social, aggravée par une profonde dégénérescence identitaire, s'accompagne d'une conviction de plus en plus poussée à considérer la religion, fondamentalement l'Islam, comme le seul système global de référence capable d'apporter des réponses claires aux questions de développement. C'est dans ce sens qu'Achille Mbembé affirme : « La démultiplication des mouvements et des modes d'expression religieux n'est qu'une conséquence partielle de cette situation de crise. Elle rend compte, plus que tout autre, d'une présence massive et prégnante d'une demande de redéfinition des contours d'un nouveau champ politique moderne, qui puisse prendre en charge et donner sens aux stratégies de survie de nouveaux groupes sociaux coupés, le plus souvent, de leurs attaches communautaires et mus par des demandes de mobilité sociale, spatiale et économique »[1]

« des jeux politiques. A l'instar des ethnies, mais à une autre échelle, elle est partie prenante des processus identitaires.

Comme celles-ci, elle peut être instrumentalisée par lespolitiques.

En tant que telles, les religions sont exposées à toute sorte de manipulation ayant notamment pour but de designer l'autre afin de le livrer à lavindicte populaire. Les forces politiques ont su ainsi, très souvent mobiliser les sentiments religieux des citoyens si nécessaire pour servir leurs objectifs.

Si l'on en juge parl'intrusion des références religieuses dans les discours politiques et l'entrée en force de mouvements politico- religieux dans la sphère publique, lephénomène d'instrumentalisation du religieux à des fins politiques est une réalité. Cet instrumentalisation du religieux par la politique est bien une réalité dans le monde en général, en Afrique et particulièrement au Sénégal, ou lephénomène, même s'il connaît actuellement de plus grandes manifestation ne date pas d'aujourd'hui. A en croire les propos du chef religieux serigne Mansour Sy Jamil dans le quotidien Walf du 05 février 2008 : « le Sénégal aussi bien avant qu'aprèsl'indépendance a été dirigé par un triangle qui s'est appuyé sur l'Etat et les deux grandes cités religieuses Tivaoune et Touba ».

Une parade dit il trouvéepar Léopold Sedar Senghor pour réussir le pari de diriger pendant vingt ans un pays à prés de 95% de musulmans. Il est clair que tout Sénégalais, quelque soit sont appartenance religieuse ou politique est conscient de ce phénomène qu'il soit pour ou contre, qu'il ledénonce ou le défend.

La société civile, lors d'une rencontre avec la Raddho en avril 2006 constate que le religieux est de tout bord instrumentalisé par lesacteurs politiques.

Et le diagnostic de Maty Ndiaye du Groupe d' Initiative pour la Participation aux Politiques Publiques (GIPP) selon lequel « la démocratiesénégalaise ne fait plus recette » s'explique selon elle par cette tendance de l'Etat à l'instrumentalisation de particularismes d'ordre religieux qui conduit àun niveau inquiétant de la perversion des institutions de la république depuis le 19 mars 2000. Des institutions martyrisées et piétinées par l'instrumentalisation du religieux constate également Alioune Tine de la Raddho (Rencontre Africaine pour laDéfense des Droits de l'Homme). En effet se rappelle t-il, au lendemain de l'alternance, « le nouveau homme fort de l'avenue Roume avait tout simplement pli é les genoux de la républiquedevant le pouvoir religieux (l'autorité religieuse dirions nous) et cela à des fin politiciennes ». C'est qu'alors les acteurs du jeu politique savent user de religieux à leur compte tant que cela les arranges or ces pratiques peuvent engendre desconséquences désastreuse sur le système social global. B.

Conséquences de la politisation du religieux Politisée, sinon apprivoisée, la religion est au cœur des conflits et guerres civiles que traverse la plupart des pays africains. Les pays à religion partagée sont naturellement les plus exposés : Les rivaux en politique savent exploiter les représentations populaires, mettre dureligieux dans les conflits labellisés nord/sud en Afrique de l'ouest.

Le sud du Tchad par exemple a été le théâtre tantôt de pogroms contre les commerçantsmusulmans, tantôt de massacres de civils chrétiens par des militaires musulmans.

Aussi, dans les villes du nord du Nigeria, les massacresinterconfessionnels sont récurrents.

Il ne s'agit pourtant pas de guerres de religions, mais de conflits violents ou de guerres civiles dans lesquellesl'appartenance religieuse est exploitée par des responsables politiques pour confronter les sentiments identitaires et diaboliser l'adversaire. Au Sénégal, Moriba Magassouba pense, à travers les affrontements politico-religieux qui ont émaillé la vie politique depuis les indépendances que les indicesou les signes tendant à démontrer qu'en dépit d'une longue tradition de sécularisation et de laïcité de l'Etat, les risques ou les chances de l'installation d'unerépublique islamique sont inscrits dans le futur de la république du Sénégal. Cela est d'autant plus vrai que la religion, particulièrement l'islam est de plus en plus dogmatiquement considéré comme le seul système de référencecapable de guérir les maux dont souffre la société. Par ailleurs, nombreux sont aujourd'hui ceux qui craignent au Sénégal un affrontement inter-confrérique au regard des prises de position religieuses duprésident de la république et des membres du gouvernement.

Cette concurrence dans le « marché religieux » fait l'objet de plusieurs tractations pouvantdéboucher sur des confrontations ouvertes. Orientation bibliographique Achille Mbembé, « Prolifération du divin en Afrique subsaharienne », in Kepel, G.

Les politiques de Dieu, Paris : Seuil, 1993. BAYART, J-F.

(sous dir.).

Religion et modernité politique en Afrique noire, Paris : KARTHALA, 1993, 312 pages COULON, C.

Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire, Paris : KARTHALA, 1983, 182 pages.CHRETIEN, J-P.

(sous dir.).

L'invention religieuse en Afrique.

Histoire et Religion en Afrique noire, Paris : KARTHALA & ACCT, 1993, 475 pages. CRUISE O'BRIEN, D., Diop M.-C., Diouf, M.

La construction de l'Etat au Sénégal, Paris : KARTHALA, 2002, 231 pages. FERJANI, M-C.

Le politique et le religieux dans le champ islamique, Paris : Fayard, 2005, 353 pages. HEBGA, M.P.

Afrique de la raison, Afrique de la foi, Paris : KARTHALA, 1995, 206 pages. GLELE, M.A.

Religion, culture et politique en Afrique Noire, Paris : ECONOMICA, Coll.

« Politique comparée », 1981, 206 pages. MAGASSOUBA, M.

L'Islam au Sénégal.

Demain les mollahs ?, Paris : KARTHALA, 1985, 219 pages. MAPPA, S.

Pouvoirs traditionnels et pouvoir d'Etat en Afrique.

L'illusion universaliste, Paris : KARTHALA, 1998, 204 pages. MONTEIL, V.

L'Islam noir.

Une religion à la conquête de l'Afrique, Paris : Seuil, 1980, 466 pages. -----------------------[1] Achille Mbembé, « Prolifération du divin en Afrique subsaharienne », in Kepel, G.

Les politiques de Dieu, Paris : Seuil, 1993, p.

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