DÉCLARATION D'INVESTITURE DE M. PIERRE MENDÈS FRANCE A L'ASSEMBLÉE NATIONALE LE 17 JUIN 1954 (extraits)
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
« ... Si le conflit d'Indochine n'est pas réglé — et réglé très vite — c'est le risque de la guerre, de la guerre internationale et peut-être atomique, qu'il faut envisager...
« Une négociation est engagée à Genève, en liaison avec nos alliés et les États associés...
« Il faut donc que le " cessez-le-feu " intervienne rapidement... Nous sommes aujourd'hui le 17 juin. Je me présenterai devant vous avant le 20 juillet et je vous rendrai compte des résultats obtenus. Si aucune solution satisfaisante n'a pu aboutir à cette date, vous serez libérés du contrat qui nous aura liés et mon gouvernement remettra sa démission à M. le Président de la République... «
Pierre Mendès France indique alors les étapes suivantes fixées pour l'action gouvernementale :
« Action sur l'économie d'abord. Le 20 juillet au plus tard, je vous soumettrai un programme cohérent de redressement et d'expansion destiné à assurer progressivement le relèvement des conditions de vie et l'indépendance économique du pays...
... Qu'il me suffise de rappeler qu'une politique active de progrès économique et social est inséparable d'une politique de rigueur financière...
La Communauté européenne de défense nous met en présence d'un des plus graves cas de conscience qui ait jamais troublé le pays...
« L'une de ces données est la nécessité d'un réarmement occidental imposé par la situation internationale et qui conduit à envisager — perspective cruelle pour tous les Français — les conditions de la participation de l'Allemagne à une organisation commune de défense...
« L'accomplissement des tâches qui viennent d'être énumérées doit aller de pair avec le rétablissement de la concorde et de la sécurité dans ces deux pays d'Afrique du Nord qu'endeuillent en ce moment même le fanatisme et le terrorisme. Le Maroc et la Tunisie auxquels la France a ouvert les voies du progrès économique, social et politique, ne doivent pas devenir, sur les flancs de nos départements algériens, des foyers d'insécurité et d'agitation ; cela, je ne l'admettrai jamais.
« Mais j'ajoute avec la même netteté que je ne tolérerai pas non plus d'hésitations ou de réticences dans la réalisation des promesses que nous avons faites à des populations qui ont eu foi en nous.
« Nous leur avons promis de les mettre en état de gérer elles-mêmes leurs propres affaires. Nous tiendrons cette promesse et nous sommes prêts dans cette perspective à reprendre des dialogues, malheureusement rompus... interrompus...
« ... le gouvernement sera ce que seront ses membres. Je ferai appel, si vous me chargez de le constituer, à des hommes capables de servir, à des hommes de caractère, de volonté et de foi. Je le ferai sans aucune préoccupation de dosage...
« Il n'y aura pas de ces négociations interminables que nous avons connues ; je n'admettrai ni exigences ni veto. Le choix des ministres, en vertu de la Constitution, appartient au président du conseil investi, et à lui seul. Je ne suis pas disposé à transiger sur les droits que vous m'auriez donnés par votre vote d'investiture... «
Journal Officiel Débats parlementaires, Assemblée nationale.
Volume no 55, p. 2992, 2993, 2994.
Le candidat rédigera un commentaire composé de ce document en s'aidant, s'il le souhaite, des directives et des questions suivantes :
1° Présentez l'auteur de cette déclaration.
2° Évoquez, en vous référant au texte, la situation intérieure et internationale de la France en juin 1954.
3° Quelle est l'originalité des solutions que Pierre Mendès France se propose d'appliquer aux problèmes qui se posent au pays ?
4° En quoi le style et la teneur de cette déclaration constituent-ils une rupture dans les traditions gouvernementales et parlementaires de la IVe République ?
«
* **
Pistes pour le commentaire
En se référant aux questions d'orientation qui suivent l'extrait proposé, on pourra construire le commentairecomposé en trois parties présentant successivement l'homme, le contexte de sa déclaration et l'originalité de saméthode.
On aura ainsi le plan suivant :
I.
Un homme de décision, épris de réalisme.
II.
Un contexte de crise intérieure et extérieure.
III.
Un contrat avec la nation qui tranche avec les habitudes de la IVe République.
Nous présentons simplement les éléments clés permettant de nourrir ces différentes parties.
I.
Un homme de décision, épris de réalisme.
Rappeler les points clés de la personnalité de Pierre Mendès France.
• Une ambition précoce servie par des talents brillants : rappeler le milieu d'origine (la classe moyenne) et les étudesbrillantes de P.M.F.
: avocat à 19 ans, docteur en droit à 21 ans, passage par l'École libre des Sciences politiques.Membre du parti radical-socialiste dès l'âge de 17 ans, il est député de l'Eure à 25 ans, secrétaire d'État à 31 ansdans le gouvernement Blum de 1938.
• Un des rares hommes politiques de l'époque à disposer d'une solide compétence économique (thèse sur la politiquefinancière de Poincaré), il a été ministre de l'Économie (peu écouté) du général de Gaulle en 1944 ; son plan anti-inflation, jugé trop rigoureux, n'a pas été retenu par le Général en 1945.
L'année précédente, il avait représenté laFrance à la conférence monétaire internationale de Bretton Woods (États-Unis).
• Un homme porté par un courant d'opinion : en 1954, de nombreux hauts fonctionnaires, techniciens ou étudiantsvoient en Pierre Mendès France (P.M.F.) le porte-parole d'un style politique nouveau plus réaliste et plus efficace(parmi ces derniers : Jean-Jacques Servan-Schreiber, Michel Jobert, Claude Cheysson...).
Le « mendésisme »contribue à animer le débat politique français au cours des années 1955-1956 et même ensuite.
II.
Un contexte de crise intérieure et extérieure.
• La crise intérieure comporte deux dimensions :
a) Un tassement de l'expansion économique qui résulte de la politique économique « orthodoxe » des modérés(Pinay, Laniel) au pouvoir depuis 1952.
Ils ont réussi à casser le rythme de l'inflation déchaînée par la guerre deCorée.
Mais, en 1954, une relance apparaît nécessaire.
b) Un malaise social et politique multiforme : grèves-surprises d'août 1953 dans les services publics ; mouvement dePierre Poujade (un papetier de Saint-Céré) pour la défense des artisans et des petits commerçants menacés par lestransformations des réseaux de distribution ; grippage des institutions de la IVe République symbolisé par lalaborieuse élection du président Coty, en décembre 1953 : il a fallu une semaine entière et treize tours de scrutin!...• La crise extérieure est à la fois coloniale et européenne :
a) La crise coloniale : Pierre Mendès France est appelé au pouvoir après la défaite des troupes françaises dans lacuvette indochinoise de Dien Bien Phu (mai 1954).
Après sept années de combats meurtriers, l'Indochine est perdue.Ce désastre ébranle l'opinion métropolitaine qui ne comprend pas l'enlisement du régime dans cette affaire.
b) La crise européenne porte sur le projet de Communauté européenne de défense, proposé par la France et signéavec nos partenaires dès 1952, mais que les gouvernements successifs n'ont toujours pas soumis à la ratification duParlement, en raison des divisions partisanes qu'il suscite.
Le M.R.P.
(démocrate chrétien) en est un chaud partisan; les gaullistes et les communistes y sont résolument hostiles.
La querelle de la C.E.D.
empoisonne depuis deuxannées le climat politique français.
III.
Un contrat avec la nation qui tranche
avec les habitudes de la IVe république.
• La déclaration d'investiture de P.M.F.
constitue un contrat politique avec la nation.
Auteur d'un ouvrage intitulé :Gouverner, c'est choisir, Mendès France affiche volontiers un style impérieux (à la Clemenceau ou à la Caillaux) etpréfère aborder de front les problèmes : c'est l'attitude inverse de celle d'un autre chef de gouvernement radical dela IVe République, le docteur Queuille, qui estimait que « la politique ne consiste pas à résoudre les problèmes, maisà faire taire ceux qui les posent ».
Aux accommodements, P.M.F.
préfère la « méthode chirurgicale »..
»
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