Chine de 1910 à 1919 : Histoire
Publié le 12/01/2019
Extrait du document
Accélération de l’histoire ou bifurcation dans le passé?
Deux événements de premier ordre encadrent la décennie : en 1911-1912, une révolution met fin à la dynastie mandchoue, ultime héritière de l’Empire bimillénaire que remplace la République, proclamée le 1er janvier 1912 par Sun Yat-sen (Sun Yixian). Le 4 mai 1919, se déroule à Pékin (Bcijing) la première grande manifestation estudiantine du siècle. Bientôt étendue aux provinces ainsi qu'aux hommes d’affaires et aux ouvriers, cette flambée nationaliste de la Chine urbaine et des nouvelles classes sociales caractérise ce que les historiens chinois ont nommé le «mouvement du 4-Mai».
Sans se confondre avec lui, le mouvement social correspond à un profond mouvement d’idées déclenché depuis le milieu de la décennie par les «nouveaux intellectuels» qui rejettent, à la suite de Tch’en Tou-sieou (Chcn
Duxiu), la culture et l'ordre social confucéens au nom d’idéaux scientifiques et démocratiques. Comme l'intelligentsia occidentaliste confère volontiers un contenu social à son exigence démocratique, la radicalisation intellectuelle ne tarde pas à se doubler d’une radicalisation idéologique et politique, accentuée par la révolution russe. Alors que Sun
Yat-sen réorganise le Kouo-min-tang (Guomindang, parti national) en 1920, le parti communiste chinois est créé en 1921 à Chang-hai (Shanghai), dix ans après la chute de l'Empire.
Sur la foi de cette accélération, les historiens chinois ont fait de 1919 plutôt que de 1911 la date fondatrice de leur ère contemporaine. Mais l'histoire chinoise ne s’accélère qu’en prenant des chemins de traverse: ceux du provincialisme et du militarisme, qu’elle a maintes fois empruntés dans le passé avec la chute des dynasties. L’effondrement de l’Empire est avant tout celui de l’unité politique, que la République ne saura ni préserver ni restaurer contre les seigneurs de la guerre. Dans le chaos militariste grandissant, la modernité du «mouvement du 4-Mai» est une illusion partagée par une infime minorité, un emportement de tête laissant à l’écart l'immense corps paysan.
L'implosion de la République
On peut douter du caractère «bourgeois» de la Révolution française, compte tenu de l’évolution' des classes dominantes à la veille de 1789, mais pas du fait qu'elle a instauré une sphère politique unifiée au-dessus des particularismes: de là l'unité remarquable de la «grande nation» à travers une succession non moins remarquable de régimes politiques. La révolution chinoise est au contraire l'expression politisée de particularismes provinciaux, que les faiblesses internes et externes de l'Empire ont renforcés depuis le milieu du xixe siècle. Ce qui abat l'Empire en 1911 n’est ni l'agitation populaire ni celle des intellectuels révolutionnaires, mais une fronde de notables. Les conflits d'intérêts au sein de la classe dominante — principalement ceux qui opposent les notables locaux à la bureaucratie centrale — n'ont pu être réglés dans le système politique réformé mais toujours très autoritaire mis en place à partir de 1906. Les libertés accordées (surtout l’élection d'assemblées provinciales en 1909) ont renforcé l'opposition constitutionnaliste parmi les notables réformistes, tandis que le recul des
valeurs confucéennes (recul sanctionné par l'abandon des examens impériaux en 1905) ruinait le seul rempart qui eût empêché les notables conservateurs des provinces, par loyauté, de se liguer avec les opposants contre Pékin. La fronde antipékinoise n'a accordé qu'un rôle mineur et localisé (à Chang-hai et à Canton) à une bourgeoisie d'affaires encore peu différenciée du grand corps des notables. Et si les événements révolutionnaires proprement dits éclatent le 10 octobre 1911 à Wou-tch'ang (Wuchang) dans le groupe très politisé et très républicain des officiers du Sud, les révolutionnaires professionnels rassemblés par Sun Yat-sen en 1905 (dans une Ligue jurée, elle aussi minée par les particularismes provinciaux) n’y prendront part qu'a posteriori.
L’évolution même de la révolution trahit ces pesanteurs. Tout d’abord cascade de sécessions provinciales, parachevant à l’automne 1911 l'institutionnalisation du pouvoir local des notables au Centre et au Sud. elle se caractérise ensuite par un compromis avec le Nord dominé par l’autoritaire Yuan Che-k’ai (Yuan Shikai), auquel Sun Yat-sen cède la présidence en échange de son ralliement à la République (février-mars 1912). Sans doute les formes d'un régime parlementaire sont-elles adoptées. Des associations, des partis (parmi lesquels une première mouture du futur Kouo-min-tang, issue de la Ligue jurée) préparent les élections. Mais le mouvement ne dispose pas d'assise solide, faute d’une société civile et d'un champ politique unifiés. Lorsque Yuan Che-k’ai étrangle le parlementarisme en 1913 — en justifiant la suppression des libertés par le maintien de l’unité —, les opposants lui donnent raison en recourant contre lui à des soulèvements provinciaux, d’ailleurs vite réprimés. De même, la tentative qu'il fait en 1915 pour restaurer l'Empire suscite non seulement l'hostilité de la société politique pékinoise, microcosme dont le républicanisme est à vrai dire sans grande importance, mais une nouvelle levée de particularismes provinciaux sur lesquels s'appuient des pouvoirs militaires rivaux. Là où Napoléon a pu
«
Disparition
d'un symbole rie
l'Ancien Régime: les soldatr de
l'arm ée rél'olutiomwire de compter
sur le soutien des notables,
sur le relais du patriotisme populaire et
sur une structure étatique unifiée,
Yu an Che-k'ai n'impose son
bonapartisme qu 'en vertu de son
emprise sur l'armée du ord, le Pei
yang (Bei yang), et de la supériorité de
celle-ci sur les armées provinciales.
L ors qu 'i l meurt brusq uemen t (1916),
la modernisation économi qu e et
sociale qu'il a prév ue afin de remédier
à ces carences n'a pu prend re racine.
L es épigones du Pei-yang se replient
ankin
coupem les nattes des
jeunes Chinois.
© Hnrlingu� · lfiollet
I,OLITIQUE
03.10.1910 Réunion
de l'A ss em blé e consultative des délé gué s
p ro vin ciau x qui clcmanclcnt une Const itu tio n et un
Parlement.
Avril 1911
Échec d'une insurrection armée de Sun Yat- se n à
Canton.
09.05.1911 Décret
de nationalisation des chemins de fer.
10.10.1911 Rébellion de la garni son de Wou -t e h 'ang (Wuchang).
Extension de la révol utio n et décl ara tio ns
d'indépendance de provinces.
01.01.1912 Su
n Yat· se n proc la m e la Ré pub liq ue chinoise à
a n kin .
12.02.1912 Al>dication
de l' e m pereu r P'ou·) i.
15.02.1912 Élect ion à la présidence de la République de Yuan
Che-k'ai.
après l'effacement de Sun Yat-s e n .
Janvier 1913 Le Kouo-mi n-t an g (successeur parlementaire de la
Ligue jurée) remporte les éle ctio ns.
20.03.1913 Assassinat de Song Kiao-j e n (Song Jiaoren).
chef du
Kouo-min-tang.
Rupture du consensus républic ain.
Juillet 1913 •Seconde Révolution• contre Yuan Che-k'ai.
04.11.1913 Dissolution du
Kouo-min-tang.
Exil des dir ig ea nts.
15.12.1913 Dissolution
de l' A ss e m blé e nationale.
Dictature de
Yuan Che-k'ai.
02.(j(J,l914 Le Japon s'empare des posse ssio ns allemandes dans
la province du Chan-tong (Shan don g).
18.01.1915 Le
Japon pré�e nte à la Chi ne ses Vin g t et U ne
Demandes.
Août 1915 Yuan
Che-k'ai amorce la restauration de l' E m pir e à
son profit.
Décembre Soulèvements
provinciaux contre le projet de
1915 rest a u ra tio n im périal e.
06.06.1916 Mort
de Yuan Che-k'ai.
Début de la période des
•seigneurs de la guerre• qui du rera jusq u'e n 1928.
14.08.1917 Entrée
en guerre de la Ch in e aux côtés des Alliés.
Août 1917 Sun
Vat-sen te n te d'instaurer un gou ,•e rnem en t
républicain dans le Sud.
Mai 1918 Nouvel
exil de Sun Yat-sen après la rupture ave c le s
militaristes de la ré gio n de Canton.
30.04.1919 La
confé re n ce de la Paix à Versailles laisse les mains
libres au Ja po n dans la pro v in ce du Chan-tong.
04.05.1919 Manifestations
d'étudiants à Pékin.
étendues en juin
et soutenues par les marchands et les ouvriers.
sur
les provinces, ne laissant à Pékin
q u'une double fiction: celle d'un
gouvernement central et d'un régime
civil.
Le premier ne sera que
l 'i nst rume nt de la clique militariste
dominante au Nord [jusqu'en 1920.
celle du An-h oyei (Anhui)!.
Le secon d
n e f onc tionn e qu 'en vase clos,
réceptacle d'influences et de
c o rru pti o n, dans lequel s'agite une
société politique croupion inféodée aux
cli que s militaires.
Toile de fond des
années vingt et de la révolution
communiste.
le ch aos militariste ne
sanctionne pas un échec populaire (la
révolution, œuvre des no ta ble s, fut
d 'em blée conservatrice).
mais
l 'in su ffisan t renouveau des élites
politiques et des structures sociale s,
inc apable s de pren dre la relève du vieil
Emp ire parvenu à bout de souffle.
Les stratégies du renOU\'eau :
Sun Y at -sen et la révolution
autoritaire
Si l'i mp losion de la République
chinoise rappelle bien des éclatements
anciens, elle n'est pas sans annoncer
ce lle de maints régimes postcol onia ux
du tiers monde d'aujourd'hui.
C'est par
cette actualité du militarisme,
comme par les interventions étrangères
et sino n par le rôle des intellectuels
avec les lettrés, du moin s par
l'influence prépondérante des idées
occidentales, que la Ch ine en déficit de
modernité, qui naît des décombres de
l'Empire, fait son entrée dans le siècle.
Rendues pru dente s par la rébellion des
B oxer s (1 900), les pu issa nces ne
songent pas à la dépe cer à la faveur des
troubles de 1911 ou 1913.
Elles misent
au contraire assez vite sur Yuan Che·
k'ai, garant de l'ordre politi que et
social, et leurs banques lui avancent
d e s fonds importants.
Dès 1914-1915,
pourtant, la guerre en Europe ayant
rompu son équilibre en Chine, le
J apon profite de son tête-à-tête avec
les États-Unis pour re noue r avec le
brigandage solitaire.
Ses Vingt et Une
Demandes en 1915 pré pa rent un
quasi-protectorat.
La France, la
Gr and e-B re ta gn e (p u is Woodrow
Wilson lui-même lors de la conférence
de la Paix à Versailles) auront la
faiblesse de lui laisser le ch amp libre au
Chan-tong (Sh ando ng ) contre les
int érêt s allemands, en écha nge de son
entrée en guerre aux côtés de l'Entente
( c 'e st co n tr e l'i m puissa nce du.
»
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