Article de presse: Nixon à Pékin
Publié le 17/04/2012
Extrait du document
21 février 1972 - Les résultats d'un voyage aussi " historique " que celui que vient de faire en Chine le président Nixon ne s'apprécient pas aisément, chaque élément n'étant qu'une partie d'un ensemble : il y a l'accueil officiel et populaire, autrement dit l'impression que le grand public retient et qui influe à long terme sur l'évolution des opinions il y a le communiqué, qui, s'il ne dit pas tout, traduit un minimum de positions communes : il y a enfin la partie cachée de l'iceberg, tout ce qui s'est dit en secret et déterminera en fin de compte plus que tout le reste la conduite des gouvernants. L'accueil de la Chine à Richard Nixon a été en gros ce que l'on pouvait attendre : courtois en haut lieu, réservé mais curieux de la part de " masses " qui n'ont pas été " mobilisées " pour la circonstance. Le passage le plus important du communiqué est sans conteste la nouvelle reculade annoncée par Washington sur la question de Formose. En affirmant que l'objectif de son gouvernement est de voir le problème réglé pacifiquement par les Chinois eux-mêmes et de retirer en fin de compte toutes ses troupes de l'île, Richard Nixon a confirmé et accentué l'évolution qui l'avait déjà mené de la thèse de la " vraie Chine " (nationaliste) à celle des " deux Chines ", puis de l'affaire intérieure des Chinois. Sans doute les conditions du retrait américain sont-elles assez mal définies : il dépendra de la diminution d'une " tension " que les Etats-Unis demeurent libres d'apprécier, mais qui, dès aujourd'hui, ne paraît pas particulièrement aiguë. Richard Kissinger a bien rappelé dans une conférence de presse que le traité de défense conclu entre les Etats-Unis et Taipeh en 1954 reste valable. Mais que subsistera-t-il de ce document si ca caution militaire est appelée à disparaître ? Les dirigeants chinois ont-ils, au cours des longues conversations qu'ils ont eues avec leur hôte, offert un prix pour cette concession, par exemple la promesse d'une coordination de l'action des deux pays sur certaines problèmes internationaux ? On n'en voit pas trace à propos du Vietnam ni même de l'URSS, puisque Richard Nixon, soucieux de ne pas gâter les perspectives de son voyage à Moscou dans trois mois, a pris soin de préciser dans le communiqué qu'il s'oppose à toute " collusion " contre d'autres puissances. Tout de même, ces sujets et bien d'autres ont été longuement évoqués au cours des quelque trente heures que le président américain et Zhou Enlai ont passées ensemble. S'il n'y a donc pas " collusion ", on peut parler d'un " antagonisme atténué ", ce que confirment les dispositions prises pour la poursuite des contacts. Il reste à voir si le " développement progressif du commerce " ira jusqu'au " nouveau plan Marshall " dont parlait André Malraux. Aussi longtemps que l'affaire de Formose ne sera pas réglée, les contacts officiels continueront de se faire dans le seul sens Washington-Pékin. Néanmoins, les échanges culturels et touristiques vont maintenant passer dans les moeurs : toutes proportions gardées, les deux pays pourraient peu à peu avoir le même type de relations que celles qui prévalent entre la Chine et le Japon, qui va, lui aussi, accélérer son mouvement de rapprochement vers la Chine, comme l'indiquent les derniers propos de Eisaku Sato sur Formose.
«
1972 : le président Nixon en Chine
L'amorce du grand virage
A
ucun voyage de chef
d'État, dans la seconde
moitié
du xx" siècle, n'a
changé la carte politique du
monde sur une telle échelle .
Quand, le lundi
21 février 1972,
à 11 h 30, heure locale, Richard
Nixon,
59 ans, descend l'escalier
apposé
au flanc du Spirit of 76,
le jet présidentiel américain, à
l'aéroport de Pékin, peut-être
se souvient -il qu'il a été un de
ces
« Jeunes-Turcs » du parti
républicain qui, au début des
années 1950, apostrophaient
l'administration Truman en lui
demandant : « Qui, sinon vous,
a livré la
Chine aux commu
nistes ? » Ou peut-être ne s'en
souvient-il pas, tant il s'est laissé
séduire
par les analyses de son
visionnaire conseiller
pour la
sécurité nationale, le
« cher »
Henry Kissinger, avec qui il s'est
employé à court-circuiter les
canaux traditionnels de la di
plomatie établie
pour forger une
approche moins traditionnelle,
moins morale, mais ultra -réa
liste des rapports des
États-Unis
avec le reste du monde .
«Le monde
aura
changé»
Il est arrivé deux heures plus tôt
en Chine, à Shanghai , pour une
brève escale.
Il en repartira une
semaine plus tard, le 28 février
-une semaine essentiellement
consacrée à des visites touris
tiques.
Entre-temps, proclame
ra-t-il après coup,
« le monde
aura changé ».
De fait, il avait prévenu.
Dès
1967 ,
Nixon écrivait dans la
revue
Foreign Affairs : « Nous
ne pouvons tout simplement
pas nous permettre de laisser la
Chine pour toujours à l'écart de
la famille des nations , à s'adon
ner à ses fantasmes, à chérir
ses haines et à menacer ses voi
sins.
» En octobre 1970, moins
de deux ans après être devenu
le 37e
président des États-Unis,
il avait enfoncé le clou dans l'heb
domadaire Time : « S'il y a une
chose que je veux faire avant ma
mort , c'est aller en Chine.
»
Depuis la fin de la guerre de
Corée en 1953, les relations
sino-américaines n'ont guère
changé : c'est un flot incessant
d '
injures d'État dans le vo
cabulaire choisi de la guerre
froide, Washington dénonçant
la participation de la Chine de
Mao Zedong
dans les conflits et
tensions d'Extrême-Orient - à
commencer par le Vietnam, où
les GI se battent contre le Viêt
Cong soutenu en sous-main par
les Chinois -, et Pékin s'en pre
nant,
armées de manifestants à
l'appui, à« l'impérialisme amé
ricain
et ses chiens courants ».
À Washington, « normaliser »
avec Pékin semble à beaucoup
d'une incongruité absolue.
Jean Leclerc
du Sablon, cor
respondant de l'AFP à Pékin à
l'
époque, raconte
(L'Empire de la
poudre aux yeux , Flammarion,
2002) à quel point, de l'autre
côté du Pacifique, la chose est au
moins aussi inimaginable alors
pour le petit peuple.
La presse
regorge d'anathèmes antiaméri
cains .
La surenchère est alimen
tée par les sourdes querelles
intestines nées de l'explosion
de la révolution culturelle, qui
a jeté le pays
dans le chaos.
« La
Chine est encore isolée de la
planète.
Chaque semaine, des
manifestants téléguidés
brùlent
des caricatures de l'Oncle Sam
sous mes fenêtres ...
»
Et pourtant , de ce tumulte, voici
qu'un cri de marchand de jour
naux a émergé, le soir de Noël
1970 à Pékin : « Américain ...
amical...
le président Mao ...
>> Le
Quotidien du peuple, organe du
Parti communiste, annonce que
Mao Zedong a reçu le journaliste
Edgar Snow,
un vieux compa
gnon de route de l'époque de
la guerre civile .
Un « Américain
ami », voici qui est nouveau .
On n'en est plus tout à fait à
vilipender
tous les « tigres de
papier», note Leclerc du Sablon
dans une dépêche transmise à
l'AFP, qui est un des rares organes
de presse
occidentaux à avoir
un correspondant permanent
en Chine (tous les médias amé
ricains
en sont absents) .
« Diplomatie
du ping-pong »
Il y a plus encore, mais ni Le Quo
tidien du peuple ni Snow n'en
parlent
sur le moment.
À une
question prudemment emberli
ficotée dans le jargon gauchiste ,
Snow a demandé à Mao si
« des
droitistes comme Nixon représen
tant le capitalisme monopoliste
pourraient être admis à venir
POURQUOI
CET ARTICLE ?
L'article est à analyser dans
le contexte de la « détente »
(1962-1975).
Le rapprochement
sino-américain qu'il relate est
la conséquence de situations
marquant les années 1960.
« Grand Timonier » est le sur
nom attaché à la personne de
Mao Zédong lui donnant l'image
de l'homme de barre aux com
mandes de la Chine.
La « révolution culturelle » se
déroule
entre 1966 et 1968.
Un
temps écarté du pouvoir, Mao
Zédong y revient en s'appuyant
sur la jeunesse ..
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