ANNALES (de l'école des Annales à la « Nouvelle Histoire »)
Publié le 14/11/2018
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ANNALES (de l'école des Annales à la « Nouvelle Histoire »). Il est rare que les revues scientifiques et les mouvements qu’elles peuvent entraîner soient appelés à prendre rang du point de vue littéraire. Le courant qui a illustré l’historiographie française contemporaine, d’une manière exceptionnellement brillante, à partir de la revue Annales, Economies, Sociétés, Civilisations (publiée sous ce titre depuis 1946, éditée sous divers titres de 1929 à 1945), peut pour sa part y prétendre.
La revue fondée à Strasbourg par Lucien Febvre et Marc Bloch en 1929, sous le titre Annales d'histoire économique et sociale, s’annonce en effet comme un projet visant bien au-delà du territoire de l’historien.
Si les structures mentales qui ont permis la Grande Guerre se révèlent en outre si étriquées que, incapables de maîtriser la « prospérité », elles laissent le monde tomber d’années folles en crise majeure, il devient nécessaire de leur substituer l’outillage incomparablement plus ample que des historiens — alors jeunes — commencent à expérimenter. Le projet des Annales, en partant à la découverte d’un Nouveau Monde de la représentation du réel historique, est bel et bien d’apporter à l’époque contemporaine une capacité à se comprendre qui soit à l’échelle de ses mutations.
Aussi, face à l’éventail des disciplines constituées — historiographie positiviste, économie normative, sociologie taxinomique... —, les Annales s’affichent-elles comme une revue de combat.
Elles sont dissidentes en tant que mouvement d’historiens. Les historiens pratiquent la lecture du passé. Ils se dotent pour cela d’outils conceptuels jugés sûrs par leur époque — État, religion, etc. — et ordonnent en une lecture intelligible leurs remarques en ordre concentrique, pour ce qui est des divers sujets d’intérêt, en suivant une chronologie pour atteindre à l’état présent de l’objet considéré. L’inconvénient de cette démarche est que, partant d’une représentation tardive, elle introduit une parallaxe considérable dans la présentation des systèmes et des réalités d’autrefois. De sorte que ce n’est pas du tout le passé que cette science du passé saisit, mais la mesure de ses propres limites conceptuelles, en deçà et au-delà desquelles on ne trouve que le vide ou l’aléa d’une idéologie. Les mécanismes de l’historiographie ne permettent plus de comprendre le mouvement historique; a fortiori ils interdisent de le gouverner.
L’idée directrice des Annales est de procurer cette nécessaire intelligence du temps présent en fournissant à la pensée des fondements plus solides que son propre miroir sans tain, l’idéologie historienne. Ces fondements, il faudra les chercher dans récriture du passé, dans la mise en évidence de configurations significatives ne devant rien au système des concepts de l’historiographie, et qui même ont toutes chances de les abolir au profit de formalisations plus élaborées.
L’approche intellectuelle procède par problématiques, et non plus selon des lignes d’analyse tracées d’avance. Le titre d’un livre célèbre de Lucien Febvre : le Problème de l'incroyance au xvie siècle (1938), est, de ce point de vue, une bonne illustration.
En proposant de la sorte un tout autre usage du passé, les Annales désavouent complètement et la fonction des historiens et les arcanes de leur travail. Le « métier d’historien » que célèbre Marc Bloch ne distingue pas une corporation universitaire particulière; il ne faut pas non plus l’entendre au sens de carrière ou d’emploi. Il s’agit plutôt d’un tour de main, d’une maîtrise à acquérir par une longue pratique de cette histoire qui se donne à lire (non de celle que l’on écrit), ou encore d’un appareil permettant d’étudier les grandes questions dans des conditions opératoires convenables. Le changement de statut du passé (non plus préparation du présent, et donc expliqué par lui, mais domaine à explorer, à partir duquel on pourra mieux penser le présent) a pour corollaires la transformation du travail historique et celle de toutes les sciences humaines qu’elle entraîne : si l’une d’entre elles se soustrait à ses frontières pour devenir méthode, toutes voient leur contour se briser et leur identité être mise en question.
Décentrées par rapport à l’historiographie classique, dont elles prennent complètement à rebours les principes définis par un Seignobos en 1898, les Annales ne sont cependant pas l’« ouverture de l’histoire aux sciences sociales » qu’on veut trop souvent y voir. Leur démarche, qui part d’objets à construire, de problématiques à éprouver, de domaines à légitimer, met au contraire en cause simultanément l’histoire et les sciences sociales; elle pose une question beaucoup plus profonde à toutes les modalités d’approche du réel humain : celle de leur méthode et de leur pertinence. Elle ouvre un débat épistémologique, que tous ses sectateurs n’auront pas toujours le courage de soutenir, mais qui n’en lance pas moins le mouvement si particulier des sciences sociales en France, aux antipodes du néo-positivisme germano-anglo-saxon, par exemple.
Les Annales n’ont, dans un premier temps, rien d’une école. Elles incarnent au contraire le besoin d’ouvrir les portes, d’affirmer la valeur scientifique et surtout la pertinence épistémologique d’une démarche intellectuelle inconcevable selon les arcanes classiques, d’autant plus péremptoires qu’ils deviennent inopérants.
On peut, par contre, noter, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un renversement de position. La mouvance des Annales correspond alors, bien plus qu’à des recherches contestataires, aux attentes centrales d’une Weltanschauung radicalement changée. Un lieu institutionnel lui est conféré par la création, symptomatiquement ajournée depuis 1868, de la VIe section de l'École
pratique des hautes études (sciences sociales) autour de ses chefs de file. Elle est forte d’un saint patron : Marc Bloch, fusillé par les nazis comme intellectuel, comme juif et comme résistant, conjugue les intuitions fondamentales d’ordre scientifique et d’appartenance au meilleur de l’engagement national. Il ne s'écrira plus de livre d’histoire en France qui ne se place sous les auspices du grand historien réformateur de la discipline. La famille intellectuelle dont les Annales sont la maison s’illustre par une cascade d’œuvres magistrales qui portent en deux décennies l’historiographie française à la plus haute célébrité mondiale. Le ban est ouvert par Fernand Braudel, avec la Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II (1949).
«
considéré.
L'inconvénient de cette démarche est que,
partant d'une représentation tardive, elle introduit une
parallaxe considérable dans la présentation des systèmes
et des réalités d'autrefois.
De sorte que ce n'est pas du
tout le passé que cette science du passé saisit, mais la
mesure de ses propres limites conceptuelles, en deçà et
au-delà desquelles on ne trouve que le vide ou l'aléa
d'une idéologie.
Les mécanismes de l'historiographie ne
permettent plus de comprendre le mouvement historique;
a fortiori ils interdisent de le gouverner.
L'idée directrice des Annales est de procurer cette
nécessaire intelligence du temps présent en fournissant à
la pensée des fondements plus solides que son propre
miroir sans tain, l'idéologie historienne.
Ces fonde
ments, il faudra les chercher dans l'écriture du passé,
dans la mise en évidence de configurations significatives
ne devant rien au système des concepts de l'historiogra
phie, et qui même ont toutes chances de les abolir au
profit de formalisations plus élaborées.
L'approche intellectuelle procède par problématiques,
et non plus selon des lignes d'analyse tracées d'avance.
Le titre d'un livre célèbre de Lucien Febvre: le Problème
de l'incroyance au xv� siècle (1938), est, de ce point de
vue, une bonne illustration.
En proposant de la sorte un tout autre usage du passé,
les Annales désavouent complètement et la fonction des
historiens et les arcanes de leur travail.
Le« métier d'his
torien » que célèbre Marc Bloch ne distingue pas une
corporation universitaire particulière; il ne faut pas non
plus l'entendre au sens de carrière ou d'emploi.
Il s'agit
plutôt d'un tour de main, d'une maîtrise à acquérir par
une longue pratique de cette histoire qui se donne à lire
(non de celle que l'on écrit), ou encore d'un appareil
permettant d'étudier les grandes questions dans des
conditions opératoires convenables.
Le changement de
statut du passé (non plus préparation du présent, et donc
expliqué par lui, mais domaine à explorer, à partir duquel
on pourra mieux penser le présent) a pour corollaires la
transformation du travail historique et celle de toutes les
sciences humaines qu'elle entraîne : si l'une d'entre elles
se soustrait à ses frontières pour devenir méthode, toutes
voient leur contour se briser et leur identité être mise en
question.
Décentrées par rapport à l'historiographie classique,
dont elles prennent complètement à rebours les principes
définis par un Seignobos en 1898, les Annales ne sont
cependant pas l'« ouverture de l'histoire aux sciences
sociales» qu'on veut trop souvent y voir.
Leur démar
che, qui part d'objets à construire, de problématiques à
éprouver, de domaines à légitimer, met au contraire en
cause simultanément l'histoire et les sciences sociales;
elle pose une question beaucoup plus profonde à toutes
les modalités d'approche du réel humain : celle de leur
méthode et de leur pertinence.
Elle ouvre un débat épis
témologique, que tous ses sectateurs n'auront pas tou
jours le courage de soutenir, mais qui n'en lance pas
moins le mouvement si particulier des sciences sociales
en France, aux antipodes du néo-positivisme germano
anglo-saxon, par exemple.
Les Annales n'ont, dans un premier temps, rien d'une
école.
Elles incarnent au contraire le besoin d'ouvrir
les portes, d'affirmer la valeur scientifique et surtout la
pertinence épistémologique d'une démarche intellec
tuelle inconcevable selon les arcanes classiques, d'autant
plus péremptoires qu'ils deviennent inopérants.
On peut, par contre, noter, au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale, un renversement de position.
La mou
vance des Annales correspond alors, bien plus qu'à des
recherches contestataires, aux attentes centrales d'une
Weltanschauung radicalement changée.
Un lieu institu
tionnel lui est conféré par la création, symptomatique
ment ajournée depuis 1868, de la vr• section de l'École pratique
des hautes études (sciences sociales) autour de
ses chefs de file.
Elle est forte d'un saint patron : Marc
Bloch, fusillé par les nazis comme intellectuel, comme
juif et comme résistant, conjugue les intuitions fonda
mentales d'ordre scientifique et d'appartenance au meil
leur de l'engagement national.
Il ne s'écrira plus de livre
d'histoire en France qui ne se place sous les auspices du
grand historien réformateur de la discipline.
La famille
intellectuelle dont les Annales sont la maison s'illustre
par une cascade d'œuvres magistrales qui portent en
deux décennies l'historiographie française à la plus haute
célébrité mondiale.
Le ban est ouvert par Fernand
Braudel, avec la Mé diterranée et le monde méditerra
néen à l'époque de Philippe 1/ (1949).
Peut-être parce qu'elle brtlle de gagner sur de nou
veaux terrains -assez bien choisis au lendemain d'une
guerre qui a mis en jeu le sens de J'histoire -les com
bats qu'elle a manqués de quelques années, une jeune
génération vient donner tout son éclat au mouvement :
Jacques Le Goff, Emmanuel Le Roy Ladurie, François
Furet.
Pierre Goubert, Pierre Jeannin, Alain Touraine
projettent en quelques années des lumières totalement
neuves sur la Civilisation de l'Occident médiéval (Le
Goff, 1964), les Paysans de Languedoc (Le Roy Ladurie,
1966), la Révo lution française (Furet-Richet, 1972), la
démographie historique (Beauvais et le Beauvaisis de
1600 à 1740, P.
Goubert, 1958),l'économie moderne de
l'Europe du Nord, les mouvements sociaux.
La thèse
monumentale de Pierre Chaunu (Séville et l'Atlamique,
12 vol., 1955-1960) lance l'histoire sérielle.
En mettant
en regard de la grande synthèse braudélienne sur la
Méditerranée son équivalent «atlantique», elle achève
de tracer l'épine dorsale des Annales: l'histoire des
Temps modernes, italo-franco-hispanique au premier
chef, dans sa composante économique.
Privilégiée sans doute par l'action de maîtres tels
Lucien Febvre, Jean Meuvret, Marcel Bataillon, cette
période attire aussi par sa fécondité problématique : fron
talière de tous les «modes de production» répertoriés
par la théorie, n'offrant ni les images globalisées qui
servent à décrire le Moyen Age ni les classements recon
nus dans l'époque contemporaine (économie, société,
politique, etc.), elle se prête au démontage expérimental
de tous les mythes historiographiques.
Période de fortes
mutations, ces « temps modernes » en appellent sans
cesse d'un modèle à un autre; définis comme interstitiels
entre la fin du Moyen Age (1453 ou 1492) et le début
des Temps contemporains ( 1789), ils interdisent de partir
du concept de période pour les penser et obligent à partir
d'une problématique indifférente à de tels cadres de réfé
rence.
C'est à partir de ses recherches sur les Temps
« modernes » que l'école des Annales a dissous toute
l'armature intellectuelle dans laquelle était jusque-là
pensée l'histoire, et placé sur un même plan l'étude des
peuples dits «sans histoire» que se réservait l'ethnolo
gie et l'interprétation de la politique contemporaine.
En considérant, par exemple, la Grèce ancienne
comme un objet à mettre sur le même plan qu'un autre
objet historique, telle l'alphabétisation des Français au
cours du x1x• siècle, les Annales ont permis la libre circu
lation des méthodes et des problématiques.
Elles ont
soustrait toutes les pratiques scientifiques à leur spéciali
sation autour d'objets conçus a priori et posé par consé
quent à chacune d'elles la question de sa validité intrin
sèque.
Dès lors que ce sont les problématiques qui
engendrent les objets historiques, ce sornt ces derniers
qui servent de crible pour les méthodes et les concepts
qui prétendent les produire.
Tandis que l'érudition clas
sique passait une histoire réifiée à l'étamine de ses
méthodes et de sa rhétorique, c'est désormais l'histoire
rendue vivante qui fait l'épreuve des formes de pensée
que les sciences humaines éprouvent à son propos..
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