Les grands personnages de romans
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
LES BONS, LES BRUTES...
Le prince Mychkine (Dostoievski,
Lidiot, 1868), un etre d'un charme infini
malgre sa disgrace physique, est «d'une
nature absolument belle», d'une bonte,
dune purete et dune humilite tout
aussi absolues...
et considers par tous
comme un «idiot».
De meme, le Ore Goriot (Honore
de Balzac, 1833), tout de generosite,
d'abnegation et d'amour a regard
de ses deux ingrates et mechantes filles,
fait pitie.
La cousine Bette (Honore de Balzac, 1846) est son antithese, la haine et la
frustration absolues, animee par la
jalousie et ('esprit de vengeance,
capable de detruire a force de
manigances ('existence de tous ceux
qui l'approchent.
Folcoche (Nerve Bazin, Vipere au
poing, 1948), une tortionnaire
domestique, exerce sa haine venimeuse :ontre ses fils, et notamment Jean,
dit Brasse-Bouillon, jusqu'a lui enlever
toute confiance en quiconque.
B d et Pecuchet, les (4deux
cloportes» du roman posthume (1881)
homonyme de Gustave Flaubert, sont
des incultes assoiffes des connaissances
les plus diverses, qui s'entichent
successivement d'agronomie, de chimie, Je medecine, d'archeologie, de
spiritisme, mais «tout leur craque dans les mains D.
Anna Karenine (Leon Tolstoi, 1875),
bien qu'inseree dans le grand monde,
est, comme Emma, inerte jusqu'a
sa rencontre avec le comte Vronsky
qui la revele a elle-meme.
Entre joies
et tourments, de dechirements en
remords, elle vit intensement mais
connait elle aussi une fin tragique
qui est une delivrance.
Marguerite Gautier, la Dame aux
camelias (1852) d'Alexandre Dumas fils
et la Traviata de Giuseppe Verdi (1853),
est une brillante demi-mondaine qui
expie par la tuberculose - maladie
symbolique des heroines du xixe siecle
a fame pure mais tombees bien bas -
sa vie de debauche et son amour pour
un bourgeois, Armand Duval.
Scadett O'Hara (Margaret Mitchell,
Autant en emporte le vent 1936) allie la
force vitale irlandaise aux raffinements
du Vieux Sud americain, les dans du
cceur et les calculs terre a terre; elle
aime ou croit aimer, et confrontee aux
desastres de la guerre de Secession elle
veut surtout vivre et survivre, «ne plus
jamais avoir faim».
L'amour du puissant Rhett Butler, le seul homme a sa
mesure, pourrait la sauver, mais ses
roueries se retournent contre elle,
et elle passe a cote du bonheur.
AngElique, marquise des Anges
(Anne et Serge Golon, une douzaine
de volumes, 1957 et suiv.), comtesse de
Peyrac et marquise du Plessis-Bellieres, tour a tour reine de la cour des
Miracles et de Versailles, passant d'une
galere a un harem, d'un palais a une
chocolaterie et, de gre ou de force,
entre mille bras, fascine par son
improbable capacite de resistance.
Elle est un avatar de toutes les grandes
amoureuses des romans historiques
et autres femmes fatales.
II est des herdines moins flamboyantes,
mais touchantes.
Jane Eyre (Charlotte
Bronte, 1847), pas jolie et neanmoins
charmante, conquiert le cceur du
tenebreux M.
Rochester.
Le fanteme de
Rebecca (Daphne Du Maurier, 1938)
hante le chateau de Manderley, l'ame
haineuse et jalouse de la gouvernante
Mrs.
Danvers et, croit ('humble heroine,
dont on ignore presque le nom, le cceur
de Maxime de Winter.
Tout en demi-teintes, si convenable et tranquille en sa maturite,
Mrs.
Dalloway (Virginia Woolf, 1925)
redevient l'espace d'une soirée la
Clarissa de sa jeunesse.
Un vertige la saisit, l'aile de la mort la frole, puis
elle reintegre le monde, son monde,
et rejoue la comedie des apparences.
AUTOUR DU CRIMEL'obstine et intransigeant laved des
Miserables - qui comprend un jour
l'inanite de sa longue traque de Jean
Valjean et, dechire entre sa mission de
justicier et une ebauche de sentiment
d'humanite, se jette dans la Seine - est
l'un des premiers d'une longue serie de
policiers, souvent les heros recurrents
de multiples series romanesques.
Le detective
moderne,
scientifique,
le roi de
('observation
et de la
deduction,
c'est
Sherlock
Holmes
(Conan Doyle, 56 romans et nouvelles,
1887-1927).
Ce brillant raisonneur lance
regulierement un «Elementaire, mon
cher Watson!» a son ami et faire-valoir,
avant de reveler la solution de renigme
soumise A sa sagacite, et c'est toujours
un coup de theatre.
Lee Avon moires de
Joemph porter
Le M tore
de la Chembre
Jaune
GUYON UMW(
Joseph Josephin, alias Rouletabille
(Gaston Leroux, Le Mystere de la
chambre jaune et Le Parfum de la
dame en noir, 1907), beaucoup moms
ambigu, est un astucieux journaliste, policier amateur qui nest pas sans
evoquer le Tintin d'Herge.
Sa «tete
ronde comme un boulet» qui lui vaut
son surnom cache une perspicacite HeR0S-NARRATEURS
Les romans picaresques inaugurent les
romans a la premiere personne, qui
font du heros le narrateur de sa propre
vie.
Cela donne a ces personnages une
grande intensite, mais les prive aussi
de certains traits.
Par exemple, on en
sait enormement sur la vie interieure
du narrateur de Proust, mais on ignore
tout de son physique.
En revanche,
I'effet de reel dont beneficie le
narrateur a la premiere personne est
sans commune mesure.
hors du commun et des intuitions
fulgurantes.
Puis viennent les creatures d'Agatha
Christie.
Hercule Poirot, le « petit
detective belge» aux rondeurs
bonhommes mais a ('esprit incisif,
perce a jour les identites usurpees et
les complots les mieux ficeles sous
des cieux parfois exotiques (le Nil, la
Mesopotamie...).
La vieille Anglaise
Miss Marple, quant a elle, denoue les
intrigues quasi sans quitter son cottage,
en se referant aux histoires villageoises
revelatrices des ressorts intangibles
de fame humaine.
Maimet (Georges Simenon, 102
aventures) plonge dans les milieux
sociaux les plus divers, et sans aucune
aide de la science, mais plutdt par
empathie, il explore la psychologie,
jusqu'a apprehender les plus tortueux
mobiles du crime et trouver le
coupable, sans haine ni hargne,
presque avec compassion.
Le seduisant Nestor Burma de
Leo Malet (en 15 volumes) appartient
la lignee des prives a l'americaine,
ces detectives en marge de la police
officielle qui se frottent de pres aux
truands, au monde de la nuit, a l'instar
de Philip Marlowe, le personnage
desabuse invents par Raymond
Chandler.
Le commissaire San Antonio de
Frederic Dard, c'est autre chose,
une autre dimension du roman policier,
une logorrhee qui atteint a repique
avec son compere, renorme Berurier.
Defenseurs de la societe occidentale
et de ses valeurs, grands seducteurs s'il
en est, ce sont les agents tres speciaux
Hubert Bonisseur de La Bath, matricule
OSS 117 a la CIA (J.
Bruce, 265
romans) et surtout celui dont « le nom
est Bond, James Bond" (Ian Fleming,
12 romans, ci-dessous incarne par
Sean Connery), dit 007, so British mais
«autorise
tuer» dans le
cadre a peine dissimule
de la guerre
froide,
avec pour
equipieres
inter-
changeables
de sublimes creatures et pour ennemis
irreductibles des monstres de cruaute
assoiffes de pouvoir.
Aujourd'hui, un autre type de heros,
collectif est apparu.
C'est Ed McBain
(1926-2005) qui a le mieux cerne le
genre, avec son er District
(51 romans depuis 1956) : rinspecteur
Steve Carella, a lair vaguement chinois
et a rattachante spouse sourde-muette,
tient certes le haut du pave, mais
le projecteur est alternativement pose
sur le blond et sympathique Kling ou le doux Meyer Meyer, ainsi que
sur Cotton Hawes et autres collegues,
dont les vies ordinaires et les enquetes
laborieuses s'entremelent au cceur
d'Isola, une ville imaginaire, violente,
metaphore de toutes les megapoles
modernes.
Pas de super-heros, seule-
ment des hommes et des femmes qui
s'efforcent au jour le jour de preserver
la fragile limite entre le bien et le mat
De l'autre caste du miroir, c'est par
Arsine Lupin, le «gentleman
cambrioleur» de Maurice Leblanc
(1905), que toutes les femmes du
monde souhaiteraient etre detroussees.
Dans les palaces des capitales
europeennes, ne quittant son frac
et son haut-de-forme que pour un
pyjama de soie, desinvolte il fracture
quelque coffre-fort
II prend le relais, dans le succes
populaire, de Rocambole, un aventurier
multiforme, criminel a ses heures, qui
a germe dans ('imagination de Ponson
du Terrail dans les annees 1860 et fourni
la matiere a d'intarissables romans-
feuilletons aux rebondissements
4( rocambolesques».
Fantomas (Marcel Allain et Pierre
Souvestre, 32 volumes, plus 12 sous la
seule signature du second, 1911-1914)
est comme Arsene Lupin toujours
insaisissable - it echappe sans cesse I
rinspecteur Juve lance a ses trousses -
et elegant; comme Rocambole, il se
metamorphose sous les deguisements
les plus improbables; cependant,
a la difference de celui-ci, ce n'est pas
rappat du gain qui le motive, mais
plutot un certain sens de la justice
sociale.
Prefiguration de James Bond
et de ses gadgets electroniques,
le «Maitre de l'effroi » sait recourir
aux moyens modernes de son temps :
automobile, avion, sous-marin...
LES REBELLES
En butte a la mediocrite du monde,
Emma Bovary se dresse de toute sa
force contre ('ennui d'une societe dont
PORTRAITS DE L'ARTISTE
Joyce a trouve avec le Portrait de
l'artiste en jeune homme un des plus
beaux titres qui soient, jouant de
surcroit sur rambigufte entre ridentite
du personnage et celle de l'auteur.
Mais son heros Stephen Dedalus
n'est pas James Joyce, tout comme
les peintres Claude Lantier, chez Zola
(L'ceuvre), ou Frenhofer chez Balzac
(Le Cherd'ceuvre inconnu) ne sont
que des images possibles de leur
createur.
Faire de son hems un artiste
permet toutefois au romancier
d'en dire beaucoup sur son art.
la petitesse l'a pourtant contaminee.
Elle poursuit en cela raventure de
Corinne (1807), heroine revoltee
de Mme de Stael.
L'age d'or du roman,
le xix' siecle, se partage ainsi entre
les figures tragiques de la victime
et celles, exaltantes, de la revolte.
Le modele des premieres pourrait etre
Eugenie Grande' (H.
de Balzac, 1834),
victime de ('avarice de son pere et
de I'inconstance de son amant, ou le
personnage anonyme de La Femme
de trente ans (id., 1830) qui se heurte
a la realite mediocre du manage.
Les secondes, dont l'ancetre secret
pourrait etre la Juliette de Sade, tout a
son desk de pouvoir, trouvent leur plus
belle incarnation chez Hester, rheroine
scarifiee de La Lettre ecarlate (1850) de
Nathaniel Hawthorne : marquee au fer
rouge pour adultere, poursuivie par
la rancune de son marl et harcelee
par toute une communaute, elle tente
pourtant de vivre ses amours et finit
par voir reconnaftre sa liberte.
Les hommes aussi se revoltent :
on trouve chez Dostdievski le superbe
personnage de Raskolnikov, retudiant
meurtrier de Crime et Chdtiment
(1866), qui comme Ivan dans Les
Freres Karamazov (id., 1879) est une
figure nihiliste faisant ('experience
vertigineuse d'un monde ou, upuisque Dieu est mort, tout est possible».
Mais ces revoltes absolus, disciples a
leur facon de Don Juan, se montrent
longtemps plus souvent sur les scenes
de theatre que dans les romans.
C'est
aussi qu'on ne les voit guere que
de rexterieur, et que dans leur vertige
le lecteur de roman ne peut guere
les suivre.
Sauf a le faire, comme
Mister Kurtz dans Au cceur des
tenebres (Joseph Conrad, 1902), par rintermediaire d'un narrateur.
Meursault, L'Etranger (1942) impenetrable de Camus, est de tous
ces revoltes celui qui nous est le plus
proche, sans doute grace a la
focalisation interne dont use recrivain,
son point de vue s'effacant derriere la
conscience de son personnage.
Revoke
sans espoir, Meursault est un heros de
l'absurde, de ceux qui brisent les lois
par indifference plus que par revolte.
Meursault, comme avant lui certains
personnages flaubertiens, apparait
ainsi tits proche de ce neant, celui
de l'incroyance absolue ou de la
mediocrite absolue, qui est depuis
les origins ('horizon inevitable de
tous les heros de roman.
Puisqu'ils
se definissent par leur doute, puisque
leur vie, dans ses tiraillements et ses
hesitations, ressemble si fort A la netre,
les grands personnages romanesques
ont une tendance profonde a se fondre
dans !Indifference, a se perdre
dans la foule anonyme.
Les grands
personnages romanesques sont
aussi Monsieur Tout-le-monde..
»
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- SAINT-SIMON, Louis de Rouvroy, duc de (1675-1755) Ecrivain, il est l'auteur de Mémoires célèbres ; il y raconte les mille incidents de la vie à la Cour et y fait le portrait des grands personnages de son temps.
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