Les Caractères

« EXTRAIT La Bruyère fit scandale en 1693 par son discours d'entrée à l'Académie française, dans lequel il s'affirmait comme un partisan des Anciens, alors qu'en 1687 les académiciens avait soutenu Perrault, champion des Modernes.

«Il s'en faut de peu que la religion et la justice n'aillent de pair dans la république, et que la magistrature ne consacre les hommes comme la prêtrise.

» La Bruyère fait son autoportrait Le philosophe consume sa vie à observer les hommes, et il use ses esprits à en démêler les vices et le ridicule ; s'il donne quelque tour à ses pensées, c'est moins par une va­ nité d'auteur, que pour mettre une vérité qu'il a trouvée dans tout le jour nécessaire pour faire l'impression qui doit servir à son dessein.

Quelques lecteurs croient néan­ moins le payer avec usure, s'ils disent ma­ gistralement qu'ils ont lu son livre, et qu'il y a de l'esprit ; mais il leur renvoie tous leurs éloges, qu'il n'a pas cherchés par son travail et par ses veilles.

Il porte plus haut ses projets et agit pour une fin plus relevée : il demande des hommes un plus grand et un plus rare succès que les louanges, et même que les récompenses, qui est de les rendre meilleurs.

Des ouvrages de l'esprit Ménalque est un distrait incorrigible Ménalque descend son escalier, ouvre sa porte pour sortir, il la referme : il s'aperçoit qu'il est en bonnet de nuit; et venant à mieux s'examiner, il se trouve rasé à moitié, il voit que son épée est mise du côté droit, que ses bas sont rabattus sur ses talons, et que sa chemise est par-dessus ses chausses.

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) Il entre à l'appartement, et passe sous un lustre où sa perruque s'accroche et demeure suspendue : tous les courtisans regardent et rient; Ménalque regarde aussi et rit plus haut que les autres, il cherche des yeux dans toute l'assemblée où est celui qui montre ses oreilles, et à qui il manque une perruque.

De l'homme Un faux dévot qui ressemble à un nouveau Tartuffe Onuphre n'a pour tout lit qu'une housse de serge grise, mais il couche sur le coton et sur le duvet ; de même il est habillé simplement, mais commodément, je veux dire d'une étoffe fort légère en été, et d'une autre fort moelleuse pendant l'hiver ; il porte des chemises très déliées, qu'il a un très grand soin de bien cacher.

Il ne dit point : Ma haire et ma discipline, au contraire ; il passerait pour ce qu'il est, pour un hypocrite, et il veut passer pour ce qu'il n'est pas, pour un homme dévot: il est vrai qu'il fait en sorte que l'on croie, sans qu'il le dise, qu'il porte une haire et qu'il se donne la discipline.

De la mode « On ne connaît pas la hauteur d'une étoile; elle est, si j'ose ainsi parler, immensurable ; il n'y a plus ni angles, ni sinus, ni parallaxes dont on puisse s'aider.» , NOTES DE L'EDITEUR imprimer ceci [c'était Les Caractères] ? l'homme est scientifique, parce qu'expérimentale.

Sans idée préconçue; sans admiration béate pour ses devanciers moralistes, il poursuit son enquête, cherchant des cas concrets, liant causes et effets, comparant les âges de la vie, soutenant la psychologie par la physiologie.

Pour se prémunir contre les erreurs possibles, il change ses points de vue et ne refuse même pas l'appoint de la psychologie comparée.

» La Bru yère et ses Caractères, P.

Richard, Nizet, 1965.

Maupertuis, mathématicien contemporain de La Bruyère, raconte l'anecdote de la «naissance» des Caractères : « M.

de La Bruyère venait presque ~journellement s'asseoir chez un libraire nommé Michallet, où il feuilletait les nouveautés, et s'amusait avec un enfant fort gentil, fille du libraire, qu'il avait pris en amitié.

Un jour, il tira un manuscrit de sa poche, et dit à Michallet : " Voulez-vous Je ne sais si vous y trouverez votre compte; mais en cas de succès, le produit sera la dot de ma petite amie ...

» Les Caractères, Classiques Garnier, introduction de R.

Garapon, 1986.

«Sa psychologie annonce( ...

) déjà l'esprit et les méthodes d'aujourd'hui.

Moins géniale et dominatrice que celle de Pascal, moins systématique et profonde que celle de La Rochefoucauld , son observation de 1 Roger-Viollet 2, 3 , 4 dessins de Robert Beltz, Club du Livre , Paris , 1979 / B.N.

LA BRUYÈRE 02. »