Le bonheur est-il seulement une affaire privée ?
Publié le 29/04/2014
Extrait du document
«
la chance.Cette idée que le bonheur puisse être une affaire souligne combien le bonheur est quelque
chose de compliqué qui doit faire l'objet d'un calcul nous permettant de passer en revue tout ce qui
pourrait nous rendre heureux et nous incitant à l'obtenir, sans quoi nous risquerions de n'être qu'à
moitié satisfaits.
On ne peut plus, de ce fait, se contenter de concevoir le bonheur comme l'expression de notre
sensibilité, laquelle est subjective et variable d'un individu à l'autre.
Il semble même, au contraire,
que le bonheur soit l'expression de ce qu'exige notre humanité, c'est-à-dire de notre finalité
raisonnable et morale.
Ainsi, comme l'explique Aristote, la recherche du bonheur, autrement dit du
Souverain Bien qui peut commander toutes nos actions, ne peut consister qu'en « une activité de
l'âme et dans des actions accompagnées de raison ».
Le bonheur n'est donc pas l'expression d'un
plaisir égoïste et de la satisfaction pure et simple de tous nos désirs, puisque ce serait laisser
insatisfaite la part de raison qui, en nous, exige quelque chose de plus élevé.
Pour preuve, le fait
qu'en cherchant leur bonheur dans le mal, les méchants ne peuvent pas être heureux car une partie
d'eux seulement est satisfaite alors que l'autre est pleine d'amertume ; tandis qu'au contraire, les
hommes vertueux sont heureux car, en agissant bien, ils sont en accord avec la raison et car leur
action s'accompagne d'un réel plaisir : le plaisir de se sentir en accord avec la partie la plus achevée
de leur être.
Dès lors, on comprend que le bonheur devienne l'affaire de la société tout entière et
puisse prendre une forme politique.
S'il devient en effet possible de définir le bonheur de façon
objective, comme pouvant être perçu et réalisé par tous les hommes de la même façon, il devient
alors l'affaire de tous.
Qui plus est, comme la nature morale du bon heur suggère qu'il y est question
de justice et de droit, on peut donc penser que c'est à la société de contribuer à rendre les hommes
vertueux et donc heureux.
On pourrait même aller jusqu'à dire que ce serait à l'État d'imposer, à
travers sa législation, un droit juste qui permettrait aux hommes qui le suivraient d'être justes et
d'accomplir la moralité qui est en eux.
En posant que « l'homme est un animal politique », Aristote
suggère justement que ce n'est qu'au sein de la cité que l'homme peut s'accomplir morale ment et
humainement, atteignant par là même le Souverain Bien.
Dans ces conditions, le bonheur comme
vertu n'est pas une affaire privée, mais il devient l'affaire de la société et même de l'État, à travers la
mise en place de lois justes.
La recherche de la constitution idéale montre qu'il s'agit bien d'une
affaire politique et que rien n'est moins simple que de rendre les hommes heureux en créant une
société parfaitement juste au sein de laquelle ils n'auraient plus qu'à accomplir leur moralité.
L'importance du rôle que chaque individu a à jouer dans la recherche du bonheur est alors préservée
puisqu'il appartient à chacun de faire valoir son aptitude à rechercher le bien.
Et, certes, on ne peut
attendre cela de l'État car cela reviendrait à ne plus faire son devoir par soi-même mais à le faire en
obéissant à des intérêts qui seraient étrangers à notre volonté, ce qui reviendrait, comme le montre
Kant, à enlever à notre acte moral ce qui précisément le rend moral.
En effet, si le bonheur conçu
comme vertu devenait l'affaire de l'État, il perdrait alors son caractère de vertu puisqu'on n'agirait
que « conformément à la loi (morale) » et non plus « par devoir », c'est-à-dire en puisant en soi-
même la volonté d'agir bien.
Il s'ensuit que c'est à l'individu de s'occuper lui-même de son
accomplissement moral, même si cela ne peut se faire | qu'au sein de la société, dans la mesure où
ce n'est que parmi ses semblables que I l'homme peut faire valoir sa moralité.
Cependant, c'est à
l'État d'assurer à l'homme le respect de certains droits qui satisferont ses besoins fondamentaux et
matériels et que l'individu ne pourrait satisfaire seul.
Sans cela, l'homme risquerait d'être trop
malheureux pour être vertueux.
Ainsi, il revient à l'État, par exemple, de permettre à ses citoyens de
vivre dignement, en leur donnant droit à tout ce qui peut contribuer à rendre leur vie convenable
(logement, travail, éducation, santé, etc.).
II y a paradoxalement dans le bonheur une part d'égoïsme et une part de vertu morale.
On pourrait
croire que la part égoïste relèverait uniquement de l'affaire de chacun et que le bonheur conçu
comme vertu serait l'affaire de la société et de l'État.
Or il est possible de réconcilier ces deux.
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