Jean de La Bruyère
Publié le 17/01/2022
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«
LA BRUYÈRE
1645-1696
1 EAN DE LA BRuYÈRE n'a écrit qu'un seul livre, mais immortd : les Ca,actbes (r688).
Ce recueil
de réflexions, de notes et de portraits, où s'exprime une vision à la fois large et minutieuse de
l'homme, se plaçait directement dans la suite des Maximes de La Rochefoucauld et des Pensées
de Pascal, qui venaient de mettre en honneur les ouvrages morcelés.
La Bruyère avait, dès 1668, commencé de réunir les éléments des Caracteres.
Il menait alors,
à Paris,
une vie effacée, oisive, de sage et de lettré.
En 1684, alors qu'il s'apprêtait à se retirer en
province, on le charge, sur la~ recommandation de Bossuet, d'enseigner l'histoire et la philosophie
au duc de Bourbon, petit-fils de Condé.
Sa tâche terminée, il restera au service de M.
le Duc,
avec mille écus d'appointements.
L'Hôtel de Condé, la Cour, les fêtes de Versailles et de Chan
tilly : quel terrain d'observation pour un collectionneur de vérités morales! Tel un naturaliste
qui, habitué aux flores modestes de nos régions, se trouverait soudain initié aux luxuriances de
la forêt·vierge, ainsi, La Bruyère, en ce nouveau milieu, va non seulement retrouver en accusé
et en agrandi, tout ce que, de la nature humaine, il sait déjà, mais encore y découvrir bien des
variétés inconnues
de bassesse, d'insolence et de futilité.
Auteurs, courtisans, partisans, financiers,
ministres
et seigneurs, tout cela défile sous son regard scrutateur et classifiant, qui n'a pas son
pareil pour saisir, dans la diversité individuelle, les caractères typiques ou, comme disait Cuvier,
dominateurs.
Dans ce riche spectacle qui lui est offert, La Bruyère tient aussi un rôle d'acteur, mais subal
terne.
Il devra, bon gré mal gré, approuver les fantaisies de ses maîtres, subir le dédain, voire le
persiflage des
« grands », laisser en lui bafouer le mérite personnel, et se taire devant la sottise.
Heureuses vexations, fructueuses contraintes,
qui nous vaudront tant de petites phrases malignes,
où se trahit la satisfaction d'avoir le dernier mot devant l'avenir!
Ce qui frappe avant tout, lorsqu'on lit La Bruyère, c'est l'extraordinaire liberté dela vision.
Tout ce qui l'entoure, il le considère d'un œil frais, neuf, dégagé de prévention, et comme étranger.
L'illogisme, le ridicule, les travers et excès de toutes sortes, il s'en étonne comme s'il ne faisait
pas lui-même
partie de ce monde mal fait.
On se demande par quel prodige ce Français du
xvne siècle peut si bien apercevoir ses contemporains.
On dirait d'un homme venu d'ailleurs,
tombé d'une planète plus harmonieuse et plus saine.
La Bruyère s'étonne de tout, comme s'éton-
neront bientôt l'Usbek des Lettres persanes et les personnages des Contes de Voltaire.
·
Parmi ces choses qui lui sont toujours nouvelles se trouve la disproportion « que le plus
ou moins de pièces de monnaie met entre les hommes ».
Sans doute il ne pouvait, à son époque,
contester la légitimité d'une certaine« inégalité des conditions », qu'il tenait conforme à la volonté
de Dieu et nécessaire à l'équilibre social.
Mais il éprouve une « espèce de honte » à la vue de cer
taines misères, il ne consent pas qu'on puisse « quelque part mourir de faim »; il dénonce l'audace
de qui avale « en un seul morceau la nourriture de cent familles ».
Et voilà bien, de son temps,
un accent peu commun.
En lui, la mauvaise conscience sociale commence à prendre conscience
d'elle-même.
Si
déjà les prédicateurs religieux rappelaient volontiers aux fidèles l'éminente dignité
des pauvres, c'était au nom de la mystique chrétienne, et aussi dans l'intérêt spirituel du riche;
Château de Mouchy.
Plwto Giraudon..
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