Voyage en Orient de Lamartine
Publié le 09/01/2019
Extrait du document
Voyage en Orient
Cette œuvre de Lamartine, qui ne comporte pas moins de 1 000 pages, est complexe et injustement méconnue.
La première édition a vu le jour en 1835, après la reprise des activités politiques de Lamartine en France. Aux élections de 1831, l’auteur des Méditations poétiques essuie un échec. Dès lors, « comment employer ces deux ans? J’avais trop d’activités dans l’esprit pour les passer oisif à la campagne ou dans une petite ville de France. Je résolus de voyager » (Mémoires politiques}.
A l’époque de la Renaissance, l’Italie était, en quelque sorte, le pèlerinage nécessaire. Au xixe siècle, l’Orient n’est pas éloigné d'une telle approche. Chateaubriand a effectué son « Itinéraire de Paris à Jérusalem » en 1806-1807. Plus tard viendront Nerval, Flaubert...
Chateaubriand voyageait dans les références culturelles : il attendait peu du monde oriental. Nerval voyagera dans le moi et ses mythes. Lamartine seul accomplira un véritable voyage. En dépit de ses préconceptions politiques, religieuses, morales (l’apologie de la famille), bref, de toute l’idéologie qu'il véhicule, il a su ouvrir les yeux sur une véritable altérité, montrer une volonté authentique de découvrir, d’observer, d'amasser une foule de renseignements précieux et détaillés : « Il y a plus de philosophie dans cent lieues de caravanes que dans dix ans de lectures et de méditations », déclare-t-il d'ailleurs. Même si les images n’ont pas — loin de là — été absentes, il a su dépasser une simple imagerie de l’Orient.
La noblesse morale de l’auteur, qui se manifeste à chaque page, la splendeur des descriptions, une valeur littéraire injustement négligée rendent encore aujourd'hui cette lecture particulièrement attachante. En outre, le Voyage pose devant la conscience du lecteur de grands problèmes religieux et historiques. Tout cela va bien au-delà des notes « exclusivement pittoresques » annoncées dans l’Avertissement.
Un long itinéraire de deux ans va conduire l’écrivain de Marseille, où il s’embarque le 10 juillet 1832, en Sardaigne, à Malte, à Athènes, à Rhodes, au Liban, aux Lieux saints, à Istanbul et jusqu’aux forêts bulgares.
C’est au cours de ce périple que Lamartine perdra sa fille Julia, emportée par la maladie, le 7 décembre 1832, à Beyrouth. Profondément affecté, Lamartine se lancera à nouveau dans la vie politique dès 1833, pour oublier une vie personnelle trop douloureuse.
«
(textes prophétiques sur
la Palestine, t.
1, p.
216-217).
Une esthétique du chagrin oriental apparaît dans la belle
scène de la femme qui pleure à Jérusalem (t.
1, p.
364-
365).
L'exotisme s'en donne à cœur joie: Liban paradi
siaque; Damas, ville splendide et périlleuse, avec ses
femmes admirables (t.
II, p.
5).
Dans un tel environnement, l'image romantique du
poète songeur en haut d'un pic, méditant et priant au
sommet du Carmel, ou moribond et prévoyant sa tombe
(t.
II, p.
174 sqq.), ne peut manquer de se présenter.
Pour le poète contemplatif, la nature reste l'élément
essentiel : cadre admirable, elle renvoie essentiellement
à Dieu par sa profusion, sa surabondance de splendeurs.
Elle est le lieu d'une plénitude unique, propice aux médi
tations du croyant.
D'où cette insistance sur les lieux
inspirés, singulièrement au Liban (t.
1, p.
167 sqq.), dans
la région de Tyr (t.
I, p.
206 sqq.), à l'entrée de la
Palestine ...
On a négligé la beauté littéraire de ces paysa
ges lamartiniens.
Un voyage spiritu el ...
En ces lieux privilégiés, Lamartine découvre avec
émerveillement une harmonie patriarcale sur laquelle le
temps n'a pas eu de prise (t.
1, p.
387), 1 'anticipation
d'un monde parfait de prière et d'adoration.
Ainsi, cette
vallée des couvents maronites du Liban (t.
Il, p.
50-51) :
«Nous restâmes muets et enchantés [ ...
].
Nous compri
mes ce que serait la poésie à la fin des temps, quand,
tous les sentiments du cœur humain éteints et absorbés
dans un seul, la poésie ne serait plus ici-bas qu'une
adoration et un hymne! »
Voyager en Orient, c'est donc se rapporter au Divin :
à l'Origine et à la Fin.
L'Origine ce n'est pas seulement
le lieu sacré, berceau du christianisme, mais aussi le
souvenir, le rappel de l'enfance de Lamartine, l'image
douce de sa mère : « Ma mère avait reçu de sa mère au
lit de mort une belle bible de Royaumont dans laquelle
elle m'apprenait à li re, quand j'étais petit enfant » (t.
1,
p.
5).
Donc pèlerinage aux sources du christianisme et aux
images chéries de 1 'en fanee, de la continuité familiale,
d'une stabilité affective, d'une vie simple, liée encore à
l'apprentissage du langage : origine de la poésie, de la
vocation de Lamartine.
L'Orient est la terre des cultes, des prodiges, des
superstitions même.
La grande idée qui y travaille les
imaginations en tout temps, c'est 1' idée religieuse (t.
II.
p.
17).
Au-delà des prestiges d'un Orient de profusion,
de civilité et de couleurs, Lamartine cherche à approfon
dir cette idée religieuse qui est le fondement même de
toute civilisation.
Le voyage sera pour lui l'occasion
d'une évolution religieuse : le Divin devient à la fois
plus sensible et plus immatériel.
Cette pensée, qu'il
développera dans Jocelyn, les Recueillements poétiques
et le Livre primitif, éclot au contact de l'Orient où
Lamartine voit d'abord des hommes goûter simplement
la nature, au contraire des Occidentaux corrompus par la
civilisation occidentale (t.
II, p.
144).
Puis, dans une
reconnaissance sincère d'une spécificité irréductible de
l'Orient, dont il refuse les images toutes faites :pourtant
il cberche à trouver sous les coutumes, sous la « nature
populaire » des religions, la « nature rationnelle et philo
sophique» qui les unit toutes.
Cette possibilité de com
munauté humaine en dépit des diversités d'usages (qu'il
admire chez les Bédouins) lui paraît essentielle : «Tou
tes les religions avaient leur divine morale, toutes les
civilisations leur vertu, et tous les hommes le sentiment
du juste, du bien et du beau, gravé en différents caractè
res dans leur cœur par la main de Dieu » (t.
II, p.
181).
Insistons : ce sentiment d'unité passe toujours chez
Lamartine par une authentique reconnaissance de
l'Autre.
...
en prise sur le réel
Cette dernière attitude, essentielle, apparaît nettement
dans sa manière de regarder.
Voyager, c'est ouvrir les
yeux.
Lamartine a beau se rêver maintes fois en ermite,
solitaire inconnu sur un rivage désert, il ne cesse d'en
granger une moisson -passionnante pour un lecteur
moderne -de documents, de notations extraordinaire
ment concrètes et précises des choses et des coutumes;
Lamartine est un homme de la campagne : il sait observer
admirablement les chevaux arabes (t.
1, p.
174, 338, 34 7;
t.
11, p.
8-9), les animaux.
Derrière tout cela se devine Je
rêve patriarcal de Lamartine (t.
1, p.
107), c'est cette
beauté simple « évidente et sensible » et non histqrique
ou conventionnelle qu'il recherche (t.
l, p.
90).
A Egine,
ce ne sont pas les ruines qu'il décrit mais les beaux fruits
qu'on lui apporte sur le navire (t.
1, p.
85).
Il note tou
jours avec acuité la beauté des femmes (Arméniennes de
Constantinople, esclaves abyssiniennes [t.
II, p.
139)),
les moindres récits ayant une valeur humaine ou docu
mentaire.
Assurément, la vision de Lamartine reste prise
dans une« idéologie ».
Dans ces limites, elle reste pour
tant ouverte, attentive aux êtres et aux choses.
L'écrivain
ramène d'ailleurs une abondance d'analyses historiques
et politiques, de documents littéraires et culturels : frag
ments du poème d'« Antar» (t.
Il, p.
405 sqq.); chants
serviens (t.
Il, p.
205 sqq.); récits inédits et étonnants
(récit du séjour de Fatalla Sayeghir chez les Arabes du
désert) ...
Là où Chateaubriand ne voyageait que dans les souve
nirs et l'Histoire, Lamartine se déplace dans un monde
bien réel avec ses couleurs, ses odeurs, ses émotions
véritablement nouvelles.
Il est un véritable voyageur :
«Il n'y a d'homme complet que celui qui a beaucoup
voyagé, qui a changé vingt fois la forme de sa pensée et
de sa vie ».
Lamartine reste cependant le représentant et l'apolo
giste de notre civilisation.
En Syrie, le 20 octobre 1832,
il note : «Combien de sites n'ai-je pas choisis là, dans
ma pensée, pour y élever une maison, une forteresse
agricole et y fonder une colonie avec quelques amis
d'Europe et quelques centaines de ces jeunes hommes
déshérités de tout avenir dans nos contrées trop plei
nes? » Il remarque la facilité de se procurer « des travail
leurs à bas prix ».
Dans une lettre au baron de Lesseps,
datée du 6 janvier 1833 à Beyrouth, il précise son projet
d'un établissement agricole.
Lamartine est un tenant de
la colonisation, d'une colonisation d'ailleurs humaniste
par son respect des coutumes ct des religions ...
Il anticipe
sur ce mouvement qui se développera dès le dernier tiers
du siècle.
Le résumé politique du Voyage en Orient ne
peut être plus significatif: aux diverses contradictions
intérieures de la France, la solution est l'expansion (t.
II,
p.
478).
Lamartine préconise un patronage européen en
Orient, l'établissement de protectorats ...
Les restrictions
que Lamartine apportera en 1849, dans l'É pilogue, à
ces propositions n'en montrent pas moins les aspects
idéologiques du voyage.
BIBLIOGRAPHIE L'édition originale en 4 vol.
(Gasse lin, 1835) est intro uvab le;
l'édition Fume-Daguerre (Paris, Hachene, 1855) a été reproduite
en deux vol.
(�ditions d'Aujourd'hui, Plan de la Tour, 1978).
A consulter.
-L.
Fam, Lamartine prosareur d'après le
« Voyage en Oriellf », Nizet, 1971..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- VOYAGE EN ORIENT. (résumé & analyse de l’oeuvre)
- VOYAGE EN Orient, par Gérard de Nerval
- Victor Hugo et le voyage imaginaire en Orient
- POSTEL, Guillaume (1510-1581) Orientaliste et linguiste, il voyage en Orient, puis enseigne le grec, l'hébreu et l'arabe au Collège royal.
- Voyage en Orient de Nerval : sa vie et son oeuvre