Voyage de monsieur Perrichon (le)

Voyage de monsieur Perrichon (le), comédie en quatre actes d'Eugène Labiche et Édouard Martin, créée au Gymnase le 10 septembre 1860. Inaugurant la longue série de portraits du bourgeois, ce « philistin », « cet animal aux ressources sans nombre pour qui sait le voir », comme se plaisait à le nommer Labiche, la pièce connut à sa création un accueil triomphal. Entrée en 1906 au répertoire de la Comédie-Française, elle figure aujourd'hui parmi les « classiques », rare survivante d'une veine bien vieillie.

 

La gare du premier acte, outre qu'elle montre d'emblée l'actualité de la pièce, est une trouvaille : la lecture des horaires, l'achat des billets et l'enregistrement des bagages permettent à eux seuls, un jeu de tourniquet isolant et regroupant successivement les personnages : les Perrichon, homme et femme, qui renouvellent la famille Jourdain ; leur fille, modèle de réserve mais aisément complice de la mère contre le père ; deux prétendants, rivaux amis et bons joueurs, de connivence pour dissimuler leur jeu et séduire le papa, mais non égaux dans leurs intentions puisque, à Armand qui vient de lui déclarer son désir d'épouser Henriette, Daniel répond : « Moi, je veux la demander en mariage... ce qui est à peu près la même chose. »

 

L'intrigue se montre à la fois fort simple et fort complexe — complexe parce que pleine de rebondissements, simple parce qu'elle exploite systématiquement la düférence de stratégie des deux jeunes gens. Dès leur arrivée au Montenvers, Armand semble favorisé puisqu'il a la chance de sauver celui dont il aspire à devenir le gendre. Mais Daniel, plus fin psychologue, saisit rapidement que Perrichon, vexé de s'être trouvé dans une situation ridicule, en aura moins de reconnaissance que de haine ; aussi, se laisse-t-il glisser dans une crevasse de la mer de Glace, afin de lui assurer la seule action d'éclat de son existence, action dont il ne manquera pas d'assurer la publicité. Dès lors, les épisodes se multiplient, renforçant cha-cun des deux rivaux dans sa situation. Perrichon accordera sa préférence à Daniel jusqu'à ce qu'une conversation lui découvre de quelle ruse il a été le jouet. Cumulant désormais pouvoir et savoir, Perrichon donne sa fille à qui de droit, pour le plus grand bonheur de celle-ci... et de la morale, sauvée in extremis.