Trompeur de Séville et le Convive de pierre, le [Tirso de Molina] - résumé et analyse.
Publié le 14/05/2013
Extrait du document
«
rôle positif, celui de fléau de Dieu, c’est-à-dire d’agent chargé de châtier ceux que son parcours personnel désigne comme coupables : en premier, les femmes.
« Et toi, monsieur, tu es sauterelle d’Égypte pour les femmes ! » lui dit Cataliñon.
Il faut le
rappeler : aux yeux des contemporains de Tirso de Molina, les « victimes » séduites par Don Juan étaient toutes coupables ; les femmes cèdent trop facilement à qui les sollicite, les hommes se comportent en doubles du séducteur (Mota, Octavio), les
pères de famille roturiers s’enorgueillissent de voir leur fille épouser un grand, et les représentants du pouvoir n’accomplissent pas leur mission, qui est de rendre scrupuleusement la justice.
3 LA FASCINATION DU SÉDUCTEUR
Œuvre didactique et édifiante que le Trompeur de Séville ? C’était assurément l’ambition de son créateur.
Il n’empêche que le séducteur plaît et qu’il fascine, non seulement ses victimes féminines, ses amis, son valet, mais le spectateur lui-même.
Si
l’on essaie d’oublier sa longue postérité littéraire, force est de constater que Don Juan a plu d’emblée aux Espagnols et aux Italiens, comme le prouvent les rares documents dont nous disposons.
Tirso de Molina accorde à son héros, pourtant chargé
« d’accomplir le mal », un grand nombre de caractéristiques positives, qui seront désormais inséparables de Don Juan ; il suscite ainsi une admiration de l’ordre du fantasme, vite refoulée grâce à une fin trop redoutablement exemplaire.
Il demeure que le séducteur est une nébuleuse complexe, et parfois contradictoire, d’images, de symboles et de forces que l’on peut rattacher aux figures du défi et de la révolte.
La volonté de vivre dans le présent et de renouveler sans cesse
l’expérience de la conquête explique un trait caractéristique de la dramaturgie du Trompeur de Séville : les changements de lieux fréquents.
De l’Italie à l’Espagne, de la ville à la campagne, c’est la même séduction qui recommence ; la répétition
(deux filles de paysans, deux filles nobles) constitue une autre manière de tenter de s’emparer de ce temps qui passe et que les bonnes âmes rappellent au séducteur pour l’amener à s’amender.
L’appétit du burlador est la métaphore de son appétit
de vivre intensément, de sa soif de conquêtes féminines et de son énergie vitale : la fête donjuanesque est une fête des sens et le repas symbolise au mieux cette appropriation du monde dans la joie de l’instant.
Partant donc de l’image de la
dévoration pour caractériser Don Juan, on comprendra mieux la mise en scène de la fin : le séducteur est englouti (dévoré) par la bouche des Enfers.
La volonté de s’emparer de l’instant pour y « coïncider » de tout son être explique aussi sa
paradoxale sincérité : Don Juan, quand il aperçoit une silhouette féminine qui le charme, « prend feu » aussitôt et « meurt d’amour ».
Il est sincère, mais dans l’instant ; l’instant suivant, une autre belle l’« enflamme » et la précédente est oubliée
dans un grand éclat de rire.
Il reste, l’histoire littéraire le montre clairement, que ce qu’on appelle désormais « le mythe de Don Juan » va se développer prioritairement au théâtre, en raison d’une secrète affinité du personnage avec le métier et la situation de l’acteur.
Le
burlador se laisse certes aller à l’émotion amoureuse, mais il ne perd jamais de vue son but et les moyens adaptés pour y parvenir.
Ce que montrent les nombreux apartés du texte : Don Juan, par ce biais, maintient le recul nécessaire et prend soin
de rire de ce qu’il fait croire aux autres ; il reste en toute occasion, le maître du masque et du discours galant et triomphe (aisément) devant ses victimes des classes populaires.
4 LA PUISSANCE DU DÉFI
Ce séducteur, d’ailleurs, est-il d’un abord et d’un langage si irrésistibles ? Les jeunes filles nobles ne se donnent pas à lui, mais à celui qu’elles aiment et dont il a pris la place ; un jeune seigneur, riche et puissant, qui promet le mariage à une
modeste paysanne n’a que peu de peine à triompher.
La séduction de Don Juan, en fait, émane de toute sa personne et de son comportement : il y a dans le texte tout un réseau d’images qui assimilent Don Juan à un héros mythique aux dimensions
surhumaines.
Qui s’oppose à lui doit céder ou disparaître ; l’épée à la main, devant un manant ou devant un de ses pairs, il s’impose : « Je donnerai la mort sans autre forme de procès à qui, sur mon chemin, voudrait s’interposer.
» Fléau de Dieu ou
démoniaque luciférien, Don Juan, homme du défi, est celui qui ose et que la difficulté encourage à persévérer : l’amour chez lui naît aussi de l’obstacle, qu’il s’agisse d’entrer dans le lit d’une duchesse, à la barbe du roi, ou de séduire une jeune mariée
le jour de ses noces.
Peut-être est-ce là la raison ultime de la fortune de ce personnage créé en plein cœur du Siècle d’or : l’auteur du Trompeur de Séville a sans doute involontairement suscité une logique d’ordre poétique et mythique qui dépassait
de beaucoup les nécessités pédagogiques de la démonstration théologique.
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