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Timocrate DE THOMAS CORNEILLE (fiche de lecture)

Publié le 30/04/2011

Extrait du document

corneille

Timocrate est le plus grand succès dramatique du XVIIe siècle ; son succès l'emporte sur celui même d'Andromaque et des comédies de Molière les plus applaudies. Suivons-en donc, avec respect ou avec patience, les péripéties en les simplifiant autant que possible pour tâcher de ne pas nous y perdre. Timocrate est fils du roi de Crète. Las, sans doute, de la vie de cour et de l'oisiveté, il aspire à la destinée des Amadis et des Artamènes. Il se fait chevalier errant sous le nom de Cléomène. Il se couvre de gloire un peu partout et arrive enfin à la cour de la reine d'Argos. Là, comme ailleurs, il est sage dans le conseil et invincible dans la guerre. Dans une lutte farouche contre les Messéniens, il sauve l'état d'Argos et le conduit à une écrasante victoire. Cependant les beaux yeux de la fille de la reine, Eriphile, ont asservi son cœur. Il soupire, il répand des larmes. Eriphile s'est laissée toucher, elle aussi. 

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« savoir).

Chez Thomas Corneille, Hypparque passe pour être Roger (Bra- damante) ; Hippias passe pour être Pyrrhuset Pyrrhus passe pour être Hippias, tous les deux sans le savoir (Pyrrhus) ; Darius est en réalité Codoman sans lesavoir (Darius) ; Bérénice passe pour la fille d'Araxe et est en réalité celle de Léarque ; Philoxène est en réalité Atyssans le savoir (Bérénice ).

Ariarate se fait passer pour Oronte (Laodice).

Chez Quinault, Astrate, cru fils de Sichée,est en réalité, sans qu'il le sache, fils du roi de Tyr, assassiné par la reine qu'il aime (Astrate) ; le roi Tibérinus esten réalité Agrippa qu'il passe pour avoir assassiné (Agnppa ou le faux Tibérinus) ; un soi-disant Alcibiade est enréalité Cléone, sœur de cet Alcibiade (Le faux Alcibiade) ; Aristonne passe pour être la fille du seigneur Araxe et setrouve être (sans le savoir) la sœur du roi Cambise.

Dans le Cresphonte de Gilbert, Scamandre est en réalitéCresphonte.

Dans le Fédéric de Boyer, la jeune Yolande est roi sous le nom de Manfrede et a même été fiancée à lareine Camille, etc., etc.Rien de tout cela évidemment n'apparaît dans Andromaque ni dans aucune tragédie de Racine (à l'exception de lanaissance cachée, naturelle et nécessaire, de Joas dans Athalie).

Mais ce romanesque est mis au service d'un idéalqui va nous rapprocher de Racine et qui est l'idéal galant.

L'idéal galant qui vient, comme le romanesque, des romansde chevalerie s'oppose brutalement à l'idéal héroïque que l'on peut appeler cornélien bien qu'il ne soit pas le moins dumonde, même au théâtre, une création cornélienne.

Le « héros » que nous retrouverons tout à l'heure en étudiantun exemple de la tragédie de « grands intérêts », est incapable d'aucune faiblesse.

Dès qu'il a fixé un but à sonénergie, but qui est le plus souvent une ambition politique, rien ne saurait l'en détourner.

Sans doute il peut laissersurprendre son cœur par un « bel objet », un bel objet qu'il ne saurait épouser sans nuire à son ambition, sans selaisser détourner de son but.

Alors il soupire, un petit moment ; il déclare qu'il est le plus malheureux des hommes etqu'il traînera d'éternels regrets.

Mais cette éternité de chagrin le fait à peine hésiter.

Seules les âmes communes, etnon la sienne, peuvent se laisser charmer par les délices de l'amour.

Il sait qu'il saura y renoncer ; et il y renonce,après la formalité de quelques pleurs, pour faire un mariage qui servira son ambition.

Dans la tragédie galante, c'estexactement le contraire.

Dans La Mort de Cyrus de Quinault (1658), Cyrus livre bataille à la reine Thomyris qui est,farouchement, son implacable ennemie.

Déjà il est vainqueur ; l'armée de Thomyris est sur le point de se débander.Seulement du haut du tertre d'où il commande il aperçoit la reine qui, sur le sien, tâche de rallier ses troupes.

Sansdoute a-t-elle dédaigné de porter un casque ; sans doute a-t-il de bons yeux.

Car instantanément, à sa seule vue,il tombe éperdument amoureux.

Dès lors peu lui importent sa gloire, sa liberté, sa vie et son armée et son peuple.

Ilsonge que si Thomyris est vaincue elle fuira dans les fins fonds de la Scythie.

Jamais plus il ne la reverra.

Dès lors ilcesse de commander.

Son armée, privée de chef, hésite, s'inquiète, se décourage et se débande.

Il peut fuir commeses fidèles l'en supplient.

Mais fuir c'est perdre le visage adoré.

Il paiera la joie de le revoir de sa gloire, de saliberté, de sa vie.

Pas un instant il ne met son honneur, le salut de son armée et de son peuple en balance aveccette joie.

Il n'y a qu'un honneur et qu'une vertu qui est d'aimer.

Et quand on aime l'honneur et le devoir est de sesoumettre passivement et de soumettre tout ce qui dépend de vous au bon vouloir de sa maîtresse, fût-elleindifférente, fût-elle cruelle, fût-elle enivrée de haine et de vengeance.

Le code des « lois d'amour » qui remonte auMoyen-âge et que l'Astrée a formulé avec une stricte rigueur s'oppose brutalement au code des lois héroïques.

Levéritable héros est celui qui met son héroïsme à être l'esclave passif de la femme aimée.Et c'est bien ce qui se passe dans Timocrate.

Un seul personnage est plus ou moins cornélien ; c'est la reined'Argos.

Elle a juré de venger la mort de son mari en prenant la vie de Timocrate.

Elle serait capable de tenir sonserment, même quand elle sait qu'il a été le sauveur d'Argos contre Messène, même quand il est aimé de sa fille,même quand elle sait qu'il s'est livré volontairement pour retrouver celle qu'il aime.

Mais il se trouve que son énergieest toute verbale, que les seules armes qu'elle puisse manier contre Timocrate sont des imprécations, qu'elle nepeut qu'assister aux événements sans pouvoir jamais les conduire.

Elle ne joue ainsi qu'un rôle bien pâle.

Tous lesautres personnages ne sont là que pour aimer.

Crisphonte et Léontidas, « rois voisins », n'ont apparemment aucunsouci de leur royaume qui, sans doute, peut se passer d'eux.

Ils n'ont pas d'autre occupation que de conquérir lecœur et la main de la trop charmante Eriphile.

Nicandre, «prince sujet de la reine d'Argos», se contenterait, lui, de lamain ; et quand Eriphile lui laisse entendre ou lui confirme qu'elle ne l'aime pas, il lui rétorque que la reine a promissolennellement de donner sa fille pour époux à celui qui vaincra Timocrate et qu'il lui suffira, s'il est vainqueur, d'êtrel'époux, même s'il n'est pas un époux aimé.

Ce n'est certes pas obéir au code des lois d'amour.

Mais cette brutalitén'a pas d'autre raison que de mettre en lumière les perfections amoureuses du héros Timocrate.

Timocrate est filsde roi, puis roi.

Pourtant, depuis qu'il a rencontré et aimé Eriphile, son royaume est le moindre de ses soucis.

Sansdoute il n'est pas tout de suite résigné à laisser les Argiens écraser ses Crétois.

Il s'esquive de l(armée d'Argos,réapparaît, comme Timocrate, parmi les siens et leur rend la victoire.

Mais ce n'est pas par patriotisme.

Il faudrabien quelque jour qu'Eriphile découvre que le Cléomène aimé d'elle est le Timocrate haï par elle et par sa mère.

Quedeviendrait pour lors Timocrate roi d'un peuple vaincu et asservi ? D'ailleurs la victoire crétoise si elle arrange lesaffaires du peuple crétois n'avance pas celles de Timocrate.

Il est toujours l'ennemi détesté dont la reine a, parserment, décidé de demander la vie à tous ceux qui veulent épouser sa fille et lui succéder sur le trône.

On sait quele moyen d'en sortir qu'il invente est de se livrer comme prisonnier à la reine d'Argos, de lui apporter sa tête.

Quedeviendra son peuple, privé de lui, ce peuple qui allait être vaincu lorsqu'il n'était pas là et qui n'a pu vaincre quesous son commandement ? Qu'il devienne ce qu'il pourra ! On n'est pas roi pour régner, mais pour aimer et pourdonner, mieux qu'un autre, l'exemple du parfait amant.Un parfait amant n'épouse pas s'il n'est pas aimé.

Et il doit d'abord tout tenter, honnêtement, pour savoir s'il estaimé.

Longtemps Timocrate ne le sait pas avec certitude.

La « gloire » d'une femme et particulièrement d'une fille deroi l'oblige à cacher les sentiments de son cœur ; elle sait qu'elle devra épouser le plus souvent non pas celui qu'elleaime mais celui que lui choisissent par intérêt et par intérêt politique ses parents.

Or Cléomène, tout héros qu'il est,n'est apparemment ni roi, ni fils de roi.

Par surcroît, même s'il était assuré d'être aimé en tant que Cléomène,Timocrate est bien obligé de se demander ce que deviendra cet amour lorsqu'on saura qui il est.

Nulle ruse ne peutéviter la confrontation.

Seul un suprême sacrifice lui permettra de sonder le cœur d'Eriphile au péril de sa vie, par lesacrifice presque certain de sa vie.

Comme Cyrus se livrera à Tho- myris, Timocrate-Cléomène se livre à la reined'Argos, heureux de mourir s'il sait qu'il est aimé et même s'il sait qu'il n'est pas aimé, car la vie sans Eriphile ne vaut. »

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