Tentation de saint Antoine (la}
Publié le 19/05/2019
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Tentation de saint Antoine (la}, de Gustave Flaubert (1874). « C'est l'œuvre de toute ma vie », déclare un jour, en 1872, l'auteur à M,,e Leroyer de Chantepie. Paradoxalement, après plus d'un siècle, c'est également la seule œuvre de maturité que lecteurs et critiques s'accordent à ignorer.
En 1845, Flaubert se rend à Gênes où un tableau de Brueghel d'Enfer lui inspire l'idée d'« arranger pour le théâtre la Tentation de saint Antoine », projet
dont il fait part à son ami Alfred Le Poitevin, pour aussitôt corriger : « Mais cela demanderait un autre gaillard que moi. » Pourtant, la tentation est un thème auquel, depuis l'âge de treize ans, il s'était bien des fois essayé, avec Voyage d'Enfer tout d'abord (1835), puis Rêve d'Enfer ( 1837), la Danse des Morts (1838) et, enfin, Smarh (1839), « Vieux Mystère » préfigurant le livre à venir, motif obstiné dont une tradition se plaît à trouver l'origine dans un spectacle de marionnettes donné à la foire Saint-Romain à Rouen et auquel le petit Gustave aurait assisté. En septembre 1849, l'objection première semble se justifier : après une lecture de quatre jours, devant Louis Bouilhet et Maxime Du Camp, d'une Tentation par trop lyrique, le verdict tombe, impitoyable : « Nous pensons qu'il faut jeter cela au feu et n'en jamais reparler. » On en reparlera : en 1856, avec la parution, dans l'Artiste, de fragments d'un deuxième manuscrit, déjà très épuré ; en 1874, quand paraîtra enfin l'ultime version, entreprise cinq ans auparavant. La Tentation de saint Antoine aura donc été écrite trois fois, avant Madame Bovary, avant Salammbô, avant Bouvard et Pécuchet, à la fois « tentation » d'une autre écriture et exorcisme destiné à réduire au silence celui des « deux bonshommes » cohabitant en l'écrivain, indéfectiblement « épris de gueulades, de lyrisme, de grands vols d'aigle, de toutes les sonorités de la phrase et des sommets de l'idée ».
Marginale dans l'œuvre de Flaubert, la Tentation erre également hors des sentiers traditionnels de la littérature occidentale, ni roman, ni pièce de théâtre, ni poème, et pourtant tout cela, texte pluriel, étonnamment moderne. Le livre s'ouvre sur une longue description au présent, « mise en scène » que l'auteur voulait rédigée en petits caractères. Bientôt, la didascalie laisse place au dialogue, chaque réplique étant précédée du nom du locuteur. Théâtre ? non pas : outre qu'elle revêt une dimension cosmique incompatible avec la représentation, la prose de Flaubert échappe par nature aux lois dramatiques, se faisant tour à
«
tour
récit, analyse, voire porteuse de
discours indirect.
Inversement, elle crée
le spectacle.
L'objet de la description
ini tial e, « une plate-forme arrondie en
demi-lune.
et qu'e nfermen t de grosses
p ierr es >>, a tout d'un lieu scénique ; les
apparitions s'y succèdent aux yeux hal
lucinés d'Antoine, le s unes évoquant les
autres en un embo îtem en t d'autant plus
vertigineux que toute s traversent
l'espace avec la même inconsistance,
figures évanescentes dont la disparition
enseigne à l'ermite qu'il a été tenté.
Dans
le même temps, ces êtres de plus en plus
monstrueux, dont le défilé décrit
compose la Tentation, émanent, directe
ment pour les premiers, indirectement
pour ceux que suscitera Hilarion, le
disciple satanique, de lectures de la
Bible.
Échappés du Livre par excellence,
ils s'engo uffrent dans un au tr e livre
exceptionnel qu i.
à l' a u tre bout de la
chaîne, absorbe l'ensemble de la littéra
ture préexistant à lui.
Car la Tentation est une somme et, en
ce sens, elle participe bien de l'œuvre de
Flaubert.
Comme Salammb6, elle repose
sur une gigantesque érudition archéolo
gique et nécessite donc quantité de
lecture s.
Toutefois, l'abondance des
livres utilisés et la scru pul euse minutie
avec laquelle Flaubert respecte ses sour
ces peuvent paraître démesurées : l'un
des sept tableaux de la Tentation, le
c in qu ièm e, fait défiler tous les dieux et
idoles jama is adorés -hormis le Dieu
judéo-chrétien.
Cette seule section
demanda une étude préalable des écrits
de Burnouf, Anquetil-Duperron, Herbe
lot, Hottinger, de l'Univers pittoresque
et.
surtout, des Religions de l'Antiquité
d e Creuzer.
Dans sa correspondance
(lettre du 25 juillet 1871), l'auteur
révèle : >
De ces recherches subsisteront quelques
pages où le Bouddha narrera son histoire
e t, pour Hom, ces paroles d'O rm uz, dieu
des Perses : (Cahiers Renaud-Barrault n• 57},
là où les deux bonshommes veulent
réaliser le u rs lectures, l'ermite aspire à
rejeter ces figures émanées de livres
invisibles.
Or, en défin it iv e, si ceux -là ne
perdent jamais leur foi en la science,
Antoine voit la sienne sombrer avec la
disp ariti on de ce qu'il rejette.
Les faux
dieux défilent et vont s'abîmer dans un
symbolique précipice.
entraînant Dieu
dans leur crépuscule.
Pourtant la conclu·
sion reste ambiguë, parta gée entre le
vouloir et le faire de l'ermite : d'une part,
ses dernières paroles, une longue tirade
lyrique où il crie son aspiration à
régresser de l'h omm e à la bête, de la bête
au végétal puis au minéral, et finalement
« pénétrer chaque atome, descendre jus
qu'au fond de la matière, -être la
matière! »; d'autre part, ses derniers
gestes : dans le petit jour, devant la face
du Christ apparue dans le soleil,
>..
»
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