TARTUFFE de Molière (résumé & analyse)
Publié le 11/10/2018
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une police implacable opposée à tous les vices publics et privés, le jeu, le blasphème, l’hérésie, la licence du Carnaval, les impiétés des bateleurs ; à l’occasion, elle dénonçait aux pères les fils débauchés, aux maris les femmes trop coquettes. Ainsi tendait à s’établir en France une religion non pas humaine et traitable, mais austère et impitoyable.
Peu importe, dira-t-on, car ces dévots rigides étaient profondément sincères. Et Molière, dans son Tartuffe, a joué les hypocrites et non pas les fanatiques. Brunetière avait déjà conclu qu’en 1669 une pièce contre la dévotion hypocrite ne pouvait être qu’une pièce contre la vraie dévotion, puisqu’il n y avait pas de fausse dévotion, pas d’hypocrites. Il n’y en avait pas, peut-être, mais les gens de la compagnie du Saint-Sacrement, ou d’autres, passaient pour l'être. On les tenait d’abord pour dangereux. Dès 1660 les assemblées delà compagnie sont interdites ; en 1662, Louis XIV ordonne la confiscation de tous les papiers. De l’idée du fanatisme dangereux à celle du fanatisme intéressé et hypocrite, il n’y avait qu’un pas, et nous avons bien des preuves qu il fut franchi. La compagnie fut appelée communément la Cabale. Il est de «notoriété publique » (l’expression est du temps) que la cabale trouble des familles et s’ingère, comme Tartuffe, dans la vie privée. Un prêtre, Pierre Dufour, accuse ouvertement la société des plus coupables hypocrisies. Un poète, Garaby de la Luzerne, compose, sept ou huit ans avant le Tartuffe, une satire : les Pharisiens du temps ou le dévot hypocrite, où il dessine assez exactement le portrait de Tartuffe. Molière était à Caen en 1658 lorsque l'officialité y fait le procès des dévots. Il était aussi bien à Lyon en 1654-1655 lorsqu’un M. Cretenet, barbier-chirurgien, y faisait fort parler de lui. Ce M. Cretenet, comme M. F. Baumal l’a montré, avait toutes les apparences d’un saint homme. Il priait humblement, prosterné sur la terre nue; il évangélisait et convertissait. Il s’était fait directeur de consciences et organisateur de missions. Il était peut-être fort sincère et vraiment saint. Mais on l’accusait véhémentement de n’être qu’un hypocrite, et tout semblable à l’hypocrite de Molière. Des libelles s’imprimaient qui lui reprochaient d’emplir sa bourse, de capter les fortunes, de troubler la paix des familles et d ’enseigner les macérations sans rien perdre de son embonpoint. Vigoureusement défendu, Cretenet se tira de la bagarre, mais elle fut violente. Molière n’a pu ni ignorer ni oublier l’un ou l’autre de ces scandales, sinon tous.
Il y avait donc bien des hypocrites dangereux, ou l’on croyait ...
(La pièce est jouée à Versailles le 12 mai 1664 dans la Série de fêtes appelée les Plaisirs de l'Ile enchantée. Des protestations tris vives s’élevèrent de suite et Louis XIV interdit les représentations. Molière lit sa pièce dans diverses maisons et en donne même des représentations particulières. Il adresse au roit sans doute en août, un premier placet. Le 5 août 1667, il risque une nouvelle représentation publique. Mais en l'absence du roit parti à l'armée en Flandre, le premier président de Lamoignon interdit à nouveau la pièce. Molière envoie au roi, par deux de ses comédiens, un deuxième placet. Mais l'archevêque de Paris appuie l’interdiction de Lamoignon. La représentation ne fut permise que le 5 février 1669).
La pièce est elle dirigée contre la dévotion. — La question a soulevé d'ardente polémiques. Et c'est elle qu'il faut résoudre avant toute étude du Tartuffe.
Supposons d'abord que nous ne connaissons pas la pièce. Tenons-nous-en aux témoignages des contemporains qui l'ont jugée et qui étaient le mieux placés pour la juger. Trois actes de Tartuffe sont joués à Versailles devant le roi. Ce fut un scandale pour des âmes pieuses. Anne d’Autriche, la première, intervint et Louis XIV dut interdire les représentations. Le curé de Saint-Barthélemy, Pierre Roulé, dénonça Molière dans un pamphlet, le Roi glorieux au monde, où il le traitait de «démon vêtu de chair et habillé en homme » et demandait pour lui « le feu même, avant-coureur de celui de l’enfer ». Du temps passe, Molière risque une nouvelle représentation. Mais le premier président intervient. L’archevêque de Paris fait défense sous peine d’excommunication de « représenter, lire ou entendre reciter la susdite comédie, soit publiquement, soit en particulier».
La question semble donc tranchée. Ceux qui avaient charge de défendre la religion ont vu dans Tartuffe une impiété notoire et grossière. Seulement ni Anne d’Autriche, ni le premier président, ni l'archevêque n’ont été d’accord avec des contemporains dont la piété était également indiscutable. Il est très certain qu’en i664 le légat Chigi, entouré de tous ses prélats» consentit à entendre la pièce. Il l’approuva, dit Molière. Dans tous les cas, il ne protesta pas. La pièce est représentée chez des grands seigneurs ou de grandes dames dont quelques-uns (le prince de Condé, la princesse Palatine) ne se piquaient pas, à cette date, de dévotion, mais dont quelques autres (Mme de Sablé, par exemple) étaient des croyants sincères ou passaient pour l'être. Le roi lui-même soutient Molière, ne cède à ses adversaires qu à contre-cœur, et autorise enfin la pièce, qui est jouée le 5 février 1669. On en donne une représentation chez la reine Marie-Thérèse, le 23. Le succès est considérable. Vingt-trois représentations consécutives ; cinquante-deux la même année ; c’est-à-dire un des plus grands succès de théâtre du XVIIe siècle.
Or nous sommes en 1669 ; à cette date, il n’y a pas d’impies, pas de libertins agissants, ni même déclarés. Ceux qui subsistent se taisent et se cachent, sous risque de mort Ni le légat, ni ses prélats, ni Marie-Thérèse, ni l’immense majorité de ceux qui applaudissent la pièce ne sont des adversaires de la religion ni ne songent à l’être. Une pièce jouée dans ces conditions ne pouvait pas attaquer la religion, pas plus qu’elle n’aurait pu être républicaine et révolutionnaire. D’ailleurs, d’autres écrivains avaient, avant Molière, attaqué la fausse dévotion et fait du dévot hypocrite un portrait dont Molière s’est souvenu, sûrement ou probablement ; Ch. Sorel dans son Polyandre (1648), Scarron dans le Montufar de ses Hypocrites (1661),
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