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Sur l’origine radicale des choses

Publié le 16/01/2020

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Le point de vue métaphysique

Le monde ne se définit pas seulement par l’ensemble de ses parties ; il ne serait alors rien d’autre qu’un agrégat de choses finies. Ces choses seraient peut-être juxtaposées ; elles ne seraient pas compréhensibles. Le but que nous devons nous fixer, lorsque nous cherchons à connaître le monde, c’est de pouvoir rendre compte de son ordre. Une juxtaposition serait sans doute bien un ordre, mais un ordre inutile. On n’aurait pas affaire à un monde, c’est-à-dire à un ensemble coordonné de choses et d’êtres, obéissant à des lois générales et nécessaires, qu’on retrouverait partout.

Ce qui expliquerait ainsi un monde sans désordre ne saurait se confondre avec lui. En effet, si on cherchait dans les choses elle-mêmes ce qui les explique, on ne pourrait rien trouver de régulier ni de général. Chaque chose nous apparaîtrait comme un tout, et l’espace entre elle et sa voisine la plus proche nous semblerait un vide infranchissable. Quand nous arrivons dans un lieu nouveau pour nous, nous sommes incapables de nous rendre compte de son agencement. Nous voyons, par exemple, deux portes, mais nous ne les différencions pas bien ; nous ne savons pas où elles mènent, ni le rapport qui peut exister entre elles ; nous les percevons absolument comme deux. Aucun ordre cohérent ne nous permet de dire ce qui les lie. A plus forte raison, s’il s’agit du monde : nous ne pouvons le comprendre en nous fixant sur la succession de nos perceptions.

Si donc nous le comprenons comme monde, c’est que nous pouvons nous référer à un principe qui se distingue de lui. Plus ce principe sera un, et plus il expliquera la diversité des choses, parce qu’il en rendra compte de manière plus simple, plus générale, plus nécessaire.

Leibniz refuse de considérer la validité d’une telle hypothèse. Il plaide la cause de Dieu. Il faut admettre, rappelle-t-il, que Dieu ne se contente pas de vouloir un monde des choses ; il veut en même temps un monde des esprits. Lui-même, d’ailleurs, est esprit parfait, et, dit Leibniz, pour les esprits, la perfection morale est perfection physique ; c’est, si l’on veut, leur meilleure manière d’être. Comprenons par là qu’ils tendent à permettre l’avènement de la plus grande bonté possible, de même que le corps le meilleur est celui qui détermine le plus grand nombre d’actes compossibles. Non seulement le monde est une machine admirable mais il est aussi « la meilleure des Républiques ; celle qui dispense (aux esprits) la plus grande félicité, la plus grande joie possibles. En cela consiste la perfection physique de ces esprits ».

Mais une objection s’élève aussitôt, avant même qu’une démonstration rigoureuse ait été posée : nous constatons évidemment que le mal est dans le monde, et que les meilleurs esprits sont souvent ceux qui souffrent le plus injustement ; ils supportent la pire cruauté. Est-ce là une preuve de la bonté de Dieu ? Si, d’un point de vue purement mécanique, on pourrait tolérer un monde très cohérent, du point de vue moral il semble bien qu’on ait affaire à un chaos.

On ne doit pas se contenter d’une première apparence. Nous avons vu plus haut que l’explication des choses se trouve dans un être un, extérieur à elles. S’en tenir aux choses mêmes nous donnait une apparence de chaos. Il en est de même du point de vue moral. Il faut se placer du point de vue divin et alors, « a priori, il ressort à l’évidence des arguments précédents que règne la plus grande perfection possible dans tout ce qui existe, y compris dans les esprits ».

Il y a, là encore, une discussion de méthode. Ceux qui veulent prouver contre Leibniz que le monde est imparfait, se trompent de point de vue. Ils procèdent à

venu (bien qu’absolument parlant, ils ne soient pas contraints de les produire) ; même si les hommes sont corrompus par leur faute, il n’empêche qu’ils continuent d’exister parce que Dieu maintient sa volonté créatrice, et que le monde se développe en conséquence. Il faut donc qu’une part de lumière divine demeure, jusque dans le plus petit des êtres (ceci du point de vue de la grandeur), ou dans le plus grand pécheur parmi eux (ceci du point de vue de la bonté).

Des hommes non régénérés par la grâce peuvent agir de façon juste et vertueuse. Désintéressés, ils peuvent agir pour le bien public : ils préfèrent en ce cas le tout de la cité à leur égoïsme individuel.

C’est leur raison qui permet une droite inspiration.

Le péché est une faute morale ; sans la grâce, nous ne serions pas sauvés. Mais la rationalité logique agit dans l’existence de l’univers. On doit donc noter que l’intelligence bien utilisée nous permet, lors même que nous ne serions pas sauvés, de nous placer du point de vue rationnel. Le sage non sauvé agit conformément à la volonté divine, même s’il ne le sait pas. Leibniz voit là une lumière naturelle, qui fait que Dieu et la loi éternelle de Dieu sont gravés dans nos cœurs, bien qu’ils se trouvent souvent obscurcis par la négligence des hommes et'par leurs passions sensuelles.

Leibniz reste fidèle à une inspiration permanente : la raison naturelle, la physique elle-même, permettent de découvrir la grandeur et la bonté de Dieu, et donc de remonter au sens moral qui inspire le créateur. C’est pour cela que nous ne pouvions pas nous contenter d’examiner distinctement la grandeur et la bonté, et que nous devions aller jusqu’à les considérer ensemble. L’une et l’autre se confondent dans le gouvernement divin. Remontant, comme chacun peut raisonnablement l’espérer, jusqu’à la correspondance physique des êtres, nous pouvons redécouvrir la sainte bonté qui inspire l’harmonie de l’univers. En ce sens, la possibili

« Nous faisons sans cesse, sur nous-mêmes, l'expé­ rience d'un tel principe unitaire.

Notre âme, pour parler comme Leibniz, est le référent permanent, nécessaire, et un, de notre rapport à nous-mêmes.

Tout ce que nous pouvons savoir du monde, nous le pouvons à partir de ce principe qui, de manière exemplaire, ne se confond pas avec les choses qu'il examme.

' Ce qui, pourtant, intéresse Leibniz, c'est l'unité dominante du monde en général.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire de notre seul point de vue ; nous devons examiner le point de vue absolu qui régit le monde dans son universalité, qui en explique l'être.

Leibniz le dit ainsi : « L'unité dominante de l'univers, non seulement régit le monde, mais le façonne ou le crée ; elle est supérieure au monde et, pour ainsi dire, au-delà du monde.

Bien plus : elle constitue la raison dernière des choses.

» Nous sommes, en tant qu'individus, encore du monde par notre corps.

Nous sommes liés à des réalités qui conditionnent nos réactions.

Nous obéissons à des lois que nous devons comprendre si nous voulons accéder à l'être réel.

Pour cela, nous devons remonter à leur origine absolue.

Leibniz parle alors de la raison suffisante des choses : le principe sans lequel elles ne seraient pas ce qu'.elles sont.

Pour cela, il faut se détacher d'elles.

Il faut pourtant prendre garde au fait que, pour Leibniz, remonter à l'origine des choses, ne consiste pas à remonter, fût-ce à l'infini, vers une première chose.

Ce qu'il demande, c'est qu'on arrive à la raison complète de l'existence du monde ; c'est-à-dire qu'on traite la question de la cause de l'existence elle-même.

Supposer que l'état actuel du monde provient de l'état qui l'a juste précédé, et ainsi de suite, est vain, car on ne sort pas du monde ; on n'explique pas l'existence du monde : « Aussi loin qu'on puisse remonter à des états 19. »

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