STENDHAL: LE ROUGE ET LE NOIR (résumé & analyse)

D’ailleurs, l'énergie, la virtu italienne, est un peu comme la générosité cornélienne ; elle est belle par elle-même ; un beau crime quand il est celui d’une Cléopâtre, ou d’un Julien Sorel, lorsqu’à est la volonté d’une âme forte et non basse, est beau. L’énergie est la fleur de la vie ; la passion romantique n’en est que la vase et l’enlisement.

L’humanité du roman. — Il y a, d’ailleurs, dans le caractère de Julien des traits qui en font la vérité profonde et humaine. C’est un révolté qui veut la revanche avec une volonté lucide, mais non pas avec une volonté froide. Il s’oblige à être lucide et froid. Il n’a pas la sérénité monotone et l’aisance à se dompter soi-même des héros cornéliens. Sa volonté est en lutte contre ses nerfs, et ses calculs contre ses passions et même son cœur. Il a des détresses physiques, il s’évanouit ; et des détresses morales. Dans cette lutte épuisante, il a des renoncements et des désespoirs. \"Pourquoi suis-je moi ?\" Il a des contradictions ; il s’ignore parfois lui-même ; il lui arrive d’être la dupe de ses amours.Pour Mme de Rénal, pour Mathilde de La Mole, il risque non seulement la mort, mais la ruine de ses ambitions. Il n’a ni la hautaine certitude du héros cornélien, ni la froide adresse du Lovelace de Richardson ou du Valmont de Laclos. Il est faillible ; il est humain.

Le romantisme du roman. — On voit qu’il reste dans ce roman bien des éléments romantiques. L'aventure d’abord n’est pas l’ « humble vérité » que réclament les réalistes. Ce n’est pas une destinée commune que celle de ce fils de charpentier qui manque à devenir le gendre d’un marquis, qui devient assassin et qu’on guillotine. L’histoire (vraie d’ailleurs) dont Stendhal s’est inspiré a été racontée dans un journal du temps, <

Surtout Stendhal reste romantique par le besoin de parler de lui. Assurément, son œuvre n’est pas une confidence, comme Adolphe, Obermann ou René. Aucun des lecteurs contemporains ne fut tenté de chercher, derrière Julien Sorel, M. Beyle de Stendhal, Mais Stendhal savait que ce Julien était pour une part son image. Comme lui, Beyle, s’il n’était pas le fils d’uo charpentier, était de médiocre naissance, fils d’avocat. Il a détesté sa médiocrité ; il s’est ébloui des destinées de Napoléon ou de ses maréchaux ; il a rêvé d’être un des princes du monde. Comme Julien Sorel, il a pris en haine un père sévère et qu’il jugeait borné. Surtout, il a donné à Julien toute une part de son caractère : tête froide, appétits ardents, volonté dure et lucide, mais nerfs souvent débiles ; un corps rebelle à l'énergie qui le dompte et le gourmande. Les impressions de Julien sont constamment l’histoire de Beyle. Ce n’est assurément pas ainsi que Flaubert ou même les Goncourt ont compris le roman « vrai ».

L'élément classique. -— Il y a aussi bien dans le Rouge et le Noir la tradition des romans classiques. L’œuvre est, en même temps qu’un roman de l’énergie \"égotiste\", un roman de mœurs et un roman d’analyse à la façon des Liaisons ou du Paysan parvenu. Stendhal a prétendu nous donner l’image fidèle de la société de 1835 et l'explication des ressorts qui la faisaient mouvoir. Cette image et cette explication sont pessimistes et cruelles. Il y a dans ce monde quelques braves gens. Mmc de Rênal est émouvante et pitoyable ; l’abbé Chélan est un saint homme ; l’abbé Pirard un brave homme. Julien a pour le moins un ami capable de fidélité et de sacrifice. Mais ces gens-là sont rares et presque toujours impuissants et vaincus. Il n'y a guère dans le monde que des cupidités et des ambitions qui luttent. Sous Napoléon, la lutte était rouge ; elle se faisait par la guerre et la bravoure. Sous la Restauration, elle est noire ; elle se fait par l'hypocrisie ; la société est menée par des prêtres sournois et implacables.