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SIMON: La Route des Flandres (Fiche de lecture)

Publié le 22/11/2010

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... l'immense et noir troupeau des vieilles carnes, lancées dans une charge aveugle, luttant de vitesse pour se dépasser, projetant en avant leurs crânes aux orbites vides, dans un tonnerre d'ossements et de sabots heurtés : quelque fantomatique cavalcade de rosses exsangues et défuntes chevauchées par leurs cavaliers eux-mêmes exsangues et défunts aux tibias décharnés brinqueballant dans leurs bottes trop grandes.

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« indirectement, à la mort des deux hommes.

Ce désastre, c'est aussi l'échec des rapports entre Georges et Corinne,dont il a rêvé pendant cinq ans et qu'il voulait rencontrer et posséder après la guerre.

Les personnages ont pourtantcherché à donner un sens au passé, à leur rencontre, à leur vie ; ils ont tenté d'abolir le temps par l'acte sexuel :c'est un échec qu'exprime la dernière phrase du roman. 2.

UN ROMAN PICTURAL Ce roman est composé comme un triptyque, forme féconde dans l'oeuvre de Claude Simon, structure poétique quiordonne le chaos apparent de l'écriture.

Trois parties sont présentées par des phrases mises en exergue quisoulignent l'évolution thématique du roman : la dualité de la vie et de la mort, le couple humain et ses conflits, etenfin le «temps assassiné» qu'évoque la précédente citation.

Trois figures de femmes dominent le roman: lapaysanne qui éclaire les soldats dans l'étable où ils se réfugient pendant leur errance, la femme frivole de l'ancêtre,et enfin Corinne.

Trois fois l'intrigue se noue autour du thème du mari trompé : dans une histoire confuse depaysans ; lorsque l'aïeul de Reixach surprend sa femme avec un palefrenier; dans la liaison de Corinne avec le jockeyIglésias.

Les cavaliers, dans leur errance, rencontrent à trois reprises un cheval mort ; cette description macabrejalonne l'itinéraire du texte. Il y a, en effet, un réseau de références internes dans le roman, qui se construit par le jeu des images comme dansla poésie moderne.

C'est ainsi que l'errance des cavaliers dans un paysage de guerre correspond à la recherche deGeorges dans ses souvenirs, l'ensemble symbolisant le difficile cheminement du lecteur dans La Route des Flandres. Le récit est enfin composé comme un ensemble centré autour d'un épisode essentiel, la destruction de l'escadron decavaliers auquel Georges appartient, qui se double de l'évocation d'une course de chevaux, perdue par de Reixachavant-guerre, sous les yeux de Corinne.

Le rapprochement de ces deux épisodes se fait dans une séquencetextuelle reproduisant la forme en huit d'un champ de courses. Formes, structures, images organisent le déroulement du récit.

Le texte est émaillé de descriptions de tableaux :portrait de l'ancêtre, gravure érotique, immense glace d'un café, qui cadre et réfléchit la pièce.

Les descriptions deschamps de course donnent à voir des tableaux de Degas ; la scène d'un enterrement de campagne évoque untableau de Courbet et la paysanne à la lanterne fait jouer le clair-obscur d'un intérieur misérable.

Le texte est ainsiun espace peuplé de souvenirs simultanés, d'où naissent des images qui forment une unité picturale.

L'imageobsédante du cheval donne son unité au récit, pour lequel il est l'animal emblématique : chevaux de l'hippodrome,petite jument alezane montée par de Reixach avant-guerre, cheval mort enterré par les soldats. 3.

LA FASCINATION DES MOTS Un réseau métaphorique très riche, emprunté au monde végétal et au monde animal, traduit la fréquence et la forced'un thème, l'obsession de l'acte sexuel, souvenir d'avant la guerre, ou soutien des rêveries de ces hommes prisdans les dangers et le désespoir de la guerre : le paysage, le fossé herbeux où se terrent les soldats, le contact,l'humidité de l'herbe, les odeurs, se chargent d'une connotation érotique, indissociable de l'idée de mort, née d'unesituation de danger intense. Claude Simon met en valeur l'authenticité des différents registres de langage parlés par les nombreux personnages :expressions imagées des jockeys et jargon des champs de courses, bavardage vain et familier des parents deGeorges, conversations littéraires et philosophiques qu'il peut avoir avec son ami Blum ; dialogues brefs et violentsoù Corinne intervient.

Les divers plans des souvenirs sont ainsi mis en mots. La fascination des mots est si forte qu'elle peut interrompre le récit lui-même.

C'est ainsi qu'il faut comprendrel'introduction de deux éléments étrangers qui ont pour rôle de mettre le récit en suspens : un texte italien ancien etune carte d'état-major.

Le premier texte, décrivant une femme Centaure, joue avec la typographie des minusculeset des majuscules, et le renvoi aux mots italiens écrits en marge par un ancêtre de Reixach ; le lien avec l'imageessentielle du roman est évident.

La carte d'état-major résume de façon synthétique tout ce qui la précède par uneliste de mots évocateurs des grands thèmes du récit.

C'est un procédé de «mise en abyme'» du récit, pourreprendre l'expression de Gide, souvent pratiquée par le Nouveau Roman. Pour Claude Simon, le texte littéraire est la construction, ou plutôt la «restitution d'un univers mental» qui tientcompte de la fragilité des perceptions, de la fluctuation des souvenirs, et du désir de donner un sens au réel, quetout individu éprouve et qui l'amène à questionner indéfiniment les événements de l'histoire et ceux de sa propre vie.C'est cette fonction de recherche que Claude Simon assigne à ses phrases longues, interrompues, reprises ensuitepar des parenthèses et des tirets.

L'emploi si fréquent du participe présent, cette forme verbale «hors du tempsconventionnel», lui permet la libre association des idées, le passage dans la simultanéité des innombrables plans dusouvenir.

Le participe présent, mêlant tous les moments de la durée, a pour fonction de juxtaposer les images ; à lacourse de chevaux sur l'hippodrome se substitue le tableau épique d'une chevauchée macabre : «...

l'immense et noir troupeau des vieilles carnes, lancées dans une charge aveugle, luttant de vitesse pour sedépasser, projetant en avant leurs crânes aux orbites vides, dans un tonnerre d'ossements et de sabots heurtés :quelque fantomatique cavalcade de rosses exsangues et défuntes chevauchées par leurs cavaliers eux-mêmesexsangues et défunts aux tibias décharnés brinqueballant dans leurs bottes trop grandes.» Ce roman peut surprendre le lecteur par son foisonnement d'images, les retours et les détours de l'intrigue.

Lasuperposition des époques et des souvenirs, motif essentiel de La Route des Flandres et de toute l'oeuvre de Claude. »

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