SEVIGNÉ (MADAME DE): Lettres
Publié le 22/11/2010
Extrait du document
Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus digne d'envie; une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde ; une chose qui comble de joie Mme de Rohan et Mme d'Hauterive ; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue ; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à la dire ; devinez-la : je vous le donne en trois, jetez-vous votre langue aux chiens ? Eh bien ! il faut donc vous la dire : M. de Lauzun épouse dimanche au Louvre, devinez qui ? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix ; je vous le donne en cent [...]
«
(Lettre du 15 décembre 1670, à Coulanges)
Ménageant habilement le suspense pour le plaisir de son lecteur, l'épistolière, qui multiplie à loisir les superlatifs,n'est sans doute pas dupe de son sujet.
N'écrit-elle pas elle-même dans la lettre suivante, alors que le mariage est tombé à l'eau avant même d'être célébré :
«Voilà un beau songe, voilà un beau sujet de roman ou de tragédie, mais surtout un beau sujet de raisonner etde parler éternellement : c'est ce que nous faisons jour et nuit, soir et matin, sans fin, sans cesse.»
(Lettre du 19 décembre 1670, à Coulanges)
2.
LE ROMAN D'UNE PASSION
Sans doute la correspondance de Madame de Sévigné n'eût-elle jamais atteint les proportions qui sont les siennessans le départ de Madame de Grignan pour la Provence.
C'est pour remédier à cette absence que naissent leslettres, qui veulent effacer la séparation mais ne cessent de la crier:
«Ma douleur serait bien médiocre si je pouvais vous la dépeindre ; je ne l'entreprendrai pas aussi.
J'ai beau chercher ma chère fille, je ne la trouve plus, et tous les pas qu'elle fait l'éloignent de moi.»
(Lettre du 6 février 1671, à Madame de Grignan)
« Rien ne me donne de distraction ; je suis toujours avec vous ; je vois ce carrosse qui avance toujours et quin'approchera jamais de moi [...] »
(Lettre du 9 février 1671, à Madame de Grignan)
Le motif récurrent de ces lettres est donc l'amour d'une mère pour sa fille, objet d'un attachement exclusif.
Sansretenue, Madame de Sévigné se livre dans ses lettres à des débordements de tendresse, exprimant sans cesse sonchagrin, comme ses inquiétudes, notamment quand sa fille tarde à lui écrire :
«Enfin, voilà le second ordinaire que je ne reçois point de nouvelles de ma fille ; je tremble depuis la tête jusqu'aux pieds, je n'ai pas l'usage de la raison, je ne dors point ; et si je dors, je me réveille avec des sursautsqui sont pires que de ne pas dormir [...] Ma fille ne m'écrit-elle plus ? Est-elle malade ? Me prend-on ses lettres? car, pour les retardements de la poste, cela ne pourrait faire un tel désordre.
Ah! mon Dieu, que je suismalheureuse de n'avoir personne avec qui pleurer !»
(Lettre du 17 juin, à d'Hacqueville)
On le voit donc, il n'y a nulle tricherie dans les Lettres, puisqu'elles n'étaient pas destinées à la publication.
Au-delà des témoignages d'amour adressés à sa fille, elles constituent une manière de journal intime, auquel la marquiseconfie ses méditations les plus profondes.
Âme sensible et romanesque, elle se plaît à ainsi évoquer les saisons qui passent avec un rare sens des paysages, comme dans cette description de l'automne :
«Je suis venue ici achever les beaux jours, et dire adieu aux feuilles ; elles sont encore toutes aux arbres ;elles n'ont fait que changer de couleur : au lieu d'être vertes, elles sont aurore, et de tant de sortes d'auroreque cela compose un brocart d'or riche et magnifique, que nous voulons trouver plus beau que du vert, quandce ne serait que pour changer.»
(Lettre du 3 novembre 1677, à Madame de Grignan)
Sa sensibilité exacerbée pousse également l'épistolière à s'épancher sur des questions intimes et existentielles,comme l'angoisse de la mort :
« [...] Je m'abîme dans ces pensées, et je trouve la mort si terrible, que je hais plus la vie parce qu'elle m'ymène que par les épines qui s'y rencontrent.
Vous me direz que je veux vivre éternellement.
Point du tout ;mais si on m'avez demandé mon avis, j'aurais bien aimé à mourir entre les bras de ma nourrice : cela m'auraitôté bien des ennuis et m'aurait donné le ciel bien sûrement et bien aisément.»
(Lettre du 16 mars 1672, à Madame de Grignan) Les Lettres de Madame de Sévigné nous renvoient ainsi un double écho : celui des bruits du monde et de la société, en même temps que le murmure passionné d'unesprit profond et d'une âme inquiète.
3.
DE L'ÉCRITURE INTIME À LA LITTÉRATURE
Le statut des Lettres de la marquise de Sévigné est un statut ambigu, aux marges de l'écriture intime et de l' oeuvre littéraire.
On a dit qu'à aucun moment Madame de Sévigné n'avait imaginé que ses lettres, qui figurentaujourd'hui au rang des grandes œuvres classiques, fussent lues par d'autres personnes que leurs destinataires.Mais le caractère intime de ses lettres ne la dispense pas d'y mettre tout son art.
Elle écrit pour se faire plaisir maisaussi pour plaire :.
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