Serge Paugam, La disqualification sociale (fiche de lecture)
Publié le 18/08/2012
Extrait du document
Lorsque Paugam parle parfois de « retournement de situation «, de « dénaturation « de la relation d’aide, il sous-entend que par défaut, le travailleur social se trouve en situation de puissance, de supériorité par rapport à l’usager. S’intéresser au sens de la demande, au sens des attentes des usagers, et ne pas rester sur des réponses systématiques ou imposer, par l’aide, les attentes du système et un sens particulier qui est véhiculé (stigmatisation, perte d’autonomie et de dignité) constitue-t-il un début de piste ? Le travail qui a été fait dans les cours d’intervention sociale autour de la demande est en cela, je pense, salvateur. De même, rechercher le sens et les conséquences de l’application de politiques sociales est sans nul doute impératif. Paugam met aussi en évidence la diversité des acteurs, la multiplicité des réponses, qui multiplient par autant le risque de stigmatisation. Le travail en réseau et la connaissance des positionnements des partenaires sont donc essentiels.
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- le statut juridique (dont le rapport à l'emploi)- les relations avec les services sociaux (fréquence et forme)- les caractéristiques démographiques et sociales des dossiers administratifs3 types sont ainsi constitués selon des conditions sociales objectives : les fragiles, les assistés et les marginaux.
Paugam recherchera les correspondances entre lathéorie (typologie) et le sens des expériences vécues.
Dans la mesure où Paugam admet une marge de liberté dans la construction de l'identité, il peut y avoirplusieurs expériences différentes par type (il déterminera 7 types d'expériences en tout).Paugam parle de « carrière d'assisté ».
Plutôt que d'employer la notion de carrière de pauvres, il se réfère encore une fois à l'objectivation de Simmel, et préfère parlerde carrière d'assisté.
Pour Becker, elle résulte de facteurs structurels et subjectifs.
Pour Hugues, elle fait référence à une dimension objective (le statut) et unedimension subjective (la perspective).
Mais Paugam retiendra surtout les aspects moraux de la carrière, en référence à la carrière morale de Goffman : lestransformations de la personnalité et du système de représentation du fait de cette carrière « par lesquelles l'individu prend conscience de lui même et des autres ».
Enparticulier, les 3 types d'expériences décrites pour le type « assisté » pourraient constituer des étapes de « transformation probable » de la personnalité et des systèmesde représentation.Dans quelle mesure le type d'intervention sociale détermine-t-il les expériences vécues ?A partir de l'étude des formes institutionnelles de la pauvreté et de l'analyse des 3 types de populations et des expériences, Paugam s'intéressera à deux dimensions :- La négociation du statut et de l'identité avec les travailleurs sociaux (première partie découpée en 3 chapitres se rapportant aux trois types) – voir tableau ci-après- Les rapports entre ces populations dans le même espace (deuxième partie)
Méthodologie :A la manière des réflexifs, Paugam s'assure de ne pas avoir de problèmes d'auto-analyse par rapport à l'étude, n'étant pas issu du milieu social étudié.L'enquête se déroule dans la ville de Saint-Brieuc.
Elle possède un tissu économique dégradé mais présente l'avantage de villes moyennes (volume, articulation entreles services)L'enquête se fait en trois temps :- Avant de débuter l'enquête, il s'appuie sur son bagage d'étudiant :o Une enquête pour son mémoire dans une famille avec observation de la disqualification et de la résistance au stigmateo Une observation ethnologique axée sur les marginaux en milieu rural- Un recueil de caractéristiques auprès de la CAF, de la SDASS et du CCAS, avec une attention particulière à la comparaison des clientèles du SDASS et du CCAS.Il faut toutefois être prudents quant à l'interprétation des données statistiques- Une enquête par entretien dans le grand ensemble de la Cité du Point du Jour et une enquête complémentaire afin de compléter l'échantillon dans d'autres quartiers.Paugam s'attache à réactualiser les conclusions de cette étude et à l'intégrer dans un contexte économique et social mouvant.
Ainsi, pas moins de 8 éditions ont étéréalisées, avec à chaque fois une préface différente.
Il y a notamment intégré les résultats de son analyse réalisée pour le CERC sur le RMI en 1990-91, qui lui apermis de confronter ses conclusions à une population plus large que celle de Saint-Brieuc.
Il y réinterprète également le sens des politiques sociales, notamment duRSA.
Il illustre aussi chaque partie par un extrait de roman ou de chanson populaire, pour faire référence à la perception, à la conscience et aux représentations dustatut lié à la précarité.Dans la déconstruction de notions puis la construction d'un objet, dans l'intention, la rigueur et la méthode, Paugam constitue un exemple pour la construction denotre mémoire.
Le travail social dans la disqualification sociale
Comme le dit Paugam, « ce livre a sans doute correspondu à l'attente des professionnels du social […], soucieux de mieux comprendre les attitudes et les expériencesvécues des assistés à l'égard de l'emploi et des services sociaux.
[…] La disqualification sociale interroge en effet la carrière morale des assistés et suscite parconséquent l'intérêt de tous ceux qui ont la charge de déjouer ce processus en inventant des solutions d'insertion ».
(p XII)P.25–26 : La citation de Coser qu'il légitime est assez perturbante : « c'est le fait même d'être aidé ou assisté qui assigne les pauvres à une carrière spécifique, altèreleur identité préalable et devient un stigmate marquant l'ensemble de leur relation avec autrui ».
Encore plus difficile, d'après Verdès-Leroux, les travailleurs sociauxsont « victimes de leur ethnocentrisme de classe », « analysent les traits caractéristiques du mode de vie des classes populaires en termes pathologiques, ce qui a, entreautres, pour effet d'enfermer dans l'assistance,[…] de mettre en œuvre (leur) ségrégation ».
Ils imposent leur « système de valeurs », par une « violence symbolique ».Ils ont parfois un « sentiment d'échec » face à des formes de résistance, que Paugam va approfondir dans l'étude de la relation entre populations reconnues comme« pauvres » et les travailleurs sociaux.
Paugam a une certaine vision de l'assistance, qui néglige l'accompagnement et la réussite.Des chapitres 1à 3, on peut établir une proposition incomplète de grille de lecture (voir p.5 du commentaire) qui peut accompagner le travailleur social dans sarelation avec l'usager et donc dans la relation d'aide.
Le revers de la médaille étant toutefois que, bien que refusant toute catégorisation des pauvres, il construit unetypologie.
Pour la compréhension de son livre, mon esprit a conduit à mettre paradoxalement des situations dans des cases.
Cet exemple pour monter qu'étant donnéela médiatisation de son livre, le grand public peut ne pas faire de différence entre catégorie et typologie…et trouver là une nouvelle façon, en plus, sous la bénédictionde « l'expert », d'étiqueter les personnes.
Néanmoins, en tentant une traduction possible d'une réalité complexe, il met les travailleurs sociaux face à plusieurs signauxd'alerte.
L'aide des travailleurs sociaux a un impact sur l'identité des populations concernées.
Ainsi, jouer sur les rapports qu'ont les populations avec le travailleursocial en essayant de les modifier, parfois pour son propre confort (apaiser les tensions, bâtir une relation de confiance durable) c'est jouer sur les représentations, cequi pourrait bien avoir des conséquences dramatiques.
Il s'agit pour le travailleur social de rester attentif au sens et au statut que la personne aidée met derrière soncomportement dans sa relation avec lui.
Il s'agit également de réinterpréter une stratégie d'opposition, de refus ou de revendication qui peuvent être à tort considéréscomme des échecs, en gardant à l'esprit qu'elle peut être à double sens : elle peut paradoxalement être à la fois le signe que la personne se trouve en passe de glisservers un statut plus dépendant de l'aide, mais elle est surtout le signe de l'expression d'une volonté positive de résistance à la disqualification.
Et en cela, elle doit êtrerespectée et peut vraiment être revalorisée.
Ce qui est plutôt à déplorer, c'est que ce soit seulement un « pauvre jeu auquel [puissent] se livrer les pauvres » (préfacede Dominique Schnapper).
Peut-être faut il s'en servir de levier pour conjurer l'échec ?Lorsque Paugam parle parfois de « retournement de situation », de « dénaturation » de la relation d'aide, il sous-entend que par défaut, le travailleur social se trouveen situation de puissance, de supériorité par rapport à l'usager.
S'intéresser au sens de la demande, au sens des attentes des usagers, et ne pas rester sur des réponsessystématiques ou imposer, par l'aide, les attentes du système et un sens particulier qui est véhiculé (stigmatisation, perte d'autonomie et de dignité) constitue-t-il undébut de piste ? Le travail qui a été fait dans les cours d'intervention sociale autour de la demande est en cela, je pense, salvateur.
De même, rechercher le sens et lesconséquences de l'application de politiques sociales est sans nul doute impératif.
Paugam met aussi en évidence la diversité des acteurs, la multiplicité des réponses,qui multiplient par autant le risque de stigmatisation.
Le travail en réseau et la connaissance des positionnements des partenaires sont donc essentiels.Enfin, dans le chapitre 5, Paugam montre à quel point l'aide sociale peut, en projetant des attentes et des catégories, diviser un monde contre lui-même.
Faut ilpréférer la construction d'une certaine marginalité organisée, avec des liens de communautés, mais coupée, sur un court temps, de l'aspiration à un autre statut ? ouun contrat avec l'assistance sociale, passé au nom de la société et titrée « promotion sociale » mais ayant comme clause une disparition de liens avec certains, uncomplexe d'infériorité et l'obsession nécessaire de, comme le jeu du pouilleux, se « refiler » le stigmate ? L'étudiant en travail social doit absolument remettre enquestion ses propres représentations, travailler à « limiter la casse », et à innover pour trouver des nouvelles pistes et conjurer cette disqualification dont il peut être lacause.
Les détracteurs pourraient penser que celle-ci ressemble à un « lavage de cerveau » en groupe, mais l'ISIC n'est-elle pas un moyen de laisser la place à laconscience collective, tout en gardant l'espoir d'un statut meilleur ?Pour finir, la disqualification sociale correspond à l'une des trois formes de pauvreté que Paugam a identifiées en Europe, dans Les formes élémentaires de la.
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