SEMAINE SAINTE (la). Roman de Louis Aragon (résumé et analyse de l'oeuvre)
Publié le 27/10/2018
Extrait du document
SEMAINE SAINTE (la). Roman de Louis Aragon (1897-1982), publié à Paris chez Gallimard en 1958.
Rédigé durant l'année 1957-1958, le
roman tel qu'il nous est donné à lire, ayant pour motif principal la participation de Théodore Géricault à la fuite de Louis XVIII durant les Cent-Jours, succède à un projet plus vaste, travaillé de mai 1955 au début de 1956, qui aurait pris pour héros David d'Angers et couvert quarante-deux ans, de 1814 à 1856. Si l'intérêt pour Géricault allait croissant dans la réflexion esthétique d'Aragon dans les années 1949-1957 (ainsi publiait-il << Géricault et Delacroix ou le Réel et l'Imaginaire >> dans les Lettres françaises du 21 janvier 1954), la parution de l'étude Géricault et son temps en 1956 n'est sans doute pas étrangère à ce changement de personnage principal et, par là, de perspective romanesque : renonçant à une fresque immense - comme il le fit pour les Communistes (1949), réduits de toute la Seconde Guerre mondiale à la seule période 1939-1940 -, le romancier abandonne surtout un républicain aux allures de << héros positif >> pour un artiste aux préoccupations moins évidemment proches de celles du militant Aragon. Cette métamorphose fait passer le roman du réalisme didactique à la peinture, qui intéressa toujours l'écrivain, de la genèse d'une conscience politique (Catherine dans les Cloches de Bâle, 1934; Armand dans les Beaux Quartiers, 1936). Le projet s'ouvre ainsi à une réflexion sur l'ambiguïté de l'Histoire, qui tire les leçons du désenchantement consécutif aux événements de Hongrie en 1956 et fait de ce premier roman indépendant du cycle du << Monde réel >>, l'inauguration de ce qu'il est convenu d'appeler la << troisième période » de l'écrivain.
Au « Matin des Rameaux », Théodore Géricault se trouve mousquetaire gris du roi, dans le désordre parisien lié à l'annonce de la remontée de Napoléon le long du Rhône, depuis son débarquement de l'île d'Elbe. « Quatre vues de Paris » nous font circuler dans l'agitation du
«
19
mars 1814, qui produ it, che z l'e ngagé volon
tai re Gér icau lt, une absolue désillusion : re n
contrant au soir le jeune Augustin Thie rry, admi
rate ur passionné de sa peinture, Théodore
décide de ne pas suivre le roi dans sa pos sible
fuite, soudain assailli par le désir de renouer avec
un art qu'il croyait avoir aban donné pour tou
jour s.
Malgré cette résolu tion, ému le soi r même
par la harangue du roi impotent, il acc om pagne
le cortège de cette « mon archie qui se dégl in
gue » dans sa remontée vers le nord.
À Poix, il
assiste à une réunion de conjurés («la Nu it des
arbrisseaux ») et compr end leur indifférence à la
bat aille politicienne, quand le problème qui se
pose à eux relève de l'écon omie à naît re, et de
la formati on d'un autre règne dans la cité : cette
sorte de bouff ée d'avenir , commen tée dans un
songe éveillé par le narrateur, semble une autre
voie de l'His toire, contredite aussitôt par l'épou
vante d'un crime individuel.
Tirant plus tard la
leçon de cette nuit (« le Ve ndr edi saint»), Géri
caul t suiv ra néanm oins jusqu'au bout Lo uis XVIII,
jus qu' à ce que l'ordre soit donné de se dispe rser,
à Bé thune.
À la fin de cette « Pass ion » de la
poli tique (« Demain Pâques») , muni d'un laisser
passer et d'une fausse identité, Théodor e refera
le chemin à l'envers : «C 'est drôle, la route n'est
plus du tout la même , avec le solei l.
»
L'hé sitation de la conscience dans
une débâcle de boue et de pluie fait de
l' Histoire une fuite éperdue, un roman
du désast re.
L'immense travail de
doc umentation accompli par Aragon,
qui lui permet de donner consistance à
l' intég ralité de ses personnages, ne fait
en rien de la Semaine sainte un « docu
mentaire » animé par une vague trame
narrative : si, comme la presse de l' épo
que l'avait noté, il« ne manque pas un
seul bouton de culotte >> à la reconsti
tution, c'est que le détail le plus infime
permet seul la compréhension d'une
époq ue, que le particulier le plus maté
riel est un tremplin pour l'univer sel.
Aussi le roman n'est-il pas tout à fait
« historique », comme le proclame
(non sans provocation) un encadré ini
tial de l'auteur, puisqu'il ne s'agit pas
de réanimer seulement le révolu, mais
de donner à lire, dans une cons-
truction savamment maîtrisée (corres
pond ance de la semaine symbolique et
de l'itinéraire géographique des trou
pes royal es), une métaphore générale
de la temporalité et de la politiq ue.
Par
là, Aragon réarticule les figurations du
temps qu'il avait déjà développées (la
plat e-forme filant vers le néant des
Voyage urs de l'impériale , 1942 ; le fleuve
mortifère d'Aurélien, 1944), et précise
leur portée politique : jusq u'ici en
effet, le pessimisme « historiai » de
l' artiste cohabitait vaille que vaille avec
l'opt imisme historique requis par
l'idéolo gie.
La tragédie des années cin
quante (découverte du stalinisme,
xxe congrès du PC soviétique) semble
fondre les deux tendance s, non pour
un fatalisme désabusé, mais pour obli
ger à une relecture de l'Histoire, où
l'exigence morale ne prendrait plus ses
souhaits pour d'immédia tes réalités .
Tant du point de vue esthétique (un
savoir convoqué pour être « rêvé » par
l'ima ginaire, dans un réalisme « sans
rivages >> qui préfigure le *Fou d'Elsa)
qu'idéologique (une analyse qui intè
gre le fond sombre des tablea ux de
Géricault dans ses propres représenta
tions), la Semaine sainte constitue
autant un prolongement qu'une méta
morphose : la critique de l'époque s'y
est quelque peu trompée, encensant ce
livre prodigieux pour l'opposer à ce qui
le précédait, sans voir que le discours
comme la mét hode déplaçaient le mar
xisme plutôt qu'ils ne le reniaient.
Cor
rection non pas idéologique, mais
esthétique (ainsi Aragon s'inspire-t-il
des visions picturales, coulant sa
phrase sur la déroute militaire, en lon
gues traînées vertigineuses de deux
pages quelquefois, qui se réveillent au
sursaut d'une lumière, d'une chandelle
de tableau) après l'échec des Commu
nistes, réinvestissement de l'idéolo gie
dans une nouvelle direction d'analyse,
travail de tressage métaphorique de la
débâcle du roi et de celle de 1940,.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- SEMAINE SAINTE (la). Roman de Louis Aragon (résumé et analyse de l'oeuvre)
- Fou D'Elsa (le) de Louis Aragon (résumé de l'oeuvre & analyse détaillée)
- VOLUPTÉ. Roman de Charles Augustin Sainte-Beuve (résumé et analyse de l'oeuvre)
- FOU D'ELSA (Le) de LoUis ARAGON (résumé & analyse)
- VOLEUR (le). Roman de Georges Darien (résumé de l'oeuvre & analyse détaillée)