SANG NOIR (le) de Louis Guilloux (résumé et analyse de l'oeuvre)
Publié le 27/10/2018
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SANG NOIR (le). Roman de Louis Guilloux (1899-1980), publié à Paris chez Gallimard en 1936.
Classé dans la catégorie des « romanciers à idées », Guilloux s'inscrit aussi dans la tradition populiste d'un Jules Vallès : le Sang noir, dont l'action se situe en 1917, reste à cet égard significatif de l'attachement de l'auteur aux luttes idéologiques du temps. Le scepticisme cynique de Cripure (dont le pessimisme et l'individualisme trouvent leur origine en Georges Palante, penseur libertaire qui exerça, jusqu'à son suicide en 1925, une influence déterminante sur Guilloux) semble prémonitoire, puisque c'est seulement en 1936, un an après la publication de ce roman, que Guilloux effectua avec André Gide un voyage en URSS : il en conçut une immense amertume qui correspond, a posteriori, au prophétisme désenchanté de Cripure. Antiscolaire, antimilitariste et antichauvin, le vieux professeur de philosophie du Sang noir aux yeux de qui toute croyance est suspecte (« Je détruis toute idole... Les paradis humanitaires, les édens sociologiques, hum ! » ), eut un tel retentissement que Guilloux rédigea une version scénique de son roman sous le titre de Cripure (1962), qui fut créée en 1967 dans une mise en scène de Marcel Maréchal.
Un matin de 1917, M. Merlin, surnommé Cri pure (allusion à la Critique de la raison pure de Kant, dont il parle beaucoup en classe), est une nouvelle fois victime des brimades de ses élèves, qui ont dévissé les écrous de son vélo. Vieil homme bougon aux pieds difformes, il partage son existence misérable entre sa maîtresse et servante Ma'ia (qui le trompe avec Basquin), ses petits chiens, le lycée et le bordel. La visite de son fils Amédée, de retour du front. réveille en lui le souvenir demeuré intact de Toinette, mère du jeune homme et ancienne épouse de Crlpure, dont celui ci espère encore le retour, vingt ans après leur séparation. La petite ville de province se prépare à décorer Mme Faurel pour les soins apportés aux blessés de guerre.
«
créée
en 1967 dans une mise en scène
de Marcel Maréchal.
Un matin de 1917 , M.
Merl in, surnommé Cri
pur e (allusion à la Critique de la raison pure de
Kant, dont il parle beaucoup en classe), est une
nou velle fois victi me des brimades de ses élè ves,
qui ont dévissé les écrous de son vélo.
Vieil
homme bougon aux pieds difformes, il partage
son existence misérable entre sa maîtr esse et
servante Maïa (qui le trompe avec Basquin), ses
petits chiens, le lycée et le bor del.
La visite de
son fils Amédée, de retour du front.
réveille en
lui le souv enir demeur é intact de Toine tte, mère
du jeune homme et ancienne épouse de Cripur e,
dont celuici espère encore le retour, vingt ans
après leur sépara tion.
La petite ville de province
se prépare à décorer Mme Faure! pour les soins
apport és aux blessés de guerre.
Lucien Bourcier
ref use quant à lui d'a ssis ter aux réjouis sances ; cet
ex lieutenant d'infanterie trouve en Cripur e un
allié solide que le dé goût de soi mène, comme
chaque après midi, au bistrot où il monolo gue
quand il ne revit pas à voix haute les épis odes
malheu reux de sa vie passée avec Toinette, épo
que où ses espoir s n'étaient pas encore déçus.
La cérémonie de la décor ation bat son plein,
mais une émeute de solda ts, menée au cri de
« À mort Poinca ré ! », donne bientôt raison à
l' anti militari sme du professeur .
Un collèg ue,
Nab ucet, se promet de « mat er» les mutins, ce
qui lui vaut d'être giflé par Crip ure, qu' il provo
que aussitô t en duel.
Gagné aux argum ents de
Mok a, son fidèle répétite ur et ami, Cripur e
accepte pourtant de signer un procès verbal qui
met un terme à l'affaire.
Mais Cripur e, après que
ses chiens ont dévoré la Chrestomathie du déses
poir, le grand ouvrage de sa vie, humilié d'avoir
été privé d'une occasion de témoigner de son
cour age, se donne la mort d'un coup de revolver.
En 1917 , alors qu'à l'Est la révolu
tion russe éclate et qu'à l'Ouest les sol
dats se mutinent, un vieil ours idéa
liste, anarchiste et rêveur, crève
lentement de ses contradictions : lors
que ses élèves s'en vont rejoin dre
Lénine ou quand ils partent au front,
peut-il encore rédiger son essai philo
sophique et vivre en reclus ? L'ensei
gnant-phil osophe du Sang noir incarne
toute la haine éprouvée par Guilloux
vis-a-vis de l'École .
Associé à une
culture de gauche, l'accès au savoir,
espérance d'avant 1914, n'es t-il pas
devenu l'allié de l'injustice quoti
dienne ? Les collègues de Cripure,
Robillard et sa provision de sujets de
compositions patriotiques, Bobinot qui
fait rimer «madrigal » et «général »,
l'a bject Nabucet et sa haine de l'étran
ger, sont-ils autre chose que d'odieux
fa ntoches ? Cripure, figure de l'intel
lec tuel pédagogue, n'est pas mieux
loti : l'« an ti » est aussi un nanti ( « Le
vieil anarchiste, il a tout de même des
économies en banque, et c'est aussi un
propriétaire »), dont la lutte contre la
morale bourgeoise ne va pas sans
compromi ssion.
L'« original » aux
idées subversives n'est au fond qu'un
imposteur, n'enseignant, selon ses pro
pres mots, que « philosophia, blagolo
gia, hypocritologia ».
Cette ambiva
lence se retrouve au sein du roman
dans l'oppo sition entre Lucien Bour
der et Cripure.
Lorsque Lucien, se libé
rant de l'emprise de ses parents, refuse
d' assister à la cérémonie en l'honneur
de Mme Faurel, il se réfère à Lénine, à
un contexte militant et doc trinal qui
valut à Guilloux un éloge appuyé
d'A ragon (Marcel Maréchal, dans sa
mise en scène de Cripure, insista pour
que, sur la bande sonore du spectacle,
les chants révolutionnaires fussent
interprétés par les chœurs de l'Armée
rouge) .
Mais la Russie léniniste est à
Lucien ce qu'est Java pour Cripure : un
projet inabouti, qui fait écho au rallie
ment à la cause des bolcheviks, en
1917 , de nombreux anarchistes, syndi
calistes et révolutionnaires -lesquels,
pour beaucoup, quitteront le PC dans
les années vingt, Lénine n'étant pas le
libertaire qu'ils avaient cru.
Ces débats idéologiques, que Guil
loux prend soin de laisser sans réponse,
sont tous enracinés dans une réalité
sociale précise, centrée autour d'un
événement (la décoration de Mme Fau-.
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