SAISON EN ENFER (Une) d'Arthur Rimbaud
Publié le 11/05/2019
Extrait du document
SAISON EN ENFER (Une). Recueil de poèmes en prose d'Arthur Rimbaud (l873). 20 juillet 1873 ; Rimbaud, de retour à Roche, dix jours après le drame de Bruxelles avec Verlaine, reprend, et achève en quelques semaines, un texte commencé lors d'un précédent séjour au sein de la famille Rimbaud, trois mois plus tôt. Entre-temps, le Livre païen — ou Livre nègre — est devenu la Saison en enfer. Faute de l'argent nécessaire aux frais d'impression, l'auteur n'obtiendra de l'éditeur Poot que cinq ou six exemplaires de son ouvrage. C'est assez pour qui n'écrit que pour soi, assez puisque l'objectivation des « quelques hideux feuillets de son carnet de damné >>, qu'il dédie à Satan, constitue pour Rimbaud l'ultime étape de sa « saison en enfer » et, en dépit des « quelques petites lâchetés en retard » qu'il devine déjà, la voie ouverte au salut.
Car l'enfer ne dure qu'une saison, dont la structure de l'œuvre retrace les vicissitudes. Une brève introduction, d'une composition sans doute tardive, en révèle la nature et le sens. Au commencement était l'Éden, « un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient >>, dans le lointain «jadis >> de l'incipit. Puis un acte de révolte du « je » vient battre en brèche cette atemporalité heureuse ; l'imparfait laisse place à des temps ponctuels — passé simple, mais surtout passé composé connotant les lourdes conséquences du péché originel : « Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. — Et je l'ai trouvée amère. — Et je l'ai injuriée. » Dès lors, l'enfer, instaurant une nouvelle durée que le moi, ébranle de même par un « Or, tout dernièrement, m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher
la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit ». La rédemption sera atteinte, mais l'introduction refuse d'en livrer le chemin et, immédiatement après le verset énonçant le projet, dévoile le savoir corollairement acquis : « La charité est cette clef. » A un récit recomposé, Rimbaud préfère les instantanés des cercles infernaux, témoignant et participant à la fois de son initiation.
Conséquence de l'absence de conscience organisatrice, le texte échappe à la logique et il convient de lire les mouvements qui s'opposent comme consubstantiels à l'expérience rimbal-dienne ; partagé entre ses « appétits » et son aspiration au salut, le « je >> parvient à s'élever vers l'Esprit sans jamais maudire la vie. Lui-même être de contradictions, à la fois le « Gaulois » païen et le chrétien « esclave de son baptême », le rejeton d'une « race inférieure » — voire la race à lui seul, à travers les siècles — et l'individu d'exception, extérieur au devenir historique ou, du moins, exclu du passé collectif par l'amnésie, il ne peut trouver de cohérence qu'en enfer, ce royaume où coexistent les contraires et d'où il s'écrie : « Je suis caché et je ne le suis pas. >> Dès lors, se justifient les ellipses, les rapprochements incompatibles au regard de la raison : l'incohérence réussit là où la dialectique échoue, les voix d'un moi multiple fusent et se répondent en un absurde assumé (« Farce continuelle! » ).
«
moi,
déchu pour avoir injurié la Beauté,
sait désormais la saluer, cette victoire
sera la note finale du livre où Rimbaud
matérialise l'importance du savoir par
un soulignement : « Il me sera loisible
de posséder la vérité dans une âme et
un corps.
•>
Toutefois, la tonalité finale est fort
sombre.
Sévérité de l'« heure nou
velle », désespoir d'une « dure nuit »,
« le sang séché fume sur ma face >>,
amère ironie, enfin, du « bel avantage >>
dont est qualifié le savoir acquis contras
tent avec le succès du projet rimbaldien.
C'est que l'initi ati on en est toute néga·
tive, le nouvel Orphée y laissant, outre
ses illusions, sa puissance poétique.
En
effet, si les Enfers représentaient dans
la pensée antique un lieu d'où le poète
rapportait un chant nou vea u pour l'édifi
cation des hommes, l'enfer de la Saison,
dont l'inspiration est satanique, débou·
che sur le mutisme.
Une tentative du
héros pour « dévo il e r tous les mys
tères » est bien esquissée mais elle reste
v ain e : « J'ai un oreiller sur la bouche >>,
se lamente le ne l'e nt en
dent pas, que « ce sont des fantômes >>.
U n retour prématuré à la lumière est
tout aussi impossible : >, inscrit en abyme
une Saison féminine.
Autrui relaie le
« je >> dans sa parole esquissée, lui
permettant par là d'acquérir une dis
ta nce critique qui, de la tro is iè m e per
sonne ( « Drôle de ménage ! >>) se porte
bientôt sur la première.
Ainsi est rendu
possible le second panneau, où le regard
se tourne vers le passé du poète.
Aussi
tôt, la prose éclate, s'ouvre pour que s·y
insèrent des poèmes antérieurs ; et si
Rimbaud succombe parfois à la tentation
de la réécriture, ce n'en reste pas moins
une opération destructrice
tout son
œuvre poétique y est impito yab lement
condamné, dé m ysti fié par un « La vieil
lerie poétique avait une bonne part dans
mon alchimie du verbe ».
D'où la « sévé·
ri te » qui emprei nt l'heure de la vic
toire : la mort des illusions est également celle
du poè te, et le voyageur infernal de
conclure : « Eh bien ! je dois enterrer
mon imagination et mes souvenirs ! Une
belle gloire d'artiste et de conteur empor·
tée ! >> Au moment où il rejoint le temps
de l'introduction, où il « croit avoir fin i
la relation de son enfer », Rimbaud en
découvre le sens profond : "Je ne sais
plus parler!" Bien tôt, ce seront les
« quelques petites lâchetés >> des Illumi
nations puis, définitif, le silence..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Fiche de lecture : SAISON EN ENFER (Une) d'Arthur Rimbaud
- Une saison en enfer (1873) Illuminations (1873-1874, publ. 1886-1895) Arthur Rimbaud (1854 -1891) Poèmes en prose
- SAISON EN ENFER (Une). Arthur Rimbaud
- Une SAISON en ENFER d'Arthur Rimbaud (résumé et analyse de l'oeuvre)
- Commentaire d'une Saison en Enfer d'Arthur Rimbaud