SAINT-ÉVREMOND, Charles de Marguetel de Saint Denis, seigneur de (vie et oeuvre)
Publié le 13/10/2018
Extrait du document
«
ensemble exemple et théorie : « Où 1' esprit a si peu à
faire, c'es t une nécessité que les sen s v i ennent à languir ».
Toujour s fo ndée sur l'exerc ice de la raison, sur la
recherch e de l 'expression juste, son écriture s'inscrit bien dans le fil de 1 'esthétiq ue c lassiq ue; dés in volture et fantaisie n 'y so nt jamais négligence ou licence.
Un hé riti er d es li bertin s
Élève de G assend i et lecteur de Montaigne , Saint Évremond a pour thème de réflexion favori l'homme et la société.
D'où , dans le domaine littéraire, sa prédilec tion pour les historien s, qui donnent Je récit des actio ns
des hommes, ct po ur les auteurs tragique s, qu i en don nent la repr ésentatio n.
D'où aussi, comme chez M ontai gne, une extrême atte ntion à soi-même.
Mais il affirme que la conscience de soi passe surtout par l'image que l'o n se con struit : «L'i dée qu'on a de so i par la simple atte ntion à se considérer du dedans est toujours un peu co nfu se : l'image qui s'e n exp rim e au-dehors est beau coup plus nette, et fait juger de nous beaucoup plus sai nement quand e lle repasse à J'examen de l'espri t après s'êt re présentée à nos yeux».
Le « connais-toi toi-même» se trouve de la sorte déplacé ve rs !'«être- là » et le «f aire », ct Saint Évremond récuse l'idée d'un «être», d'une «nature humaine » éternels ou intemporels.
Pour lui , ils varient
au fil de l'his toire: «Ce n'est pas tant la natur e hum aine qu'il faut expliquer que la conditio n hu mai ne qu 'il faut représ enter ».
Cette option, très moderne pou r l'époqu e, Je conduit
à un scepticisme so uri ant mais impitoyablement ironi que .
Il se m anif este en particulier dans ses commentaire s
s ur les ouvrage s historiques : Sa int-Évremond est un démolisseur de héros, s'ingéniant à discerner sous les images brillante s et les lége nde s créées par les historio graphe s bien -p ensants les travers et les mes quin eries des personnages les plus illust res; un bon exem ple en est la façon dont il démythifie Mécène , que tous les écrivains de son temps prése ntaient sous un jour ava ntag eu x e n sa qu alité de protecteur des lettres.
Ou bien il conserve so n
admiratio n envers un grand homme, mais en la gauchis sant : en Cés ar il r emarque les mérites du cyn i sme, que les histor ien s et commen tateu1·s é vitaien t de souligner.
Sceptique à l'égard de l' homm e, il se forge un e
morale où l es illus ions génére uses n'ont pas de plac e .
En disci ple de l' ép icurisme que Gasse ndi lui a enseigné, il
fo nd e son éthique personnelle sur la recherche d'une volupté qu'il assimil e à la sagesse, à l'art du divertisse ment mo déré (il condamnait les éclats des libe rtins
débauchés).
So n scepticisme est tout aussi pr ofond en matière de re l igion (même s'il évita it de choquer ouverteme nt) .
Comme les libertins érudits, il dé teste les jésuites (Conve rs ation du maréchal d'Hocquinco urt et du P.
Canaye, 1665?) et leur prosélytisme ( qu'il connaissait
de première main, ayant été leur élève), dénonce les croyances en la sorcelleri e et tous les fanatismes.
H ostile à la métaphysique, il rejett e l 'espri t de sys tèm e dans tous
l es domai ne s de la connai ssa nce et opte pour l'humilité deva nt ce qui est inacces si ble à l'entendement humain, pour l'accep tation d 'un savoir limité.
Cet te attitude de
d o ut e c ritique apprise des li ber tins le rapproc he de cer tains dissi dents huguenots (Bayl e) ct prépare la voie aux
Philosophes du siècle sui va nt.
Sa critique de la société n'est pas moins r adic ale.
Gentilhomme de vieille souche, il n'hésite pas à dénon cer ce qui faisait la base même de l'idéologie nob i liaire, l'honneur érigé en valeu r sup rême et symbo le de la dé fense du lignage.
Il n'y voit qu'un art de fein dre, qui dissimule mal la toute-puissance des pencha nts person- nel
s :
«C 'est l'honneur qui s'effo rce quelquefoi s de cacher les d éfa ut s du cœur, qui joue le personnage de la
tendresse, qui sauve le s apparences pour quelque temps,
j usq u'à ce que l'inclina t ion se réveille et qu'elle reprenne sa premi ère vigueu r».
Pas plus que les valeurs de l'héroïsme nob iliaire, les
valeurs natio nales ne trouvent grâce à ses yeux.
Ses Observations sur le goût et le discernement des Français (1684 ) remette nt en q uestion le chauvinisme cultur el
alors en vogue et e ntretenu par les dirigeants politiques.
Avec luii nru"t une co nception du cosmopo litisme qui , empruntant au sièc le p r écéde nt l'image d'une « r ép ubli que des lettres » ra ssemblan t sans souci des frontière s
tous les bons espr its, envi sage une Europe des es prit s
l ibres où 1' exi l n'aur ait plus de sens.
A l'égard d e l'absol utisme, ses critiques ne sont pas moindres.
Elles lui valur ent le bannissement, et il les tint
par la suite aussi secrètes que possible.
Mais son attitude est typique de la dupli ci té prati qu ée pa~ les libertins.
Il se déclare attaché au roi, qui incarne J'Etat.
Il joint à ce respect celui de la reli gio n d'État, qu'il tient pour un cadre nécessaire au peuple.
Mais en secret , il inclin e au
républicanisme.
Ses commentaires critique s s ur l'his toire récente (dont, bien sO r, la Lettre de 1659) ou ses
Réflexions sur l a répu bliqu e r oma ine (1663) laissen t per cer ses options, qu'il évita cepe ndant de formuler en termes sys téma tisés , so uc ie ux de ne pas jouer, dan s son exi l, le personnage d'un opposa nt mi litant.
Au contrair e, il affirmai t que la politiqu e suivie par Lou is XIV confir mait se s propre s critiques co ntre Maz arin (Lettre à Lionne, 1668) .
Un critiqu e de goût
Les OIPtions éthiques et socia l es de Saint-Évremond n'appara iss ent, au fil de ses ouvrages, que de façon frag mentée; ses options d 'ordre esthétique s'y affirme nt de
façon plus s uivie.
C'est d'ailleurs en sa qualité de cri tiq ue qu 'il jouis sait
auprès de ses contemporains de l'autorité la p lus grande .
Celle-ci éta it avant tout fon dée sur sa qualité de «co n naisse ur».
Car s'il feignait de mépriser J'érudition,
so n savoir était reconnu et lui co nfé rait les compétences d'un «do cte».
Mais les critè res s ur l esque ls il appuie
ses jugements s e veulent avant tout «mon dains», et il se pose en critique de goût, n on en théoricien.
Chez lui , Je goût est indépendant de la mode : il est,
au contra ire , émanation de la raison.
Ain si, dans une le ttre à Corne ille, qui se plaignait d 'être attaqué par les partisans de R acine (avril 1668), il met en avant, contre
le s opinio ns à la mode, l'avi s dtl sava nt Vossius (favo ra ble à Corne ille) et enchaîne : « Se ra it-il arrivé du bon
goût co mme des modes, qui comme ncent à s'établir chez les étrangers qu an d elles se passent à Paris? [ ...
) J e crois que l'influence du mauvai s goût s'e n va passer, et la première pièce que vous donnere z au public fera v oir par
l e reto ur de ses appla udissem e nts le recouvreme nt de son
b o n sens ct le rétablissement de sa raison ».
Comme l'a montré Q.M.
Hope, le bon goût selo n
Saint-Évremond s'ordonne autour de troi s notions clefs :
l a délicatesse, le bon sens, le naturel.
La délicatesse
permet de discerne r les qualités de l'expression, qui doit être aussi mesur ée et exacte que possib le.
L e boo sens
prés erve les prérogati ves de la raison.
Le naturel défend
les droits de l'émotion et du plaisir.
Car la donnée premiè re, chez cet homme de raison,
re s te le mouvement de la sensib ilité : un ouvrage n'es t
digne d'intérêt que s'~l «to uch e» e t «a nime».
De ce fait, le g.oû t de Sain t- Evremond accorde une place pré pondérante , parmi les genre s littérai re s, à la tra gédie,
plus que toute autre forme capable d'« enleve r l'âme».
Mais ce Lte réaction première ne fait pas disparaître les.
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