SAINT-AMANT, Marc Antoine Girard, sieur de (vie et oeuvre)
Publié le 13/10/2018
Extrait du document
«
La diversité est manifeste à travers les différentes tendances qui s'entremêlent dans sa production.
Les poè mes bachiques y voisinent avec des poèmes de circons tance sur les sujets les plus variés : pièces de louanges pour les Grands, poésies amoureuses, descriptions de paysages...
La satire - de commande (il écrivit, par exemple, pour Richelieu contre le duc de Savoie) ou de réaction personnelle (l'Albion, la Rome ridicule sont nées de ses voyages en Angleterre et en Italie) - peut être féroce, ou simplement amusée (le Poète crotté, 1631 ) ..
Le registre épique est aussi présent.
Ainsi le Moïse sauvé (1647-1653) est une forme d'épopée chré tienne, genre qui donna lieu à de nombreux essais, le plus souvent malheureux; cette œuvre reçut un assez bon accueil, puis fut frappée par le discrédit où tomba toute production de ce genre.
Le Poète crotté.
- La misère des poètes venus cher
cher fortune à Paris est, à cette époque, un lieu commun.
On trouve le même sujet dans le Francion de Sorel en 1626, comme plus tard dans les Historiettes de Tallemant Saint-Amant présente un poète qui, rebuté devant les diffi
cultés et les brimades, quitte Paris pour regagner sa pro
vince (bien entendu.
il est gascon; autre lieu commun, à l'époque).
Après avoir décrit le personnage, l'auteur le mon tre sortant de la capitale et se retournant vers la ville pour
prononcer son Adieu : l'infortuné passe ainsi en revue tous les lieux qu'il a fréquentés, les aventures qu'il a connues,
les misères et déceptions qu'il a subies.
Saint-Amant réuti
lise donc la forme de l'« adieu», traditionnelle.
qui avait été
illustrée notamment par Marot (Adieu à Lyon).
Moïse sauvé.- A partir de quelques lignes de la Bible
(Exode, 2).
où il est raconté comment Moïse encore au berceau fut abandonné sur le Nil et recueilli par la fille du
pharaon.
Saint-Amant élabore un long poème de 6 000 vers divisé- sur le modèle des épopées antiques- en douze
chants.
Ce ne peut être une épopée : le héros est un nour
risson.
Mais il relève bien du registre épique, avec des
exploits et des irruptions du merveilleux.
Saint-Amant
invente quatre dangers (attaques d'un crocodile.
d'un vau
tour.
d'un essaim de
«mouches», tempête) auxquels
Moïse échappe grâce à la protection des anges ainsi que
de trois personnages que l'auteur place près de lui : sa sœur.
un jeune berger -soupirant de celle-ci - et un vieux pêcheur.
L'action principale est coupée par plusieurs
récits, qui occupent.
au total, plus de la moitié du texte.
Ainsi, en particulier, un long récit de la vie de Jacob fait par
le vieux pêcheur, un songe prophétique de la mère de
Moïse, retraçant les exploits futurs du héros, et l'histoire
de Joseph racontée
à travers une série de tableaux peints
que commente le père de Moïse.
L'élaboration de cette amplification de l'épisode biblique s'étala sur huit ans; sa composition complexe permet l'alternance de moments de
tension, relevant du registre héroïque, et de détente due à des passages plus statiques, bucoliques ou idylliques
(amours de la jeune fille et de son berger).
Le désir de plaire à un public avant tout noble et mondain fait que Saint-Amant ne se conforme pas aux théories des « doctes » et, en particulier, imite assez peu les Anciens.
Ce n'était pas par ignorance, comme l'ont affirmé ses détracteurs (Tallemant...), mais par goût.
Comme les lecteurs à qui il s'adressait, il avait un pro fond mépris pour toute forme de pédantisme.
Il possédait des langues modernes et imitait volontiers les poètes italiens (Marino, Tassoni) et espagnols (Gôngora).
Il n'ignorait pas les thèses de Malherbe (son meilleur ami, Faret, était un malherbien fidèle), mais il se détournait de ce purisme - qui constituait une autre forme de modernisme- par souci de la diversité.
Il refusait de s'enfermer dans les «lois>> des genres.
S'il utilise volontiers des genres anciens, c'est en
cherchant surtout à inventer des formes nouvelles, adap
tées à sa démarche et à sa sensibilité.
Il fut un des initia teurs du burlesque en France; mais le burlesque - chez
lui - est plutôt un registre d'écriture qu'un genre au sens strict [v.
BuRLESQUE].
Typiques sont les noms que
Saint-Amant donne à ses grandes compositions : ainsi le Passage de Gibraltar (1640) est un «caprice héroï comique »; le Moïse sauvé et la Généreuse (1658), des «idylles héroïques».
Ces dénominations ne sont pas de fantaisie : il consulta ses confrères de l'Académie sur le terme d'« idylle héroïque»; elles rendent compte de genres qui obéissent à des principes fondamentaux repé rables.
Comme l'a montré A.
Rathé, le «caprice» cor respond à une composition qui relève de l'harmonie musicale et non de l'enchaînement narratif ou logique; d'où une progression par ruptures soudaines des sujets, des thèmes, des registres même d'écriture, à la manière dont se font les associations imaginatives.
Une telle atti tude conduit à des formes qui sont caractérisées plus par leur tonalité générale que par des « règles » : ainsi la Solitude (avant 1620) est déjà, dès le début de l'œuvre, ce que les romantiques nommeront une « méditation poé tique >>.
Telle est la donnée essentielle du modernisme de Saint-Amant : la liberté de la forme, nourrie par la recherche de nouvelles définitions adaptées à la dynami que originale de sa création.
Une poésie plastique
Pour lui, la poésie est inséparable de la peinture, sa «cousine germaine» (préface du Moïse).
C'est pour
quoi, si les sujets qu'il traite sont extrêmement variés, sa thématique privilégie les « visions ».
Il faut ici entendre ce terme dans toutes ses acceptions.
Ce peut d'abord être la description de « tableaux de genre », comme sont les « grotesques » peintures de cabaret et de mangeaille (le Fumeur, le Cantal, le Melon ...
, 1631) et les représenta tions satiriques d'un individu (le Poète crotté) ou d'une
cité (la Rome ridicule).
La description à partir d'un tableau peint intervient aussi comme élément majeur dans l'organisation même des grands poèmes narratifs (cf.
l'histoire de Joseph dans le Moïse).
Mais la vision est aussi et davantage celle du regard fasciné par les spectacles de la nature : la mer, dans la Solitude; les décors saisonniers, dans les quatre sonnets qui forment un« cycle des saisons ».La description tente alors de saisir le mouvement instable du réel.
Le monde devient, par le jeu des métaphores.
incertain, composé d'éléments qui ne sont plus opposés mais similaires, par exemple le feu et la glace dans l'Hiver des Alpes, où chatoient
Ces atomes de feu qui sur la neige brillent, Ces étincelles d'or, d'azur et de cristal, Dont l'hiver au soleil d'un luxe oriental
Pare ses cheveux blancs que les vents éparpillent.
La description tourne à la rêverie, les sens le cèdent à l'imagination, par exemple lorsque le poète évoque les profondeurs marines comme un monde inversé, où les poissons deviennent oiseaux, où l'air et l'eau ne sont plus des contraires.
Jeu de miroirs, monde renversé.
Enfin la « vision» est aussi, chez Saint-Amant, non
plus seulement sollicitation de l'imaginaire par la sur prise des sens devant un spectacle extérieur, mais créa tion fantastique.
C'est d'ailleurs en ce sens qu'il emploie lui-même ce mot.
Ses « visions » relèvent des métamor phoses, des hallucinations macabres - les motifs funè bres sont largement représentés à travers cette œuvre pourtant destinée à exprimer la gaieté avant tout - :
Un grand chien maigre et noir, se traînant lentement, Accompagné d'horreur et d'épouvantement, S'en vient toutes les nuits.
hurler devant ma porte, Redoublant ses abois d'une effroyable sorte.
Saint-Amant est, à coup sûr, le meilleur poète descrip tif de cette époque, et il a été largement imité.
On conçoit
sans peine que cette liberté donnée à l'imagination, cette
poésie de sensualité et de rêverie aient pu lui attirer.
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