ROMAN DE THÈBES (le) (résumé & analyse)
Publié le 08/11/2018
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ROMAN DE THÈBES (le). Roman en vers d'un clerc anonyme de l'Ouest de la France (qui appartenait sans doute à ces ateliers littéraires œuvrant pour Henri II Plantagenêt auxquels on doit aussi le Roman d'Énéas), composé vers 1152-1154 et conservé par cinq manuscrits. Ces derniers permettent de distinguer une version courte et une version longue : la version courte, probablement la plus ancienne, comporte 10 562 vers ; la version longue a fait l'objet d'additions parfois tardives.
Le Roman de Thèbes est le plus ancien texte romanesque conservé recourant au couplet d'octosyllabes à rimes plates ; il compose avec le Roman d'Énéas
(anonyme, 1155-1160) et le Roman de Troie (1160-1165) de Benoît de Sainte-Maure (tous deux postérieurs) la trilogie des romans dits« antiques >> dont il définit les caractéristiques littéraires. Il adapte en langue romane la Thébaïde de Stace, une épopée latine du ,er siècle.
Un Prologue fixe les grandes lignes du récit et définit le public aristocratique auquel il s'adresse (v. 132). Il est suivi par un résumé du drame d'Œdipe (v. 33 536), nécessaire à l'intelligence de l'histoire de ses fils, objet de la nanration ; il rappelle les composantes essentielles du mythe : l'oracle, le meurtre du père, l'inceste commis avec la mère et la malédiction divine appelée par Œdipe sur ses fils Étéocle et Polynice. Les deux frères ne pouvant s'entendre, la gestion alterna tive du fief paternel est confiée d'abord à l'aîné, Étéocle ; Polynice rejoint Argos où il épousera la fille du roi Adraste. Étéocle vit ce mariage comme une agression et refuse de rendre le fief; il tente d'assassiner Tydée, l'ambassadeur de son frère. La guenre ayant éclaté, les Argiens pren nent Montflor, un château avancé, et assiègent Thèbes. Le récit rapporte ensuite les escarmouches et les combats opposant les deux camps. Combats entrecoupés par l'évocation des amours d'Antigone et de Parthénopée, d'Ismène et d'Aton, puis par la déploration des « veuves » lors de la mort des deux héros. Une des tours de la cité étant livrée par Daire le Roux, Thèbes sera prise et dévastée par Capanée ; les ultimes combats n'épargneront la vie d'aucun Grec. Étéocle et Polynice s'entre tueront, leurs cendres continuant à se combattre après leur mort. Le texte s'achève en rappelant que la mort des fils est la conséquence du péché contre nature du père.
Cette adaptation en \"roman\" du poème épique de Stace s'inscrit dans cet intérêt renouvelé pour la culture antique qu'on a appelé la \"Renaissance du xiie siècle\" et qui se manifeste par la volonté de faire connaître, à un public ignorant le latin, les œuvres constituant l'ordinaire des clercs. Le Prologue déclare vouloir ne s'adresser qu'à un public aristocratique, et cette histoire de deux frères s'opposant pour
«
la possession d'un fief, pour héritée de
l'Antiquité qu'elle soit, ne devait pas
laisser indifférent l'auditoire qu'on
peut supposer au texte.
La geste d'Étéo
cle et Polynice, c'est avant tout l'his
toire d'un héritage rendu impossible,
plus par une gestion alternative
annuelle du fief, incompatible avec le
système féodal, que par une malédic
tion divine.
Indéniablement, l'auteur a
épousé la cause du cadet (Polynice), de
ces puînés, de ces « jeunes » exclus
de l'héritage paternel et contraints
d'effectuer un riche mariage pour s'éta
blir, dans lesquels on a vu le public
principal des œuvres romanesques qui
leur renvoyaient un écho de leurs
préoccupations.
Provisoirement exilé,
Polynice épouse la fille du roi Adraste,
qui a prévu, lui, de partager son fief
entre ses deux gendres.
Le portrait
d'Étéocle , rusé et cruel, campé par
l'auteur constitue une dénonciation du
droit d'aînesse, mais aussi la reconnais
sance du bien-fondé de l'argument qui
le légitime : le refus de la partition du
fief, à laquelle Étéocle ne feindra de
consentir, sur les conseils de Jocaste,
que pour mieux la rejeter.
L'opposition
des deux frères, qui fait aussi écho à
celle d'Abel et Caïn, offre un support
mythique aux tensions internes à la
classe chevaleresque et plaide implici
tement pour une pacification des rela
tions sociales que le roman courtois
prendra ultérieurement en charge.
Ce
premier roman définit donc clairement
les enjeux idéologiques de l'histoire du
genre au xne siècle.
À l'histoire des frères ennemis telle
que la livrait la Thébaïde, l'auteur
médiéval a ajouté, outre un court Pro
logue, un « avant-texte » de cinq cents
vers rapportant l'histoire d'Œdipe.
Geste significatif qui procède d'un
souci de rendre intelligible à un public
non averti le malheur des fils en le rap
portant à celui du père, en le resituant
dans la perspective de la transmission d'une
faute, d'un héritage moral.
Faute
double : un parricide doublé d'un
inceste.
Deux versants d'une même
faute dont les effets sont étudiés à tra
vers des destins individuels et l'histoire
collective d'une cité.
Paradoxalement,
l'inceste en lui-même intéresse peu
l'auteur médiéval qui ne semble pas
s'effrayer outre mesure de cette trans
gression sexuelle majeure.
Jupiter, le
maître des dieux, n'est-il pas l'époux et
le frère de junon (v.
9 459-9 460) ? Si,
conformément à la tradition, Œdipe se
châtie, jocaste ne paraît guère en proie
à une insurmontable culpabilité qui la
conduirait au suicide ; elle recouvre
même une forme de dignité morale et
sert d'intermédiaire entre les deux frè
res.
L'auteur illustre l'inceste de
manière plus anthropologique que
psychanalytique; il s'intéresse au par
cours de la faute au fil des générations
et à la destruction de toutes formes de
sociabilité, à la perte de Thèbes, la ville
emblématique prise et« gastée », deve
nue une « terre gaste »,une terre dévas
tée et stérile.
L'inceste dénoue le lien
social le plus élémentaire, le lien frater
nel, et brouille la parenté.
Le discours
tenu ici par le roman est celui de
l'Église qui, à la même époque, traque
l'inceste dans les alliances matrimonia
les et annule le mariage d'Aliénor
d'Aquitaine et de Louis VII pour
consanguinité.
Le parricide d'Œdipe
semble davantage intéresser l'auteur,
notamment parce qu'il souligne l'arti
culation chronologique et logique
(v.
24-25) entre les deux forfaits, parce
qu'il fait du meurtre du père le para
digme de toute violence.
Le rappel de
l'histoire d'Œdipe a pour fonction de
cerner la violence inaugurale qui fonde
les relations de parenté.
Libéré du
poème de Stace, l'.
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