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ROLAND (la Chanson de) (résumé & analyse)

Publié le 01/12/2018

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ROLAND (la Chanson de) [fin du xie siècle). La Chanson de Roland, dans sa version la plus connue, celle du manuscrit d'Oxford, semble remonter à la fin du XIe siècle (1080?). Elle est notre plus ancienne chanson de geste. Le miracle veut qu’elle soit aussi la plus parfaite, un chef-d’œuvre du genre. Ce paradoxe n’a pas laissé de poser des problèmes aux médiévistes : le coup d’essai fut-il un coup de maître? Ou bien le Roland que nous a transmis Oxford est-il le point d’aboutissement d’une longue tradition orale qui nous échappe? [Voir Geste (Chanson de)]. Dès le siècle dernier, chacun s’est efforcé de faire parler le silence des siècles ou de trouver des indices dans l’œuvre elle-même. Ainsi s’est posé le problème du sujet de l’œuvre : une querelle de famille entre Roland et son beau-père Ganelon? Le récit de la bataille de Roncevaux? La lutte de la chrétienté contre l’infidèle? Selon la réponse, bien entendu, tel épisode apparaît comme essentiel (d’où un argument en faveur de l’unité de l’œuvre : il a fallu un poète) ou comme surajouté (d’où un argument en faveur de la thèse de la « sédimentation » : tradition orale de plusieurs siècles).
 
Charlemagne est en Espagne depuis sept ans. Une seule cité demeure imprenable : Saragosse. Son roi, Mar-sile, ourdit un plan pour se débarrasser des Français : après avoir offert la paix, proposé la conversion au christianisme, livré des otages et promis de renouveler chaque année leur soumission, les Sarrasins attendront que Char-

« les ait quitté le pays, puis ils reviendront sur tous leurs engagements.

Con sei lié par ses barons, l'empereur accepte les offres de Marsile.

C'est Ganelon qui, sur la proposition de Roland, portera le message.

La mission comporte des dangers très sérieux, et Ganelon, furieux, décide de se venger de son beau-fils.

Ainsi en viendra-t-il à proposer à Marsile un plan qui permettra de faire disparaître Roland, ce partisan de la guerre à tout prix qui a l'oreille de Charles.

De fait, de retour auprès de l'empereur, Ganelon fait désigner Roland à la tête de l'arrière-garde; les Sarrasins l'attendront, avec toutes leurs forces, à Roncevaux.

Ici commence la plus belle partie de l'œu­ vre, et la plus connue : le refus de Roland de sonner du cor (on n'appelle pas au secours avant d'avoir combattu), les caractères opposés de Roland et d'Olivier, l'écrase­ ment de l'arrière-garde, l'altercation entre les deux com­ pagnons (Roland veut à présent sonner du cor pour que la défaite soit vengée par Charlemagne; Olivier raille son attitude), la mort des douze pairs.

Les troupes impériales arrivent trop tard pour sauver l'arrière-garde, mais elles peuvent détruire complètement l'armée de Marsile : Dieu a même arrêté le soleil afin de prolonger le jour jusqu'à la victoire.

C'est alors que surviennent à point nommé les troupes innombrables de l'émir de Babylone, Bali­ gant, suzerain de Marsile et homologue de Charlemagne.

Après une longue bataille, la chrétienté l'emporte; Sara­ gosse est prise, Baligant et Marsile sont tués, et la reine Bramimonde est emmenée captive.

Dès le retour à Aix­ la-Chapelle s'ouvre le procès de Ganelon.

Pinabel, au nom de la solidarité du lignage, se propose comme cham­ pion du traître.

Les barons sont bien près de prononcer l'acquittement, quand Thierry d'Ardenne réclame le combat judiciaire; il tuera Pinabel, et Ganelon sera condamné à être écartelé.

L'œuvre s'achève, après la conversion de Bramimonde, sur le soupir de Charlema­ gne, à qui l'ange Gabriel vient annoncer de nouvelles luttes contre les païens.

Le dernier vers («Ci fait la geste que Turoldus declin et ») a posé bien des problèmes d'interprétation; on ne sait pas exactement si ce Turold est l'auteur de l'œuvre ou le copiste du manuscrit d'Oxford.

La matière historique est aussi délicate à traiter.

11 y a loin de l'événement de 778 (le massacre de l'arrière­ garde à Roncevaux par des Basques ou des Gascons) au texte de Il 00.

Il a pourtant semblé que des jalons pou­ vaient être trouvés.

Plusieurs annales carolingiennes (de Metz, de Mois­ sac, d'Aniane; Annales royales, etc.) relatent le désastre; mais elles sont postérieures à la mort de Charlemagne.

La Vita Karoli Magni d'Éginhard mentionne la défaite et cite Roland, «préfet de la marche de Bretagne » : mais certains manuscrits de ce texte ignorent notre héros, sans qu'il soit possible de savoir leur valeur (peut-être la mt;ntion de Roland est-elle une addition très postérieure à Eginhard).

Le seul document qui pourrait être probant demeure la Nota Emilianense (milieu du x1• siècle?) : cette notule mentionne une légende de Roncevaux où figure Roland.

Preuve de l'existence de notre chanson à cette époque? On l'a pensé.

Mais les divergences l'cm­ portent sur les convergences : on y voit Guillaume au Courb Nez, alors que la trahison est passée sous silence; point non plus d'épisode de Baligant.

I.

Siciliano a pu conclure : «Si nous devions croire aux dires de ce moine, il nous faudrait penser qu'aux environs de 1070 la Chanson de Roland n'était pas encore née>>.

Le « silence des siècles » est donc peu loquace.

La critique interne de J'œuvre donne-t-elle de meilleurs résultats? On a cherché dans Je texte lui-même des traces de rema­ niement : incohérences, lacunes, manque d'unité.

Mais l'étude du sort de l'épée Durandal ne produit pas les effets attendus (une lecture attentive montre qu'elle n'a nullement été oubliée sur le champ de bataille), et la colère de Ganelon lors de sa désignation pour J'ambas­ sade s'explique très bien sans modifier l'ordre des laisses (pour lequel Oxford diffère des autres manuscrits).

Le problème majeur reste celui de l'épisode de Baligant.

Pourquoi, après la défaite de Marsile, relancer une nou­ velle guerre, que rien ne laisse présager, au lieu de passer immédiatement au châtiment du traître? D'autant que rien, dans les « sources historiques », ne fait allusion à cet épisode.

Et, surtout, les divergences entre les manus­ crits posent problème: ailleurs, l'épisode est éliminé (mais cette forme de l'œuvre semble moins pure: car des traces y subsistent de l'existence de l'épisode - dans des prémonitions, par exemple).

Les arguments pro­ prement littéraires ne permettent pas de mieux trancher la question : selon les uns, l'unité d'action souffre de la présence de Baligant, qui fait oublier le thème central de la trahison de Ganelon, qui est le vrai sujet de l'œuvre; selon les autres, le massacre de 1 'arrière-garde doit être pleinement vengé, et le triomphe des chrétiens être total, car le vrai sujet de l'œuvre est l'affrontement entre deux religions, entre le Bien et le Mal.

Charlemagne doit donc écraser non seulement Marsile, mais surtout son homolo­ gue impérial sarrasin.

On le voit, ces analyses ne font que repousser le problème.

C'est le sens même de J'œu­ vre qu'il faut interroger : or ce sens change, évidemment, selon que J'on inclut ou que l'on exclut l'épisode de Baligant.

Le cercle se referme, et la critique se trouve dans une impasse.

Certains travaux américains, orientés vers la stylométrie (analyse stylistique quantitative et statistique), permettront peut-être d'y voir plus clair.

L'analyse de John R.

Allen, qui étudie la fréquence d'uti­ lisation de mots usuels dont 1 'emploi n'est pas lié au contexte (articles, prépositions, conjonctions, verbe « être » ...

), montre que J'épisode de Baligant se distingue nettement des autres sections de l'œuvre.

Si ce résultat est confirmé par des analyses plus larges, il faudra en déduire que Je texte d'Oxford est le fruit de deux couches successives au moins : une version primitive, centrée sur la querelle de famille et sur la trahison (dans un climat qui fait plutôt songer à celui du début du xe siècle), et une réfection qui introduit le thème majeur du choc des empires et des religions (dans un climat qui évoque celui de la première croisade).

Dernier problème important relatif à la composition : celui de la laisse finale.

En effet, alors que l'action est achevée, et bien achevée, saint Gabriel vient ordonner à Charles de repartir pour de nouveaux combats contre les païens.

Une telle fin annule les effets de l'épisode de Baligant, et la lassitude de l'empereur apparaît comme un trait nouveau dans l'œuvre.

De surcroît, cette conclu­ sion est propre à Oxford : les autres manuscrits s'achè­ vent, pour la plupart, sur une réunion majestueuse de la cour carolingienne et sur le souvenir attristé du massacre de Roncevaux.

L'original que recopie le manuscrit d'Ox­ ford était-il mutilé (P.

Aebischer)? Faut-il voir dans sa laisse ultime une transition vers un poème suivant, comme on en trouve dans un manuscrit cyclique (1.

Sici­ liano)? A moins que Turold n'ait tout simplement voulu manifester l'accablement de Charlemagne et achever l'œuvre sur une note pathétique (R.

Menéndez Pidal).

On le voit, bien des questions demeurent sans réponse ferme.

Cet aspect des études rolandiennes a longtemps fait oublier les aspects spécifiquement littéraires, auxquels la critique ne s'est intéressée que très tard.

J.

Rychner et d'autres à sa suite ont montré combien la Chanson de Roland maîtrisait et transfigurait l'ensemble de la techni­ que épique.

Signe d'ancienneté, la structure strophique de l'œuvre est très forte : « La laisse a été pour l'auteur du Roland l'unité narrative, l'unité dramatique, l'unité lyrique» (J.

Rychner).

C'est autour de la laisse que se. »

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