ROLAND (la Chanson de) (résumé & analyse)
Publié le 01/12/2018
Extrait du document
«
les
ait quitté le pays, puis ils reviendront sur tous leurs
engagements.
Con sei lié par ses barons, l'empereur accepte les offres
de Marsile.
C'est Ganelon qui, sur la proposition de
Roland, portera le message.
La mission comporte des
dangers très sérieux, et Ganelon, furieux, décide de se
venger de son beau-fils.
Ainsi en viendra-t-il à proposer
à Marsile un plan qui permettra de faire disparaître
Roland, ce partisan de la guerre à tout prix qui a l'oreille
de Charles.
De fait, de retour auprès de l'empereur,
Ganelon fait désigner Roland à la tête de l'arrière-garde;
les Sarrasins l'attendront, avec toutes leurs forces, à
Roncevaux.
Ici commence la plus belle partie de l'œu
vre, et la plus connue : le refus de Roland de sonner du
cor (on n'appelle pas au secours avant d'avoir combattu),
les caractères opposés de Roland et d'Olivier, l'écrase
ment de l'arrière-garde, l'altercation entre les deux com
pagnons (Roland veut à présent sonner du cor pour que
la défaite soit vengée par Charlemagne; Olivier raille son
attitude), la mort des douze pairs.
Les troupes impériales
arrivent trop tard pour sauver l'arrière-garde, mais elles
peuvent détruire complètement l'armée de Marsile : Dieu
a même arrêté le soleil afin de prolonger le jour jusqu'à
la victoire.
C'est alors que surviennent à point nommé
les troupes innombrables de l'émir de Babylone, Bali
gant, suzerain de Marsile et homologue de Charlemagne.
Après une longue bataille, la chrétienté l'emporte; Sara
gosse est prise, Baligant et Marsile sont tués, et la reine
Bramimonde est emmenée captive.
Dès le retour à Aix
la-Chapelle s'ouvre le procès de Ganelon.
Pinabel, au
nom de la solidarité du lignage, se propose comme cham
pion du traître.
Les barons sont bien près de prononcer
l'acquittement, quand Thierry d'Ardenne réclame le
combat judiciaire; il tuera Pinabel, et Ganelon sera
condamné à être écartelé.
L'œuvre s'achève, après la
conversion de Bramimonde, sur le soupir de Charlema
gne, à qui l'ange Gabriel vient annoncer de nouvelles
luttes contre les païens.
Le dernier vers («Ci fait la
geste que Turoldus declin et ») a posé bien des problèmes
d'interprétation; on ne sait pas exactement si ce Turold
est l'auteur de l'œuvre ou le copiste du manuscrit
d'Oxford.
La matière historique est aussi délicate à traiter.
11 y a
loin de l'événement de 778 (le massacre de l'arrière
garde à Roncevaux par des Basques ou des Gascons) au
texte de Il 00.
Il a pourtant semblé que des jalons pou
vaient être trouvés.
Plusieurs annales carolingiennes (de Metz, de Mois
sac, d'Aniane; Annales royales, etc.) relatent le désastre;
mais elles sont postérieures à la mort de Charlemagne.
La Vita Karoli Magni d'Éginhard mentionne la défaite
et cite Roland, «préfet de la marche de Bretagne » : mais
certains manuscrits de ce texte ignorent notre héros, sans
qu'il soit possible de savoir leur valeur (peut-être la
mt;ntion de Roland est-elle une addition très postérieure
à Eginhard).
Le seul document qui pourrait être probant
demeure la Nota Emilianense (milieu du x1• siècle?) :
cette notule mentionne une légende de Roncevaux où
figure Roland.
Preuve de l'existence de notre chanson à
cette époque? On l'a pensé.
Mais les divergences l'cm
portent sur les convergences : on y voit Guillaume au
Courb Nez, alors que la trahison est passée sous silence;
point non plus d'épisode de Baligant.
I.
Siciliano a pu
conclure : «Si nous devions croire aux dires de ce
moine, il nous faudrait penser qu'aux environs de 1070
la Chanson de Roland n'était pas encore née>>.
Le
« silence des siècles » est donc peu loquace.
La critique
interne de J'œuvre donne-t-elle de meilleurs résultats?
On a cherché dans Je texte lui-même des traces de rema
niement : incohérences, lacunes, manque d'unité.
Mais
l'étude du sort de l'épée Durandal ne produit pas les
effets attendus (une lecture attentive montre qu'elle n'a nullement
été oubliée sur le champ de bataille), et la
colère de Ganelon lors de sa désignation pour J'ambas
sade s'explique très bien sans modifier l'ordre des laisses
(pour lequel Oxford diffère des autres manuscrits).
Le
problème majeur reste celui de l'épisode de Baligant.
Pourquoi, après la défaite de Marsile, relancer une nou
velle guerre, que rien ne laisse présager, au lieu de passer
immédiatement au châtiment du traître? D'autant que
rien, dans les « sources historiques », ne fait allusion à
cet épisode.
Et, surtout, les divergences entre les manus
crits posent problème: ailleurs, l'épisode est éliminé
(mais cette forme de l'œuvre semble moins pure: car
des traces y subsistent de l'existence de l'épisode -
dans des prémonitions, par exemple).
Les arguments pro
prement littéraires ne permettent pas de mieux trancher
la question : selon les uns, l'unité d'action souffre de la
présence de Baligant, qui fait oublier le thème central de
la trahison de Ganelon, qui est le vrai sujet de l'œuvre;
selon les autres, le massacre de 1 'arrière-garde doit être
pleinement vengé, et le triomphe des chrétiens être total,
car le vrai sujet de l'œuvre est l'affrontement entre deux
religions, entre le Bien et le Mal.
Charlemagne doit donc
écraser non seulement Marsile, mais surtout son homolo
gue impérial sarrasin.
On le voit, ces analyses ne font
que repousser le problème.
C'est le sens même de J'œu
vre qu'il faut interroger : or ce sens change, évidemment,
selon que J'on inclut ou que l'on exclut l'épisode de
Baligant.
Le cercle se referme, et la critique se trouve
dans une impasse.
Certains travaux américains, orientés
vers la stylométrie (analyse stylistique quantitative et
statistique), permettront peut-être d'y voir plus clair.
L'analyse de John R.
Allen, qui étudie la fréquence d'uti
lisation de mots usuels dont 1 'emploi n'est pas lié au
contexte (articles, prépositions, conjonctions, verbe
« être » ...
), montre que J'épisode de Baligant se distingue
nettement des autres sections de l'œuvre.
Si ce résultat
est confirmé par des analyses plus larges, il faudra en
déduire que Je texte d'Oxford est le fruit de deux couches
successives au moins : une version primitive, centrée sur
la querelle de famille et sur la trahison (dans un climat
qui fait plutôt songer à celui du début du xe siècle), et
une réfection qui introduit le thème majeur du choc des
empires et des religions (dans un climat qui évoque celui
de la première croisade).
Dernier problème important relatif à la composition :
celui de la laisse finale.
En effet, alors que l'action est
achevée, et bien achevée, saint Gabriel vient ordonner à
Charles de repartir pour de nouveaux combats contre les
païens.
Une telle fin annule les effets de l'épisode de
Baligant, et la lassitude de l'empereur apparaît comme
un trait nouveau dans l'œuvre.
De surcroît, cette conclu
sion est propre à Oxford : les autres manuscrits s'achè
vent, pour la plupart, sur une réunion majestueuse de la
cour carolingienne et sur le souvenir attristé du massacre
de Roncevaux.
L'original que recopie le manuscrit d'Ox
ford était-il mutilé (P.
Aebischer)? Faut-il voir dans sa
laisse ultime une transition vers un poème suivant,
comme on en trouve dans un manuscrit cyclique (1.
Sici
liano)? A moins que Turold n'ait tout simplement voulu
manifester l'accablement de Charlemagne et achever
l'œuvre sur une note pathétique (R.
Menéndez Pidal).
On le voit, bien des questions demeurent sans réponse
ferme.
Cet aspect des études rolandiennes a longtemps fait
oublier les aspects spécifiquement littéraires, auxquels
la critique ne s'est intéressée que très tard.
J.
Rychner et
d'autres à sa suite ont montré combien la Chanson de
Roland maîtrisait et transfigurait l'ensemble de la techni
que épique.
Signe d'ancienneté, la structure strophique
de l'œuvre est très forte : « La laisse a été pour l'auteur
du Roland l'unité narrative, l'unité dramatique, l'unité
lyrique» (J.
Rychner).
C'est autour de la laisse que se.
»
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