RIVAGE DES SYRTES (le) de Julien Gracq
Publié le 18/11/2018
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RIVAGE DES SYRTES (le)
Julien Gracq. Roman, 1951.
Le narrateur Aldo rejoint le rivage des Syrtes où il doit remplir les fonctions d’Observateur. Au-delà du Rivage, le Farghestan inconnu et fabuleux, avec lequel Orsenna entretient un état de guerre assoupi depuis longtemps, constitue aux yeux d’Aldo un objet inaccessible. Dans cet univers d’attente dont le désert est le symbole, le Farghestan est en effet promesse de Révélation, plénitude du Sens et il cristallise tous les désirs d’Aldo. Répondant à cet appel irrésistible, Aldo navigue vers la frontière interdite et de cet acte transgressif résultera la destruction finale d’Orsenna. Ce que Gracq a voulu capter et mettre en scène, c’est ce moment fascinant où l’Histoire, sortant de sa torpeur, se met en mouvement.
♦ Le Rivage reçut en 1951 le prix Concourt. Mais Gracq (né en 1910), qui avait dénoncé dans la Littérature à l’estomac les compromissions commerciales de la vie littéraire de son temps, le refusa. Il s'agit probablement de l’œuvre la plus connue de l’écrivain.
♦ Construit autour du thème de l’attente, exalté ailleurs par Breton, le roman témoigne de son affinité profonde avec le surréalisme et la définition que Gracq donne de l’œuvre comme «rêve éveillé» est fidèle aux options du second Manifeste du surréalisme*.
«
Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes.
La Seigneurie d'Orsenna et le Farghestan qui lui fait face «par-delà la mer des Syrtes » sont en guerre depuis troiscents ans, mais les hostilités ont depuis longtemps cessé.
Or voici qu'un certain nombre d'incidents menacent deranimer le conflit.
Aldo, un jeune officier d'Orsenna, et son amie Vanessa se rendent à l'île de Vezzano, dernierterritoire d'Orsenna avant le Farghestan.Lorsque les falaises très blanches sortirent du miroitement des lointains de mer, Vezzano parut soudain curieusementproche.
C'était une sorte d'iceberg rocheux, rongé de toutes parts et coupé en grands pans effondrés avivés par lesvagues.
Le rocher jaillissait à pic de la mer, presque irréel dans l'étincellement de sa cuirasse blanche, léger surl'horizon comme un voilier sous ses tours de toile, n'eût été la mince lisière gazonnée qui couvrait la plate-forme, etcoulait çà et là dans l'étroite coupure zigzagante des ravins.
La réflexion neigeuse de ses falaises blanches tantôtl'argentait, tantôt le dissolvait dans la gaze légère du brouillard de beau temps, et nous voguâmes longtemps encoreavant de ne plus voir se lever, sur la mer calme, qu'une sorte de donjon ébréché et ébouleux, d'un gris sale, quiportait ses corniches sourcilleuses au-dessus des vagues à une énorme hauteur.
Des nuées compactes d'oiseaux demer, jaillissant en flèche, puis se rabattant en volutes molles sur la roche, lui faisaient comme la respirationempanachés d'un geyser ; leurs cris pareils à ceux d'une gorge coupée, aiguisant le vent comme un rasoir et serépercutent longuement dans l'écho dur des falaises, rendaient l'île à une solitude malveillante et hargneuse, lamuraient plus encore que ses falaises sans accès.
Sous la forme d'un devoir composé, en évitant de séparer la forme et le fond, vous commenterez ce texte de JulienGracq.Vous pourrez par exemple étudier comment sont disposés et utilisés les di fférents éléments de la description, parquels procédés l'auteur chercher à créer une atmosphère de menace et de danger, et comme il laisse présagerl'évolution de son récit vers le drame.
Introduction
L'univers romanesque de Gracq est organisé autour de l'attente : attente d'une femme (La Presqu'île); d'un ami quine revient pas (Le Roi Cophétua); de la guerre (Un balcon en forêt); ou, dans Le rivage des Syrthes, de la sortied'une situation d'habitude et d'engluement (les trois cents ans de guerre sans guerre avec le Farghestan), mais quisignifie en même temps la reprise des hostilités, la destruction d'Orsenna, la mort.
Cette attente est vécue par Aldo,le héros-narrateur, sous la forme d'une fascination à l'égard de la côte d'en face, au-delà d'une mer évacuée d'unaccord tacite par les deux partis.
Aldo va ainsi se faire le catalyseur de la catastrophe (la rupture de l'attente) enmenant le navire qu'il commande faire « une croisière» — provocation devant la côte farghienne.
Dans ce rôle, il estfortement poussé par sa maîtresse, Vanessa, qui subit la même fascination que lui.
C'est justement Vanessa quiconduit son amânt jusqu'à l'île de Vezzano, le territoire d'Orsenna le plus proche de la côte farghienne, et d'où estvisible un volcan qui surplombe cette côte, le Tàngri.
La vision du Tàngri termine d'ailleurs la journée dans l'île deVezzano.
C'est dans cette perspective qu'il faut lire cet extrait.A travers l'apparition presque fantômatique de l'île, dont les contours sont rendus quasi immatériels — encorequ'écrasants — par les yeux de blancheur et de lumière, J.
Gracq fait progresser sourdement une menace qui estporteuse de la guerre.
S'étant fait envoyer, pour tromper l'ennui d'une vie oisive dans l'engourdissement prospèred'Orsenna, sur le « front des Syrtes », Aldo y voit céder les uns après les autres, les maillons du code d'oubli quimaintient l'équilibre et le sommeil des deux pays.
Cette visite en est une étape décisive.
I.
Le volume de l'île.
1.
Apparition et présence.Il est remarquable de constater que l'île prend consistance aux yeux du narrateur d'une façon très brutale : sonimage passe brusquement du poudroiement des lointains à une illusion de proximité (Vezzano parut soudaincurieusement proche).
Elle s'impose donc à lui avec une redoutable, une irrésistible évidence.
D'autant plus qu'onapprendra quelques lignes plus loin qu'elle est encore à bonne distance : « nous voguâmes longtemps encore »,avant de ne plus avoir dans le champ visuel que l'île, donc d'être réellement à proximité.
Cette évidence suggère lecaractère capital de cette apparition (et, de ce fait, elle l'est sur le plan symbolique), en même temps qu'elle la doted'un aspect inquiétant, maléfique : d'ailleurs l'île bouchera complètement le regard (« ...ne plus voir se lever, sur lamer calme, qu'une sorte de donjon ébréché et ébouleux »).On notera que lorsque plus tard le héros arrivera en face du Farghestan, le volcan du Tàngri lui apparaîtra de lamême façon : « Tout à coup, la nuit parut s'entr'ouvrir sur une lueur ; devant l'étrave, les nuages s'écartèrent àtoute vitesse comme un rideau de théâtre.— Le volcan ! le volcan ! hurlèrent d'une seule voix trente gorges étranglées, dans le cri qui s'élève d'une collisionou d'une embuscade.
».
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