RABELAIS: L'éducation de Gargantua. — L'abbaye de Thélème (Gargantua : chapitres XIV, XV, XXI, XXII, XXIII, XXIV, LII, LIII, LIV, LV, LNI, LVII).

on n’avait donc pas de livres, et il fallait bien former la mémoire. Pour parler latin tout le jour et partout, il fallait se résigner à un latin pratique et sans art. De futurs prêtres devaient étudier des commentaires de la Bible et de saint Augustin. Restent les reproches de paresse et de sophistique. Mais c’est Rabelais seul qui accuse les sophistes et leurs élèves d'être paresseux. En réalité, on travaillait dans les collèges dix et parfois douze ou quinze heures par jour, au lieu de se lever tard, boire horrifiques traits de vin, ou jouer à quelque deux cents jeux, comme Gargantua. D’ailleurs ,si Rabelais s’est moqué avec raison des commentaires scolastiques, il ne semble pas avoir toujours détesté les « disputations » des écoles. Ponocra-tes, à Paris, mène Gargantua voir a les leçons publiques, les actes solennels, les répétitions... » et il saura (Pantagruel, ch. X) poser neuf mille conclusions et \"tenir\" contre les théologiens et orateurs sophistes.

La véritable originalité de Rabelais. — Rabelais a pourtant autre chose que de l’imagination et de la verve. Il a des idées. Il donne à Gargantua une éducation physique fort complète et digne d’un géant : équitation, voltige, maniement des armes, natation, course, escalade, etc... Érasme en avait dit peu de chose, et les autres rien du tout. Mais ils écrivaient pour des clercs ou des régents, non pour des gentilshommes. Gargantua est gentilhomme, il fera la guerre. Les jeunes gentishommes s’exerçaient comme lui à l'équitation, à l’escrime ; ils avaient leurs jeux. Surtout Gargantua a une vie physique réglée, une hygiène. Rabelais se souvient qu’il est médecin. Enfin, et c’est l’originalité profonde de Rabelais, le précepteur Ponocrates ne fait pas seulement appel à la mémoire. S’il n’essaie pas encore, comme Montaigne, de former surtout le jugement critique, il a recours constamment à l’observation. Son éducation est réaliste ; il étudie la botanique chez Théophraste,