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PROPOS, Alain (résumé & analyse)

Publié le 30/09/2018

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alain

Recueil de courts fragments (1 à 2 pages) sur tous les sujets propres à susciter la réflexion du philosophe.

Les Propos constituent, par leur style, un événement unique dans la production philosophique universelle. Écrits quotidiennement pour la Dépêche de Rouen, puis pour d’autres journaux, publiés plus tard en de nombreux volumes (chronologiques ou thématiques), ils constituent à eux seuls un genre original, tributaire des servitudes du journalisme, mais toujours à la hauteur des exigences de la philosophie: «relever l’entrefilet au niveau de la métaphysique», disait Alain. Il y a près de cinq mille Propos. Les Propos d’Alain sont, au sens le plus fort du mot, actuels. L’actualité y est présente dans la mesure où Alain ne cesse de la commenter : l’événement, la politique, l’histoire, le débat public y passent tout entiers. Mais le présent s’y manifeste aussi d’une autre manière; le retour périodique des phénomènes naturels, des travaux humains, des fêtes (Pâques, Toussaint, Noël...), des rites sociaux (la rentrée scolaire, les commémorations): tout cela est salué ici et jugé selon les exigences d’une pensée vivante, actuelle en ce sens qu’elle se produit en acte, chaque jour, pour le lecteur. Actuelle aussi en ce que la pensée d’Alain ne se contente jamais d’accompagner le présent tel qu’il se

donne, et d’enfermer le commentaire dans la fugace nouveauté de l’événement. Les Propos ne sont pas une «écume des jours». Au contraire, ils sont traversés par un effort constant pour hisser le fait banal, la quotidienneté au rang d’objets d’une pensée universelle et intemporelle. Tout ce qui est d’ordinaire petit y devient immédiatement grand parce qu’élevé à la hauteur des expériences les plus fondamentales de l’humanité; la référence constante aux grands auteurs et aux grandes œuvres («les Humanités») porte cette exigence: penser le présent, l’œuvre quotidienne des choses et des hommes, pour en dégager l’essentiel.

 

Alain parle donc, ici, de tout. Rien, a priori, ne mérite l’attention du philosophe. Alain se veut l’héritier de Hegel, pour qui la lecture du journal est la «prière du matin» de l’homme moderne. Les dieux sont aussi dans la cuisine ; le fait divers lui-même est Dieu. Le soleil, la pluie, la marée, le vol d’un oiseau, une illusion d’optique, un souvenir littéraire (Balzac, Hugo, Dickens), le geste de l’artisan ou du prestidigitateur, le cri du camelot, la voile qui claque et penche sous le vent, l’incendie, l’accident de voiture

 

offrent l’occasion de méditations renouvelables à l’infini. L’auteur puise par ailleurs abondamment dans son expérience de la guerre de 1914.

 

Alain parle de tout. Mais il vaudrait mieux dire qu’Alain juge de tout, se refusant systématiquement à adorer, nous interdisant d’adorer. Rien de sacré, rien de respectable, hors ce par quoi le respect se donne : l’exercice libre de la pensée souveraine. Alain se laisse même parfois aller à quelque juste colère.

 

Une philosophie vit et accomplit son œuvre dans les Propos. Elle ne diffère en rien, bien sûr, de celle qu’on trouve dans les autres écrits d’Alain. Alain est un philosophe original, mais ne propose aucune doctrine nouvelle, inédite. Alain, ici encore hégélien, accepte toute la philosophie, et la fait vivre, depuis Platon, avec la conviction que toute la philosophie est vraie: Platon y côtoie Aristote, Épicure fait bon ménage avec Épictète, Descartes avec Spinoza. Nul éclectisme pourtant, qui édulcorerait les doctrines ; chacune est là, dans toute sa force. Et rares sont les rejets (Berkeley, Freud).

L’auteur, pourtant, ne fait pas mystère de ses préférences : philosophie du jugement (Descartes plutôt que Spinoza), de la volonté souveraine contre les passions (Epictète plutôt qu’Epicure), de l’idée (Comte plutôt que Marx).

Le rappel constant et exigeant au réel n’est pas seulement le procédé d’une pensée soucieuse de tirer parti de tout. C’est d’abord, comme on l’a dit, l’idée (à la fois spinoziste et hégélienne) que tout le réel est vrai, jusque dans ses illusions et tromperies. La réflexion alinienne sur les religions est ici exemplaire (voir les Dieux*). C’est encore, pour Alain, une protection et une garantie, contre la tendance naturelle de la pensée à s’installer confortablement dans son univers de pensées ; Alain aurait aimé ces mots de Prévert: «Le monde mental ment. Monu-mentalement».

 

La lecture des Propos n’est pas toujours facile; certains sont de belles énigmes. Le style d’Alain peut dérouter. Plaignons ceux que cette dernière «raison» suffit à détourner de la lecture de ces textes.

 

Éditions: choix de Propos, 2 vol., Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1990. De nombreux recueils thématiques sont également disponibles, notamment Propos sur le bonheur, coll. «Folio-Essais», Gallimard, 1985; Propos sur les pouvoirs, coll. «Folio-Essais», Gallimard, 1985 et Propos sur l’éducation, coll. «Quadrige», P.U.F., 1986.

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