PRINCE (LE), Il Principe, 1532. Nicolas Machiavel
Publié le 30/09/2018
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Le Prince, comme tant de chefs-d’œuvre destinés à l’immortalité, connut une création fulgurante. Quelques semaines suffirent en effet à Machiavel pour adresser à Laurent de Médicis, petit-fils du «Magnifique » et « Magnifique » lui-même, cet opuscule sur l’art de gouverner.
L’ouvrage compte vingt-six chapitres, dont la structure apparaît assez nettement, bien que la composition ne soit pas celle d’un « traité » en bonne et due forme. Après avoir classé les États selon leur type (chap. i), Machiavel examine la manière dont on peut les conquérir et les conserver (chap. n à xi). Les chapitres xn à xiv sont consacrés à des questions militaires (Machiavel s’y déclare opposé au mercenariat et prône une conscription nationale). C’est dans les chapitres xv à xxiii qu’on trouvera l’essentiel de ce que la postérité a retenu sous le nom de
« machiavélisme » : les conseils au politique pour la conservation du pouvoir. Les trois derniers chapitres (xxiii à xxvi) contiennent un appel à la libération et à l’unification de l’Italie.
Le Prince est un traité du pouvoir politique. Mais contrairement aux très nombreux ouvrages qui traitaient de ce sujet à la même époque (Érasme, Budé), il ne vise nullement à l’édification du futur souverain. La politique n’y est pas présentée comme l’application de normes morales, de valeurs transcendantes, et l’homme politique n’y est pas considéré comme le délégué terrestre de la puissance divine. Très éclairants, par exemple, sont les conseils sur l’attitude que le Prince doit avoir vis-à-vis de la religion : il n’est pas question pour lui d’y soumettre la politique; au contraire, il doit s’efforcer de manipuler à son profit les croyances du peuple, sans se préoccuper de leur «vérité» intrinsèque.
Le Prince n’a donc pas à instaurer (ou à restaurer) un ordre idéal conforme à des
valeurs absolues. La politique s’exerce toujours à partir d’une réalité concrète singulière, sur laquelle elle agit pour la transformer. Contre toute utopie (c’est ici Platon qui est visé), Machiavel restaure dans ses droits «la vérité effective de la chose». Et la vérité est que la politique est avant tout conflit. S’il y a — en un sens — un ordre à instaurer, c’est toujours contre un désordre premier, le désordre qui résulte de l’affrontement de forces antagonistes. Dans ces conflits, le politique (qu’il soit au pouvoir ou en lutte pour y accéder) occupe une certaine situation, à l’intérieur de laquelle il dispose d’une certaine marge pour agir. Mais agir, c’est produire des effets qui détermineront l’adversaire à ré-agir, selon des modalités jamais totalement prévisibles. Il appartient au politique de gérer cette part d’aléatoire que Machiavel nomme « fortune ». Seule en est capable la virtù du politique, dont César Borgia reste l’incarnation difficilement dépassable.
Cela ne signifie point que, pour Machiavel, tous les combats se vaillent, ni que l’efficacité seule confère une valeur à la pratique politique. Il y a de bons et de mauvais combats, et l’auteur s’efforce justement de désigner et de renforcer le bon camp. Mais simplement, celui qui, en politique, ferait fi
de l’efficacité, celui qui voudrait garder les mains propres et une âme pure, celui-là ne saurait pas ce qu’il veut. La volonté à tout prix de rester moral (ne pas mentir, ne pas reprendre sa parole, s’interdire l’usage de la violence) peut même conduire — et conduit en effet presque toujours — à des résultats historiques catastrophiques du point de vue même de la morale : encore plus de violence, encore plus de sang.
Bref, Machiavel n’est pas quelqu’un pour qui il n’y aurait aucune différence entre le bien et le mal; et l’on chercherait en vain, dans le Prince, une quelconque apologie de la force. Mais la guerre est la vérité de la politique. Si la liberté et le droit doivent être, il faut les faire, de haute lutte.
On a discuté à l’infini sur la signification que Machiavel donnait lui-même à ce petit livre : est-ce un manuel à l’usage des tyrans? ou bien nous trouvons-nous devant un penseur qui «vend la mèche» en dévoilant aux peuples les secrets de leurs oppresseurs (c’était l’avis de Diderot et de Rousseau) ?
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