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PRÉVOST (ABBÉ): Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut

Publié le 20/11/2010

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histoire

«Le lecteur verra dans la conduite de M. Des Grieux un exemple terrible de la force des passions. J'ai à peindre un jeune aveugle qui refuse d'être heureux, pour se précipiter volontairement dans les dernières infortunes. [...] Outre le plaisir d'une lecture agréable, on y trouvera peu d'événements qui ne puissent servir à l'instruction des moeurs.«

(Avis de l'auteur)

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« (Première partie) Au lieu de quoi, Des Grieux va entamer une longue descente aux enfers.

Le calvaire sera double, car s'il perd pourManon son honneur et son honnêteté, il conserve sa lucidité.

L'aveuglement de la passion lui laisse par moments laconscience du mal.

11 se sent emporté par une force néfaste contre laquelle il ne peut résister : «Quel passage, en effet, de la situation tranquille où j'avais été, aux mouvements tumultueux que je sentaisrenaître ! J'en étais épouvanté.

Je frémissais, comme il arrive lorsqu'on se trouve la nuit dans une campagneécartée : on se croit transporté dans un nouvel ordre de choses ; on y est saisi d'une horreur secrète, dont onne se remet qu'après avoir considéré longtemps tous les environs.» 2.

UNE PRÉFIGURATION DU HÉROS ROMANTIQUE Rares furent au XVIIIe siècle, à part Rousseau dans La Nouvelle Héloïse, les romanciers qui exposèrent avec tant de force l'envoûtement délétère de l'amour.

Des Grieux est tout entier défini par cet amour qui l'habite et qui le mène àsa perte.

Il préfigure les héros du >axe siècle romantique, qui incarnent le triomphe de la passion sur la raison.Comme eux, il représente un être en rupture avec la société, qui choisit, contre elle, de suivre les élans de soncoeur et qui renie ce faisant la famille, la religion, la morale, ses plus solides institutions. Reste à saisir le statut que Prévost accorde à cette passion.

Rousseau, dans La Nouvelle Héloïse (1761), en fera une valeur positive, l'assimilant à la vertu.

C'est bien sûr loin d'être le cas dans Manon Lescaut, puisqu'elle conduit les héros à leur perte.

Il n'empêche que le propos de Prévost n'est pas de se livrer à une condamnation de lapassion.

A l'instar des moralistes de son siècle, il s'érige en analyste et en psychologue plus qu'en juge. «Le lecteur verra dans la conduite de M.

Des Grieux un exemple terrible de la force des passions.

J'ai à peindreun jeune aveugle qui refuse d'être heureux, pour se précipiter volontairement dans les dernières infortunes.[...] Outre le plaisir d'une lecture agréable, on y trouvera peu d'événements qui ne puissent servir àl'instruction des moeurs.» (Avis de l'auteur) Malgré leurs crimes, Des Grieux et Manon restent des personnages sympathiques.

Si le roman fut condamné à sa,sortie, c'est bien que la censure y discernait un danger pour la société : les héros, dans leurs errements, n'étaientpas suffisamment diabolisés par Prévost pour que la morale et les moeurs soient sauves. C'est qu'en réalité les deux jeunes gens apparaissent victimes de leur époque.

Derrière le romancier de l'âme setrouve chez Prévost un écrivain des moeurs.

L'histoire de Manon Lescaut a pour toile de fond le Paris de la Régence, où l'argent et les plaisirs sont rois.

Dans ce monde sans morale, le seul vrai crime des deux héros est d'êtreinfluençables : Manon par le luxe, Des Grieux par Manon. Symboliquement, c'est ailleurs, dans le Nouveau monde, qu'aura lieu la rédemption.

À la fin du récit, Manon, avantde mourir, retrouve la pureté originelle de l'amour et se trouve lavée de ses vices.

Au coeur d'une nature dépouillée— le désert — pas encore colonisée par l'homme, les deux héros voient leurs sentiments grandis et ennoblis.

Cettefin édifiante éclaire le roman d'une lumière particulière.

Elle légitime a posteriori la passion vécue par Des Grieux etManon.

Elle offre dans le même temps une vision très pessimiste du monde, puisque la vertu de l'amour ne triomphequ'aux portes de la mort. 3.

UN PESSIMISME HÉRITÉ DU SIÈCLE CLASSIQUE Si Prévost annonce par certains aspects de son oeuvre la sensibilité romantique, sous d'autres il apparaîtéminemment classique.

Dans la forme de son roman, d'abord, qui, contrairement à ses autres oeuvres, oùs'enchevêtrent les intrigues, est proche de l'épure.

La narration est presque exclusivement centrée sur l'évolution dela passion destructrice.

Seuls les détails nécessaires à l'évolution psychologique des personnages sont rapportés parDes Grieux.

Le style, dépouillé, est loin du lyrisme romantique. On a vu d'autre part que Manon Lescaut n'avait rien d'une apologie de la passion, et Prévost se révèle plus proche de l'analyse rigoureuse d'une Mme de Lafayette que de l'exaltation d'un Rousseau.

La justesse de son analyse de lapassion l'a fait comparer, toutes différences gardées, à Racine.

Il partage en effet avec le grand dramaturge unemême vision de l'amour fatal.

Mettant en scène un héros anéanti malgré lui par la force de sa passion, Manon Lescaut représente une sorte de transposition, dans le contexte des moeurs du XVIIIe siècle, de la tragédie racinienne. L'amour y est représenté comme une force à la fois vitale et destructrice: vitale parce qu'elle devient le moteur detoutes les actions humaines, ce qui pousse l'homme à sortir de lui-même : Des Grieux, promis à un banal avenir dejeune noble intelligent, n'aurait jamais, sans son amour pour Manon, connu ce destin d'aventurier ; mais c'est aussiune force destructrice car, en vivant jusqu'au bout sa passion, l'homme risque de se perdre au regard de la morale,donc au regard de Dieu. Manon Lescaut est le roman d'un écrivain déchiré entre ses aspirations religieuses et ses passions terrestres.

Il s'articule tout entier autour de l'antagonisme entre le salut divin et le bonheur terrestre.

La position que défend. »

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