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Pour une sociologie du roman de Lucien Goldmann

Publié le 14/03/2019

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Pour une sociologie du roman, essai de Lucien Goldmann (1964). Cette sociologie doit s'entendre comme une sociologie de la forme romanesque, considérée principalement dans ses exemples contemporains, de Malraux au Nouveau Roman. Réification et société de masse marquent à la fois la création et la réception de l'œuvre, et effacent deux constituants du genre : la psychologie du héros problématique et l'histoire de sa recherche « démonique ».

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« Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)Lucien Goldmann : Pour une sociologie du roman Le roman est l'histoire d'une recherche dégradée [...], recherche de valeurs authentiques dans un monde dégradé luiaussi, mais à un niveau autrement avancé et sur un mode différent. Par valeurs authentiques, il faut comprendre, bien entendu, non pas les valeurs que le critique ou le lecteur estimentauthentiques, mais celles qui, sans être manifestement présentes dans le roman, organisent sur le mode implicitel'ensemble de son univers.

Il va de soi que ces valeurs sont spécifiques à chaque roman et différentes d'un roman àl'autre. Le roman étant un genre épique caractérisé, contrairement à l'épopée ou au conte, par la rupture insurmontable entre lehéros et le monde, il y a chez Lukacs 1 une analyse de la nature des deux dégradations (celle du héros et celle du monde)qui doivent engendrer à la fois une opposition constitutive, fondement de cette rupture insurmontable, et unecommunauté suffisante pour permettre l'existence d'une forme épique. La rupture radicale seule aurait en effet abouti à la tragédie ou à la poésie lyrique, l'absence de rupture ou l'existenced'une rupture seulement accidentelle aurait conduit à l'épopée ou au conte. Situé entre les deux, le roman a une nature dialectique dans la mesure où il tient précisément, d'une part de lacommunauté fondamentale du héros et du monde que suppose toute forme épique, et, d'autre part, de leur ruptureinsurmontable; la communauté du héros et du monde résultant du fait qu'ils sont l'un et l'autre dégradés par rapport auxvaleurs authentiques, l'opposition résultant de la différence de nature entre chacune de ces deux dégradations. Le héros démoniaque du roman est un fou ou un criminel, en tout cas, comme nous l'avons dit, un personnageproblématique dont la recherche dégradée et par là même inauthentique de valeurs authentiques dans un monde deconformisme et de convention constitue le contenu de ce nouveau genre littéraire que les écrivains ont créé dans lasociété individualiste et qu'on a appelé « roman ».

[...] La forme romanesque nous paraît être [...] la transposition sur le plan littéraire de la vie quotidienne dans la sociétéindividualiste née de la production pour le marché.

Il existe une homologie rigoureuse entre la forme littéraire du roman[...] et la relation quotidienne des hommes avec les biens en général, et par extension, des hommes avec les autreshommes, dans une société productrice pour le marché. La relation naturelle, saine, des hommes et des biens est en effet celle où la production est consciemment régie par laconsommation à venir, par les qualités concrètes des objets, par leur valeur d'usage. Or ce qui caractérise la production pour le marché, c'est au contraire l'élimination de cette relation de la conscience deshommes, sa réduction à l'implicite grâce à la médiation de la nouvelle réalité économique créée par cette forme deproduction : la valeur d'échange. Dans les autres formes de société, lorsqu'un homme avait besoin d'un vêtement ou d'une maison, il devait les produire lui-même ou les demander à un individu capable de les produire [...]. Aujourd'hui, pour obtenir un vêtement ou une maison, il importe de trouver l'argent nécessaire à leur achat.

Le producteurd'habits ou de maison est indifférent aux valeurs d'usage des objets qu'il produit.

A ses yeux, celles-ci ne sont qu'un malnécessaire pour obtenir ce qui seul l'intéresse, une valeur d'échange suffisante à assurer la rentabilité de son entreprise.Dans la vie économique [...] toute relation authentique avec l'aspect qualitatif des objets et des êtres tend à disparaître,aussi bien des relations entre les hommes et les choses que des relations interhumaines, pour être remplacée par unerelation médiatisée et dégradée : la relation avec les valeurs d'échange purement quantitatives. Naturellement, les valeurs d'usage continuent à exister et régissent même, en dernière instance, l'ensemble de la vieéconomique; mais leur action prend un caractère implicite exactement comme celle des valeurs authentiques dans lemonde romanesque. Sur le plan conscient et manifeste, la vie économique se compose de gens exclusivement orientés vers les valeursd'échange, valeurs dégradées, auxquels s'ajoutent dans la production quelques individus — les créateurs dans tous lesdomaines, qui restent exclusivement orientés vers les valeurs d'usage et qui par là même se situent en marge de lasociété et deviennent des individus problématiques [...] Dès lors, la création du roman en tant que genre littéraire n'a rien de surprenant.

La forme extrêmement complexe qu'ilreprésente en apparence est celle dans laquelle vivent les hommes tous les jours, lorsqu'ils sont obligés de recherchertoute qualité, toute valeur d'usage sur un mode dégradé par la médiation de la quantité, de la valeur d'échange, et celadans une société où tout effort pour s'orienter directement vers la valeur d'usage ne saurait engendrer que des individuseux aussi dégradés, mais sur un mode différent, celui de l'individu problématique2. Pour une sociologie du roman (1964), Gallimard, Bibliothèque des Idées, p.

16-17; 24-26.. »

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