Pouchkine : La Dame de pique
Publié le 06/04/2013
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Pouchkine écrit La Dame de pique en 1833 dans son domaine de Borlino. Publié en 1834 dans la revue Le Cabinet de lecture, ce récit fut traduit en 1849 par Prosper Mérimée à l'intention des lecteurs de la Revue des Deux-Mondes et, en 1926, par André Gide. « Ma Dame de pique est en grande vogue, écrit Pouchkine dans son journal. Les joueurs misent sur le trois, le sept et l'as. A la cour on a trouvé une ressemblance entre ma vieille comtesse et la princesse G. et, à ce qu'il semble, on ne se fâche pas. «
«
En cartomancie,
la dame de pique
signifie
« secrète
malveillance».
« Lizavéta Ivanovna
( ••.
) abandonna son
travail et regarda par la
fenêtre.
Bientôt, un
jeune mficier
parut de
l'autre côté de la rue.
(._) Une rougeur
couvrit ses joues
...
,.
~-- ----- EXTRAITS
La condition
d'une jeune fille pauvre
La comtesse ***, bien entendu, n'était pas
méchante, mais elle avait tous les caprices
d'une femme gâtée
par le monde, avare, ins
tallée dans un
froid égoïsme, comme
d'ailleurs toutes les vieilles gens qui ont
passé /'âge d'aimer et sont hostiles au pré-
sent.
Elle
prenait
part à toutes les
vaines distractions
du grand monde.
Jamais elle ne man
quait au bal ;
et là,
fardée, vêtue
à/' an
cienne mode, elle se
tenait assise dans un
coin,
ornement hi
deux et indispen
sable de la salle de
bal.
(
...
) Ses nom
breux domestiques,
engraissés
et blan
chis dans son anti
chambre, et dans la
lingerie, ne faisaient que ce qu'ils voulaient,
pillant à l'envi la vieille moribonde.
Lizavéta Ivanovna était le souffre-douleur
de la maison.
Elle servait le thé, et on lui
reprochait le sucre gaspillé.
Elle lisait des
romans à haute voix, et elle était respon
sable de tous les défauts de l'auteur.
Elle
.
accompagnait la comtesse dans ses pr.o
menades,
etc' était à elle qu'on s'en prenait
du mauvais
pavé et du mauvais temps.
Il lui
était attribué des appointements qui
n'étaient jamais intégralement payés,"et,
cependant, /'on exigeait d'elle qu'elle fût
habillée comme tout le monde, c'est-à-dire
comme fort peu de gens.
Dans la société son
rôle était le plus pitoyable.
Un froid calculateur
Hermann était le fils d'un Allemand russi
fié, qui lui avait laissé un petit capital.
Fermement convaincu de la nécessité
d'assurer son indépendance, Hermann ne
touçhait
même pas à ses revenus, vivait
uniquement de sa solde, ne se passait
pas la
moindre
fantaisie.D'ailleurs, il était peu 1 communicatif, ambitieux, et ses camarades
avaient rarement /'occasion de railler son
goût excessif
del' économie.
Il avait des pas
sions violentes et une ardente imagination,
mais sa fermeté l'avait préservé des égare
ments ordinaires de la
jeunesse.
Ainsi,
joueur
dans/' âme.jamais il ne touchait une
carte, parce
qu'il estimait que son état de
fortune ne lui permettait
pas de risquer le
nécessaire dans /'espérance d'acquérir le
superflu ; et cependant
il passait des nuits
entières devant des tables de jeu et suivait
avec une anxiété
fébrile les différentes
phases du jeu.
Le cynique Hermann
arrache son masque
Lizavéta Ivanovna /'écouta
avec épouvante.
Ainsi, ces
lettres passionnées, ces de
mandes ardentes, cette pour
suite hardie, obstinée, rien
de cela
n'était inspiré par
/'amour ! L'argent seul,
voilà de quoi son âme avait
soif! Ce n'était pas elle qui
pouvait assouvir ses désirs
et le rendre heureux ?
La pauvre pupille n'avait
pas été autre chose que la
complice aveugle
d'un bri
gand, du
meurtrier de sa
vieille bienfaitrice ! Son tar
dif et torturant repentir la fit amèrement
pleurer.
Hermann la regardait en silence.
( ...
)
-Vous êtes un monstre ! dit enfiri Lizavéta
Ivanovna.
Traduction de Jean Savant
« Le trois, le sept et l'as le poursuivaient de ses
rêves.
( ••• ) Toutes ses
pensées se confondirent
pour n'en plus former
qu'une: utiliser le secret qui lui avait
coûté si cher.
,.
NOTES DE L'ÉDITEUR
« La Dame de pique est sans doute
l'œuvre de Pouchkine que le public français
connaît le mieux.
Mérimée
en a donné une
traduction qui reste, malgré quelques
erreurs de détail, un exemple inimitable.
Son style rapide, incisif, nerveux comme
un coup de cravache sur une botte élégante,
rend
à merveille la prose vive de
l'original.» Jean-Louis Backès,
« Le secret de La Dame de pique nous
intrigue d'autant plus que l'auteur, semble
t-il, cherche moins à nous intriguer.
On
dirait
que le mystère se développe non pas
grâce au talent de l'auteur, mais malgré le
talent de l'auteur.
On dirait que c'est à son
insu, à notre insu, que nous nous laissons
envoûter par lui.
On dirait que la partie
est perdue par !'écrivain , mais gagnée,
inexplicablement, par son livre.
Or, le
mérite suprême de Pouchkine est bien
d'avoir renoncé à briller au détriment de son
œuvre.
Encore une fois, en ne livrant au
lecteur que l'essentiel de
sa pensée, il a fait
preuve
d'une magnifique maîtrise.
Sa prose,
si nue, si aisée, demeure un modèle du
genre.
Les phrases courtes, dépouillées
d'épithètes, sont ramassées autour
d'un
verbe vigoureux.
Le récit se hâte de verbe
en verbe, sec, précis, haletant.
Pas le
moindre embonpoint oratoire.
Rien que des
nerfs et du muscle.
» Henri Troyat,
Pouchkine, Albin Michel, 1946.
Pouchkine par lui-même, Le Seuil.
1 Sipa-lcono 2.
3, 4 gravures d'Alexeïeff, éd.
Poutermann , Paris.
1928 /clichés B.N.
POUCHKINE 02.
»
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