Pierre Drieu la Rochelle: Gilles (fiche de lecture)
Publié le 31/08/2012
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Or j'estime qu'en lisant Gilles, on ne peut rester indifférent à la force des images , à la violence des expressions qui répondent à l'extrémisme des idées, tout comme il est difficile de ne pas être heurté par le racisme, la machisme, le fascisme qu'elles expriment. Cependant là est bien l'intérêt de cette oeuvre : si il y a une chose que Drieu réussit à la perfection dans son roman, c'est à rendre visible le mécanisme de l'idéologie. Il y a dans ce roman un pouvoir d'illustration qui en dit bien plus que tous les livres d'histoire réunis sur ce qu'est la force d'attraction de l'idéologie. Elle nous est donné à voir de l'intérieur, dans son lent et fatal processus d'élaboration, et c'est sûrement ce qui a fait de ce roman, une oeuvre « dangereuse «. Or, le style de l'auteur, son goût pour les images violentes, le brio de ses descriptions « internes « des états d'âmes du personnage participent de cette élaboration de l'idéologie. Celle ci nous est donnée qu'au travers d'éclairs de signification tout au long du roman pour finalement éclater au grand jour lors des évènements de 1934, date clef dans l'histoire du fascisme en France.
«
l'intimité, celle d'une confidence existentielle.
Cependant, c'est à travers les femmes également que l'individu meurtri recouvre sa vitalité.
La femme peut apparaîtrecomme la force d'attraction qui permet la fusion entre le Gilles d'avant la guerre, le soldat au revenu meurtri des tranchées.
Ainsi avec Dora, Gilles gagne enpuissance : « toute cette chair toute cette vie qui est semblable à moi, qui est à moi.
Voilà cette femme, c'est moi c'est moi enfin rencontré, reconnu, salué.
La joie.
Lajoie d'être enfin à son aise avec moi même.
» p .
272.
De même plus tard dans le roman, si l'amour avec Alice débute avec passion, c'est parce qu'en elle Gilles seretrouve.
« Ils se regardèrent et se reconnurent », p.207.
Alice apparaît ainsi au début comme le double féminin de Gilles, la femme idéale qui peut lui redonner foi enlui.
« Le souvenir d'Alice à la passion militaire que cet homme avait nourrie ( ...) , le songe de sacrifier à ce souvenir les dernières belles années qui lui restaient, ledégoût de Paris et des moeurs qui y régnaient, tout cela satisfaisait Gilles magnifiquement », p.209.
Pour Gilles, l'amour a donc une définition particulière : « l'amourn'est grand, après quelques étreintes que dans la communauté de passions autres que l'amour ».
p.
210.
L'amour semble ainsi largement s'identifier chez lepersonnage, aux liens fraternels, solidaires qui unissent les soldats dans leur passion pour la France et leur courage de la défendre.
Il faut donc souligner, que danscette situation, le bonheur retrouvé de Gilles n'est possible que parce qu'il renoue avec « le soldat » et non avec l'individu qu'il était avant la guerre.
Et pour cause, « ilaimait Alice avec toute sa force de guerre revenue ».
L'amour au sens où il est entendu généralement n'est pas fait pour Gilles, et
nombreuses sont les femmes rencontrées qui lui assèneront la même conclusion ; « tu n'aimes pas les femmes », « tu n'es pas fait pour aimer ».
Or c'est bien cesentiment d'impossibilité qui se dégage des amours successifs.
C'est en effet un être transformé en profondeur que Gilles retrouve au retour de la guerre et qu'ilappréhende au fur et à mesure de ses échecs sentimentaux, dont le plus décisif reste celui d'avec Myriam.
En effet, après elle, Gilles se rend compte que la femme nepeut tenir sa promesse de « nouveau départ », elle n'est capable au contraire que d'en révéler l'impossibilité .
L'échec de son mariage avec Myriam va le poursuivretout au long de sa vie et compromettre la foi qu'il pouvait avoir en lui même : « Le désespoir de Gilles avait de fâcheuses racines personnelles.
Quand il avait épouséMyriam, il croyait en lui même; maintenant il n'y croyait plus.
».
Gilles dira ainsi à Paul : « J'ai tout perdu.J'avais trouvé une femme et je l'ai perdue.C'est bon, unefemme, pour se reposer, pour s'accomplir, mais il faut la mériter, et je ne l'avais pas méritée.
», p.468.
La femme participe par ce biais au désamour que Gilleséprouve de manière plus intense à chaque chapitre, pour son époque, pour lui même.
« Nos amis , comme nos amantes, sont ce que nous les faisons » , p.456.
Ainsi lasomme des amours de Gilles semble pouvoir se résumer à cette phrase : « L'amour redevenu stérile tournait à la fascination du vide, à l'excès morne et enivrant, aucharme de la mort.
».
p.571.
On comprend comment le rapport de Gilles aux femmes est inséparable de celui qu'il entretient avec son pays, inséparable de saconception de la vie : « Gilles avait lié sa solitude à l'âme de la France ».p.560.
Mais également comment le destin de la patrie et lié à celui de son amour : ainsi « LaFrance mourait pendant que Pauline mourait ».
Conclusion : La femme reste une figure centrale dans son oeuvre, et pas seulement dans Gilles.
On peut ainsi rappelerque Drieu est également l'auteur d'un roman intitulé L'homme couvert de femmes dans lequel le personnage central, Gilles, ne cesse de se chercher à travers lesfemmes.
Or à lire Gilles, l'image qui nous vient à l'idée est bien celles d'un homme qui mis à nu par la guerre s'évertue en vain à se « couvrir », à se reconstituer ensurface faute de pouvoir rétablir les plaies intimes que le combat a ouvert en lui.
Les femmes, l'argent puis finalement la violence et le fascisme seront ainsi les «couvertures » de Gilles.
Les femmes finissent en effet, en dépit de toute l'importance que Gilles leur apporte et qu'elles ont pu lui apporter en retour, par s'effacer de lavie de Gilles, par le renvoyer à la violence.
Gilles est en effet, plus qu'un homme à femmes, un « homme qui n'existait pas pour les femmes » ( p.402) et Cyrille sera lepremier à percevoir « l'abominable limite de tout succès » qui est présente chez Gilles mais également chez tous les hommes de sa génération.
On a alors le portraitd'un homme voué à l'échec, tant dans sa relation avec les femmes que dans les retrouvailles avec son être dissolu dans les tranchées.
La conclusion d'un tel échec estdonnée par Gilles lui même à la page 603 : « L'amour n'est rien sans la volonté.
Les ponts qu'il avait lancé dans sa vie vers les femmes, vers l'action, ç'avait été defolles volées, insoucieuses de trouver leurs piliers.
Il n'avait pas eu d'épouse et il n'avait pas eu de patrie.Il avait laissé sa patrie s'en aller à vau-l'eau.
De même qu'il nes'était pas entièrement épris de la grâce du sacrement, il n'avait pas recrée dans son esprit la patrie mourante ».
III.
Opinion personnelle C'est un roman que j'ai prisbeaucoup de plaisir à lire, plaisir n'étant d'ailleurs peut être pas le mot adéquat...
Disons qu'il fait partie des romans qu'on oublie pas.
Je ne veux pas rentrer dans lesdébats de mémoire post- écriture et tenter de savoir si l'on doit ou non accepter de lire une oeuvre qui est, selon les mots de Michel Winock, une « parabole fasciste ».Pour moi la forme et le fond d'une oeuvre ne peuvent être considérée séparément.
Or j'estime qu'en lisant Gilles, on ne peut rester indifférent à la force des images , àla violence des expressions qui répondent à l'extrémisme des idées, tout comme il est difficile de ne pas être heurté par le racisme, la machisme, le fascisme qu'ellesexpriment.
Cependant là est bien l'intérêt de cette oeuvre : si il y a une chose que Drieu réussit à la perfection dans son roman, c'est à rendre visible le mécanisme del'idéologie.
Il y a dans ce roman un pouvoir d'illustration qui en dit bien plus que tous les livres d'histoire réunis sur ce qu'est la force d'attraction de l'idéologie.
Ellenous est donné à voir de l'intérieur, dans son lent et fatal processus d'élaboration, et c'est sûrement ce qui a fait de ce roman, une oeuvre « dangereuse ».
Or, le stylede l'auteur, son goût pour les images violentes, le brio de ses descriptions « internes » des états d'âmes du personnage participent de cette élaboration de l'idéologie.Celle ci nous est donnée qu'au travers d'éclairs de signification tout au long du roman pour finalement éclater au grand jour lors des évènements de
1934, date clef dans l'histoire du fascisme en France.
Pour autant que nous dégoute le fond de l'écriture, sa forme et son lent développement nous emportent dansl'histoire sans que nous puissions nous résigner à « lâcher » le roman.
C'est en cela que je crois pouvoir dire que forme et fond sont ici interdépendants.
La longueurde la diégèse, les piétinements de la narration, les hésitations du personnage, tout nous mène inévitablement vers le fascisme, sans qu'on ne s'en rende compte dès ledébut.
Et Gilles dans l'épilogue de confirmer mon impression « Il vivait une idée.
Il en épousait avec une curiosité meurtrie, mais toujours voluptueuse, les détours etles plis tels que les faisait la résistance de la matière humaine où elle essayait de s'imprimer.
Sa solitude était celle de l'idée.
Son idée.
».
N'y a t il pas ici une vibranteillustration de ce que Hannah Arendt a définit comme l'idéologie ?.
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