PAYSAN PARVENU (le) ou les Mémoires de M*** de Marivaux
Publié le 07/11/2018
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PAYSAN PARVENU (le) ou les Mémoires de M***. Roman de Pierre Cadet de Chamblain de Marivaux (1688-1763), publié à Paris chez Prault en 1734 (quatre premières parties) et 1735 (cinquième partie).
Qu'est-ce que le Paysan parvenu ? Impossible de s'y tromper : le plus grand récit comique français depuis Rabelais. Sa verve et sa virtuosité étourdissantes consacrent un thème majeur du roman moderne, l'ascension sociale, qui mène ici « un gros dodu » de la ferme à la finance, des champs en jachère aux femmes en chaleur. On ne sait rien, comme d'habitude, de la genèse, ou plutôt du surgissement, dru et droit, de ces « Mémoires » entre la deuxième (janvier 1734) et la troisième partie (novembre 1735) de la *Vie de Marianne, parallèlement aux pièces de théâtre, qui continuent leur train inépuisable, et aux onze feuilles du Cabinet du philosophe, presque entièrement rédigées avant l'automne 1734. On ne peut que se taire et s'étourdir devant une fécondité, mieux vaudrait dire une inventivité aussi prodigieuse, devant un tel bonheur de plume dans des genres aussi divers.
Première partie. Riche et retiré du monde. jacob, le narrateur de ces « Mémoires » se garde bien de cacher son origine, affichée dans le titre, glosée dans un « petit préambule » et l'histoire de ses neveux «trop glorieux ». Cadet du fer mier d'un opulent propriétaire champenois, le jeune paysan, « beau garçon » de dix huit à dix neuf ans, décide de rester à Paris lors de sa pre mière livraison de vin ; il devient valet d'un enfant, neveu de son seigneur. Celui ci entend le marier de force avec une suivante, Geneviève, grosse de ses œuvres, mais sa mort délivre jacob et sa ruine le jette à la rue. Il rencontre, sur le Pont Neuf, une fraîche dévote de cinquante ans, Mlle Habert la cadete, qui l'embauche comme valet.
Deuxième partie. Son arrivée semant la ziza nie, attisée par leur directeur de conscience, M. Doucin, entre les deux sœurs dévotes, Mlle Habert emménage avec jacob dans un meu
blé tenu par Mme d'Alain et sa fille Agathe, aux quelles le jeune homme ne déplaît pas. Six jours après leur rencontre, Mlle Habert, appétissante rentière de plus de 4 000 livres, propose à jacob, ébloui, de l'épouser.
Troisième partie. À l'instigation de Mlle Habert l'aînée, jacob, devenu M. de La Vallée, doit s'expliquer devant un magistrat. M. le président Il sort victorieux de l'épreuve, et ne manque pas d'y plaire à une fa usse dévote quinquagénaire, Mme de Ferval. Son mariage, encore retardé par sa participation involontaire à un assassinat pas sionnel, a enfin lieu. Habillé, métamorphosé, il veut devenir financier.
Quatrième partie. Sur la recommandation de Mme de Fécour, deuxième femme de condition séduite en deuxjours, jacob se rend à Versailles solliciter un emploi auprès de M. de Fécour. Mais touché par les plaintes de Mme d'Orville, qu'il y rencontre, il renonce à occuper la place de son époux malade.
Cinquième partie. jacob ne peut jouir de ses deux liaisons : Mme de Ferval lui est volée, lors d'un rendez vous galant, par un chevalier qui reconna?t jacob sous La Vallée ; Mme de Fécour se croit mourante. Mais la fortune lui revient par la rue. Volant au secours d'un homme attaqué par trois autres, il sauve le comte d'Orsan, neveu du Premier ministre, qui lui raconte son histoire et l'emmène à la Comédie.
La sixième partie devait faire le portrait de « la grande actrice [...] qui jouait Monime [...] et celui des acteurs et des actrices qui ont brillé de mon temps ».
Il n'est pas bien difficile de rattacher le Paysan parvenu à l'œuvre antérieure. La veine comique irrigue les premiers récits de jeunesse, et elle triomphe dans les comédies. On trouverait sans peine dans le roman des passages qu'on dirait sortis tout droit de la bouche d'Arlequin (par exemple dans la première et la troisième partie). Comment s'en étonner, dans un récit qui donne une telle place au diable, à ses œuvres et à ses ruses ? Jacob, Arlequin et le diable :le trio, qui n'entend pas finir sur une croix, mériterait un portrait. Car Jacob, comme Marianne, est une créature « dangereuse >> (le mot
«
revient dans les deux
romans, dans ses
divers sens).
Mais il est plus séduisant de confron
ter les deux romans de la maturité, tant
ils transcendent les tentatives juvéni
les, tant ils semblent faire couple dans
leurs visées divergentes et complémen
taires : lente gestation, sur plus de
dix ans 1 jaillissem ent vigoureux et
compact ; voix féminine et aristocrati
que 1 voix masculine et populaire ;
tonalité sentimentale et héroïque 1
tonalité libertine et comique ; rêveries
du cœur 1 pulsions du désir ; aspira
tions angéliques 1 trans pirations du
dia ble.
Comme si un registre servait de
délas sement et de contrepoint à
l'a utre.
Comme si ces deux voix chan
taient ensemble la mélodie humaine,
sa double postulation conjointe, et
donc la gémellité romanesque, les
deux sexes du roman, pour reprendre
la belle formule de F.
Deloffre.
Car ces
deux récits nous proposent bien une
théorie implicite du roman, ou plutôt
des genres du roman, à la fois croisés
et dis tinc ts, selon le choix qui oriente
l'éc riture.
Théorie qui parfois affleure à
visage presque découvert, sous les
traits, par exemple, de Mme d'Alain,
hôtesse bavarde et indiscrète, ou dans
tel propos sur Mme de Fécour, qui
« aimait tout le monde et n'avait
d' amitié pour personne ; vivait du
même air avec tous, avec le riche
comme avec le pauvre [ ...
].
Lui disiez
vous :]'ai du chagrin ou de la joie [ ...
]
elle n'entrait dans votre situation qu'à
cause du mot et non pas de la chose
[ ...
].
En un mot, c'étaient les termes et
le ton avec lequel vous les prononciez
qui la remuaient ,, (quatrième partie,
où, est-ce vraiment un hasa rd, Mari
vaux s'explique sur les livres en général
et la satire des siens, par Crébillon en
particulier) .
Tout est donc affaire de style : la Vie
de Marianne et le Paysan parvenu ont en
commun la forme pseudo-autobiogra- phique
; l'éc art temporel et social entre
le héros et le narrateur, qui autorise un
regard amusé et complice sur soi
même, la mise au jour des roueries inti
mes, retardée mais révélatrice d'une
qualité innée, la traj ectoire qui permet
à un individu apparemment démuni et
isolé de trouver sa place, de s'éd uquer
et de se reconnaître à l'épreuve du jeu
social, avant de se retirer de la masca
rade pour mieux se retrouver et se
dévoiler ; l'inachèvement, une fois
remémoré es et approf ondies les pre
mières expériences fondatrices (étirées
sur quelques mois dans le Paysan par
venu) ; l'opt imisme, sans illusion,
ambigu autant qu'on voudra, mais
d'évidence dépourvu de toute noirceur
tragique à la Prévost ou à la Crébillon,
qui baigne ces deux romans de la
conscience.
Conscience apparemment
point trop malheureuse, et même plu
tôt contente d'elle et du monde
comme il va.
Car même Dieu, assez
bon romancier, ne peut exclure le dia
ble des affaires d'ici-bas.
C'est une
question de morale , de rapp ort au
monde, mais aussi d'esthétique : «C e
lecteur, explique Marivaux à Crébillon,
aime pourtant les licences, mais non
pas les licences extrêmes, excessives ;
celles-là ne sont supportables que dans
la réalité, qui en adoucit l'effronterie ;
elles ne sont à leur place que là, parce
que nous y sommes plus hommes
qu'ai lleurs ; mais non pas dans un
livre, où elles deviennent plates, sales
et rebutantes » (quatrième partie).
Tout
est dit dans la célèbre formule: « L'âme
se raffine à mesure qu'elle se gâte »
(ibid.
)..
»
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