NOTES DE LECTURE Gilles DELEUZE, Francis Bacon : Logique de la sensation
Publié le 15/01/2013
Extrait du document

Le rythme
Enfin, la sensation passe nécessairement par le rythme du tableau. Le rapport entre le rythme et la
sensation met dans chaque sensation les niveaux par lesquels elle passe. La Figure est l’incarnation
d’une sensation, elle est une vibration ; quand deux sensations se confrontent, il n’est plus question de
vibration mais de résonnance entre deux Figures réunies par la même matter of facts ; et au sein des
triptyques, forme d’oeuvre où la nécessité de n’envisager toujours aucune relation narrative doit être
gardée en tête, le rythme prend une amplitude extraordinaire, dans un mouvement qui donne la sensation
du temps au tableau. La logique de la sensation réside dans les trois règles qui
régissent le triptyque : la distinction de trois rythmes, de trois figures rythmiques ; l’existence d’un rythme
témoin circulant dans le triptyque ; et la détermination des rythmes actif et passif. Dans les triptyques, les
figures sont séparées et le restent. Il n’y a pas de progression mais un fait commun. Il y a là cependant
trois rythmes : actif, passif et témoin. Comme au théâtre, s’il y a trois personnages,

«
des chairs dégoulinantes, mais il peint le corps plutôt que l’organisme, tout comme il peint la tête plutôt
que le visage, même dans ses portraits, c'est-à-dire l’essence du corps et non son enveloppe, sa
présentation
organisée.
Le projet de Bacon est de défaire le visage pour retrouver la tête qui est sous ce visage et il
parvient par des opérations de nettoyage.
En faisant cela, Bacon crée une zone d’indiscernabilité entre
l’homme et l’animal : dans les surfaces nettoyées se distingue une présence animale, non pas par
ressemblance mais en tant qu’esprit hantant cette surface, comme le destin même de la Figure.
Par cette
association à l’animal, Bacon, qui considère que l’homme qui souffre est une bête, introduit une
association plus puissante encore, celle de l’homme à la viande : « J’ai toujours été très touché par les
images relatives aux abattoirs et à la viande, et pour moi celles-ci sont liées étroitement à celle de la
crucifixion… C’est sûr, nous sommes de la viande, nous sommes des carcasses en puissance.
» La
viande est l’état du corps où os et viande, et par là, organisme et corps, se confrontent localement au lieu
de se composer structuralement.
La viande n’est toutefois pas de la chair morte : elle garde la souffrance
et incarne donc l’indiscernabilité entre l’homme et l’animal.
La Figure dans le tableau
Francis Bacon distingue trois éléments fondamentaux dans sa peinture : la structure matérielle, de
grands aplats de couleur ; l’image dressée, la Figure ; et le lieu, rond -contour comme limite et lieu
d’échanges entre les deux précédents ; ce qui correspondrait,
en sculpture, à l’armature, au socle et à la Figure qui se promène dans l’armature avec le socle.
La
Figure, dans le tableau, est isolée par le contour, qui est le plus souvent un rond ou un fragment de rond
comme un rail.
Deux mouvements s’effectuent entre la Figure et la structure : le premier va de la
structure à la Figure, l’aplat s’enroule autour du contour pour isoler la Figure qui accompagne le
mouvement ; tandis que le second qui va de la Figure à la structure est celui du corps qui a lieu dans
l’enceinte du rond, de la Figure qui attend quelque chose d’elle-même pour devenir soi.
Il n’est plus
question du lieu mais de l’évènement, celui d’un spasme, de l’attente d’un effort pour s’échapper comme
dans le Triptyque de 1973, dans lequel la Figure attend de s’échapper par le trou de vidange de son
lavabo.
L’idée de s’échapper, appelé l’athlétisme, induit deux nouveaux mouvements du corps lui -même,
la contraction et la dilatation ou dissipation, aussi appelés systole et diastole qui sont les mouvements de
contraction et de relâchement du corps permettant au sang d’être propulsé dans le système
cardiovasculaire : « le monde qui me prend moi-même en se fermant sur moi, le moi qui s’ouvre au
monde, et l’ouvre lui -même ».
Le corps peut se contracter pour être aspiré par un orifice minuscule tel
que celui du lavabo ou encore la pointe d’un parapluie.
Inversement,
il peut se dissiper dans un miroir, qui, chez Bacon n’a pas la fonction de réfléchir une image mais
d’absorber le corps et son ombre.
Ce sont ces mouvements qui transforment, déforment le corps C’est
dans son rapport aux autres éléments du tableau ou des tableaux dans le cas des triptyques, dans le fait,
que la Figure produit la sensation tant recherchée par le peintre.
• LA SENSATION
Sensation et phénoménologie
La sensation est donc le moyen de Bacon d’échapper au figuratif.
Elle est ce qui détermine l’instinct en
tant qu’il est le passage d’une sensation à une autre à la recherche de la meilleure sensation, une
sensation qui remplirait la chair.
La Figure est avant tout une forme sensible rapportée à la sensation et
qui agit directement sur le système nerveux, qui est la chair de l’homme, contrairement à la forme.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- NOTES DE LECTURE : Gilles DELEUZE, Francis Bacon : Logique de la sensation
- LOGIQUE DU SENS, Gilles Deleuze - résumé de l'oeuvre
- «C'est toujours par autrui que passe mon désir, et que mon désir reçoit un objet Je ne désire rien qui ne soit vu, pensé, possédé par un autrui possible. C'est là le fondement de mon désir. C'est toujours autrui qui rabat mon désir sur l'objet.» Gilles Deleuze, Logique du sens
- DELEUZE, Gilles (1925-1995) Philosophe et universitaire, il manifeste une attirance pour les hommes de la pensée (Nietzsche, Bergson, Spinoza, Foucault...) mais aussi de l'art (Proust, Bacon et le cinéma).
- Gilles Deleuze : fiche de lecture sur les lettres à Blyenbergh